Michel de Nostredame quitta Agen vers 1538, certainement pour se mettre à l’abri de l’Inquisition et se faire oublier. C’est une longue période de pérégrinations qui commence et qui va se poursuivre jusqu’en 1544. De cette période quasi méconnue, nous n’avons conservé que des légendes, auxquelles il est difficile de savoir quel crédit on peut apporter.

Le praticien périodeute
(1539 - 1544)


   Si nous connaissons assez bien quelles villes Nostradamus a visité, nous ignorons absolument en quel ordre il l’a fait.

   Après la mort de sa femme et de ses enfants, Michel de Nostredame reprend sa vie errante à travers toute l’Europe. On trouve sa trace, ou sa légende, à Argenton, aussi bien qu’à Venise, à Valence aussi bien qu’à Fains, en Champagne. On a dit qu'il remonta jusqu’en Lorraine, terre du Saint-Empire, bien qu’en partie déjà de langue française, séjourna en Alsace et en Allemagne. Ses randonnées le mèneront jusqu'en Italie.

   Certains commentateurs parlent même d’un séjour sur les rives du Nil ou du Gange ; il aurait été en Perse pour étudier l’alchimie arabe. Il n'existe aucun document qui atteste ces propos invraisemblables, qui relèvent de la pure imagination.

   D’après la tradition, c’est au cours de ces incessants voyages que le don de Michel de percer l’avenir se serait manifesté.

   Pour connaître les premières étapes de la vie errante et vagabonde de Michel de Nostredame, il faut écouter attentivement les indiscrétions et confidences qu’il nous a laissé dans son Traité des Fardements et Confitures :

   « J’ai autrefois pratiqué en la cité de Bordeaux, de Thoulouse, de Narbonne et de Carcassonne «

   Voilà donc quatre villes que Michel n’a pas seulement visité, mais où il a exercé la profession de médecin, voire d’apothicaire itinérant. Il est donc vraisemblable qu’il s’est installé, pour le moins quelques mois, dans chacune de ces villes du sud-ouest de la France.

   Dans les villes où il séjourne, Nostradamus fréquente les apothicaires. Dans son Traité des Fardements et Confitures, il donnera quelques appréciations sur certains de ses confrères rencontrés au hasard de sa route.

Bordeaux

   Bordeaux fut ainsi la première de ces étapes qui devaient le mener vers le sud-est. D’ailleurs, il nous rapporte lui-même qu’il fut dans cette ville, en 1539, dans la boutique d'un apothicaire nommé Léonard Baudon. C’est alors qu’arriva un paysan apportant deux morceaux d’ambre gris. L’un deux ressemblait fort à un excrément d’animal marin. Les savants personnages qui étaient là se demandèrent si ce n’était pas du sperme de baleine, mais le paysan leur assura que c’était l’aposthème d’un poisson marin. En effet, au bord de l’océan, après le solstice d’hiver, les vagues chassent hors de l’eau cette « graisse » et la déposent au rivage. Le renard, qui la sent de loin, vient l’engloutir ; mais cette matière ne fait que entrer et sortir dans son corps : il la rejette aussitôt par derrière. Tel est ce qu’on appelle l’ambre gris ou ambre renardé.

   Puis, Michel quitta Bordeaux pour Toulouse, puis Carcassonne.

Carcassonne

   Nostradamus aurait séjourné à la cour de l'évêque de Carcassonne, Amédée de Foix, qu'il aurait soigné, nous dit-il dans son Traité des Fardements.

   Cet évêque était l’arrière petit-neveu du Cardinal Pierre de Foix le Vieux, protecteur des premiers Nostredame, ceux de Carpentras et d’Avignon, les « Carcassonne », vers la fin du XIVe siècle !

   Il semble que Nostradamus poursuivra sa route le long de la vallée du Rhône, de Valence à Lyon, et deviendra célèbre grâce à ses traitements efficaces. Mais, il suscita aussi de nombreuses jalousies parmi ses confrères.

Michel de Nostredame
dans la vallée du Rhône

   Après avoir quitté le sud-ouest, Michel était de retour dans les contrées du bas-Rhône, mais nous ne savons pas conbien de temps il demeura dans chacune des villes qu’il cite dans son Traité des Fardements et Confitures. Sans doute, il remonta le cours du Rhône jusqu’à Lyon.

Marseille

   D’après Michel de Nostredame, c’est à Marseille que la médecine est la plus mal administrée et qu’on trouve les plus mauvais pharmaciens, exception faite pour le médecin Louis Serre.

Valence

   Michel passa à Valence, où il connut « vn bien excellent apothicaire », dont il ne se souvient plus du nom.

Vienne

   A Vienne, il rencontra quelques confrères dont Hieronymus Montius et Franciscus Valériole.

    Hieronymus devint le premier médecin de François II.
   François Valériolle prendra la première chaire en médecine de l'Université de Turin.

Michel de Nostredame
en Lorraine !

   Tous les biographes ont parlé d’un séjour de Nostradamus en Lorraine. A vrai dire, seules quelques légendes nous sont parvenues, auxquelles on ne peut apporter qu'un crédit limité. Si Michel a bien effectué un voyage au cœur de l’ancienne Austrasie des Francs du Rhin, ce ne peut être que pendant la période 1540 - 1543, puisque nous savons, de source sûre, que Michel séjournait à Bordeaux en 1539, et qu’il était à Marseille vers 1544.

Bar-le-Duc

   C’est toujours la seule légende qui nous signale le passage de Nostradamus près de Bar-le-Duc.

   Dans l’introduction de ses Eclaircissements des véritables quatrains de Maistre Michel Nostradamus, parus en 1656, Etienne Jaubert est le premier à nous rapporter plusieurs anecdotes, qu’il aurait recueilli auprès des habitants de cette localité, dans la Meuse d'aujourd'hui.

   En 1655, il aurait notamment rencontré une certaine Mademoiselle Terry, dont le fils était avocat au Présidial. On peut s’interroger sur l’âge que pouvait avoir Mlle Perry en 1655, elle qui avait été soignée par Nostradamus lui-même !

Fains

   Pas très loin de Bar-le-Duc se trouve le village de Fains-les-Sources, appelé aujourd’hui Fains-Véel, devenu sans doute célèbre avec une histoire de deux petits cochons que tous les biographes de Nostradamus ont rapportés, et que nous ne résistons pas à la tentation de vous la conter à notre tour.

   Nous l’avons, quant à nous, tiré d’un curieux ouvrage anonyme paru en 1789, et intitulé La Vie et le Testament de Michel Nostradamus :

   « la faculté devinatrice fut prise, en Lorraine, par le seigneur de Florinville. Ce seigneur, ayant amené Nostradamus dans son château de Faim, pour y traiter son épouse, atteinte de quelque infirmité, il arriva qu’un jour, ce gentilhomme se promenant dans la basse-cour de son château avec son hôte, & devisant des présages, deux petits cochons de lait, dont l’un était blanc & l’autre noir, se présentèrent à eux ; à l’aspect de ces deux animaux, le seigneur de Florinville demanda à Nostradamus quelle serait leur destinée, à quoi il répondit en même temps, qu’il mangerait le noir & que le loup mangerait le blanc. Le Seigneur de Florinville, qui n’avait fait la demande que parce qu’il s’imaginait qu’il était en son pouvoir de faire mentir le prophète, ordonna secrètement à son cuisinier de tuer le cochon blanc & de le lui servir à souper ; suivant cet ordre, le cuisinier tua le blanc, l’habilla & le mit à la broche prêt à être rôti quand l’heure serait venue ; cependant, ayant à faire hors de la cuisine, un louveteau, que l’on nourrissait pour l’apprivoiser, y entra, & trouvant le préparatif à sa portée, s’attacha à le manger ; il en avait déjà mangé les deux quartiers de derrière lorsque le cuisinier rentra, qui, surpris de l’accident, & craignant d’être réprimandé par son maître, pour réparer sa faute, se saisit aussi tôt du cochon noir, le tua, l’apprêta, & le fit servir sur la table ; les conviés étant placés, le seigneur de Florinville, qui ne savait rien de l’accident qui était arrivé en sa cuisine, se tenant déjà assuré de triompher de Nostradamus, lui dit avec un air de confiance, qu’on allait manger le cochon blanc, & que le loup n’y toucherait point ; à cela Nostradamus repartit qu’il ne le croyait pas, & que c’était le noir qui était sur la table ; aussitôt le seigneur de Florinville, qui se persuadait toujours davantage de la prétendue certitude de son fait, ordonna à son cuisinier de faire venir le cochon noir, afin de confondre Nostradamus ; mais il fut fort étonné, lorsque le cuisinier étant arrivé, lui déclara le sort des deux cochons, qui fut fort glorieux pour celui qui l’avait présagé. »

   Cette aventure « fort singulière » et qui montre fort naïvement les dons de voyance de Michel, fut répandue dans tout le royaume.

Saint-Bonnet

   Il faut croire que Nostradamus acquit rapidement une assez belle renommé. Après avoir exercé ses talents de médecin (Bar-le-Duc) et de prophète (Fains), nous allons le retrouver comme astrologue. C’est en 1543 que l’anonyme de La Vie et le Testament de Nostradamus situe l’anecdote suivante.

   Après avoir traversé la Lorraine, Michel redescendit vers sa Provence natale et passa à Saint-Bonnet, « près de Gondrecourt », ou il demeura dans une hôtellerie.

   Or, la châtelaine du lieu venait de donner le jour à un fils. Le père profita de la présence du médecin astrophile pour lui demander de faire l’horoscope du nouveau-né. Michel annonça aux parents que le garçon deviendrait un jour « un des premiers du royaume ».

   Tous les biographes nous répètent cette histoire, qu’ils trouvèrent certainement chez l’anonyme de 1789 :

   « Madame de Lesdiguieres s’étant accouchée à un de ses villages, nommé Bonnet, & sachant que Nostradame étoit dans une hôtellerie, lui envoya un de ses domestiques pour le consulter sur l’horoscope du garçon qu’elle venoit d’enfanter ; il lui fit savoir qu’il seroit un des premiers du royaume ; ce qui fut vrai, puisque, dans la suite, il fut fait connétable. »

   En effet, ce n’est qu’en 1608, qu’Henri IV, dont il est devenu l’ami, le nomma Maréchal de France en 1609. La régente, Marie de Médicis, le fit Duc en 1611 et en 1622, Louis XIII le fit Connétable. Il s’appelait François de Bonne de Lesdiguières.

   C’est une belle légende. Dommage qu’elle sot entachée d’une erreur grossière. En effet, si le futur connétable de Lesdiguière est bien né près de Saint-Bonnet... en Champsaur, en 1543, il s’agit bien évidemment d’une ville située dans les Hautes-Alpes.

   Saint-Bonnet, près de Gondrecourt, à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Bar-le-duc, est plutôt du côté du département de la Meuse (Commercy) et du département de la Meurthe-et-Moselle (Briey) : les Saint-Bonnet lorrains et alpin ne sont pas situées précisément dans la même région !

Michel de Nostredame
en Belgique !

   De nombreuses commentateurs, avec l’abbé Torné-Chavigny, attribuent à Nostradamus les fameuses prophéties d’Orval, Prévisions d’un Solitaire, que d’autres assurent être d’un médecin astrologue nommé Olivarius.

    Torné-Chavigny est l’auteur d’une Histoire prédite et jugée par Nostradamus, Bordeaux, 3 volumes, 1860 - 1862. Il rédigea plusieurs autres ouvrages sur Nostradamus, et notamment les Prophéties d’Olivarius et d’Orval, Paris, 1872. Torné-Chavigny est le premier à avoir prétendu que la prophétie d’Orval, dont l’auteur se nommait Olivarius, du « pays des olives », était une œuvre de Nostradamus durant un pseudo séjour dans cette abbaye.

   On aurait trouvé ces textes dans la célèbre abbaye d’Orval, en Belgique, en 1793, mais la première prophétie serait datée de 1543.

   Nostradamus aurait-il terminé le cycle de ses pérégrinations dans l’est de la France par un séjour à l’abbaye d’Orval, de l’Ordre de Citeaux, alors au diocèse de Trèves, à deux lieues de l’actuelle sous-préfecture de Montmédy ? Certains biographes datent justement ce séjour de 1543. D’autres situent cette « retraite » de Michel pendant l’hiver 1544 – 1545.

   Quoi qu'il en fut, la découverte de ces soi-disant textes prophétiques fut attribuée très vite à Nostradamus, tant il est vrai qu'on ne prête qu'aux riches.

   En 1793, après la « rénovation de siècle » nostradamienne, un certain François de Metz découvre dans les archives de l’abbaye des manuscrits intitulés : « Livres de prophéties, composé par Philippe Dieudonné - Noël Olivarius, docteur en médecine, chirurgien et astrologue » Il s’agirait, nous dit-on, d’une copie faite par l’abbé d’Orval, et qui portait en dernière page la mention suivante : « Finis, MDXLII »

   Cette date coïncide approximativement avec celle du prétendu séjour de Michel à Orval. Cependant, la « prophétie d’Orval » ne fut connu qu’en 1821 : 1542 et 1793, anti-datés deux fois !

   La Prophétie d’Orval, qu’on appelle aussi les « Prévisions d’un Solitaire » n’ont d'ailleurs absolument rien en commun avec le style volontairement énigmatique des Centuries. Le texte orvalien raconte l’épopée napoléonienne et milite activement pour un retour de la royauté en France sous Louis XVIII.

Michel de Nostredame
en Bretagne !

   On a également supposé que Nostradamus avait visité le nord-ouest de la France. Ce voyage en Bretagne ne pourrait s’inscrire que dans période obscure des années 1540 – 1543. Nostradamus aurait-il suivi la côte, en longeant les rives de l’Atlantique ?

   Le breton anti-sémite Colin de Larmor, dans Les merveilleux quatrains de Nostradamus, a relevé, dans les Centuries, des termes d’origine bretonne. Nostradamus aurait pu apprendre les rudiments de la langue bretonne auprès de Scaliger, lorsqu’il demeurait à Agen, ou bien, lors de son séjour à la Cour de France ?

   Le quatrain (IX.87) a retenu l'attention d'un commentateur. Selon Jean Monterey, Nostradamus aurait poussé ses pérégrinations jusqu'en Bretagne, car, comment connaîtrait-il la forêt de Clohars-Carnoët (anciennement, Toulfoen) et la chapelle templière de Lothéa, une forêt connue que par les chasseurs des environs ?

   Par la forest du Touphon essartee,
   Par hermitaige sera posé le temple,
   De duc d'Estampes par sa ruse inventée,
   Du mont Lehori prelat donra exemple.

   Nous pouvons nous hasarder nous-même à une explication de ce quatrain « prophétique », qui semble décrire un événement... antérieur d'un siècle à sa publication. L'action se situe à Montlhéry (mont Lehori), en 1465, où se déroula « un étrange combat ». Cette année-là, le roi Louis XI céda devant la Ligue dite du « Bien public ». Le roi de France organisa à Liège un soulèvement contre son ennemi, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. L'armée du roi, qui venait de conquérir le Berry et le Bourbonnais, remontait vers Paris, tandis que Charles et ses soldats prenaient la route d'Etampes pour rejoindre le duc de Bretagne, François II. Louis de Luxembourg, qui accompagnait Charles, était parvenu à Montlhéry et s'était établi dans un château-fort. Les avant-gardes du roi avaient traversé la forêt de Torfou (forest du Touphon), au nord d'Etampes, où se trouvait le roi. Le combat fut inévitable et s'engagea le 16 juillet 1465 dans la plaine de Longpont.

 

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