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PROPHETICA

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Que penser des prophéties concernant les papes ?

par Jacques Halbronn

   Jean-Paul II règne depuis près d’un quart de siècle. Tôt ou tard, le problème de son successeur va se poser car le pape polonais n’est pas éternel. Que penser des prophéties qui lient la succession des papes à la fin des temps ?

   Il est donc temps d’examiner de près - et à titre préventif sinon prophylactique - en quelque sorte, les textes qui font référence en ce domaine et en particulier la Prophétie dite de saint Malachie 1. De quand date ce texte, comment l’ont traité ses commentateurs depuis la fin du XVIe siècle ? Qu’est ce qui fonde sa crédibilité ? De quelle façon, peut-on parler, comme pour les centuries, d’une certaine forme d’escroquerie ?

Les enjeux des prophéties sur les papes

   Les spéculations sur la vie des papes ne datent pas d’hier! On en connaît déjà au Moyen Age, elles émanent souvent d’adversaires de la papauté, des milieux reformés et de milieux catholiques contestataires, hostiles à la hiérarchie de l’Eglise, dans la mesure où ces prophéties annoncent sa fin.

   Mais l’annonce de la fin du monde, au travers de la prophétie des papes n’est probablement qu’un habillage. En réalité, l’essentiel, du moins au départ, se situait ailleurs, sur un plan plus politique.

   Il faut parler de tout ce qui se tramait lors de l’élection de chaque nouveau souverain pontife. Les différentes puissances - l’Espagne, la France etc. - s’efforçaient de faire élire l’un des cardinaux susceptibles de les favoriser.

Le principe de la prophétie

   Comment procédait-on ? Par un système de devises. Chaque pape est annoncé par une formule qui est censée faire allusion à sa famille, à ses armes, à son lieu de naissance, bref à quelque élément de sa biographie.

   Si l’on prend la plus célèbre des prophéties des papes, celle qui a survécu jusqu’à nos jours, à savoir la prophétie de saint Malachie, dont la première édition daterait de 1595, elle prétend remonter en fait au XIIIe siècle. En effet, elle est attribuée à un saint irlandais, Malachie, qui vécut à cette époque.

   Et de fait, elle comporte une série de devises dont les commentateurs nous expliquent qu’elles correspondent, pour les premières, aux papes ayant régné depuis le XIIIe siècle et pour les autres, aux papes à venir.

   Si l’on se replace dans le contexte de la fin du XVIe siècle, quand commencèrent à circuler les premières éditions de la prophétie de saint Malachie, l’on avait donc d’un côté une série de devises “vérifiées” sur les papes ayant déjà régné et de l’autre une autre série non validée.

La différence avec les Centuries

   La comparaison entre les devises et les centuries est assez évidente : autant les quatrains ne sont pas censés correspondre à une progression chronologique, autant les devises s’inscrivent-elles au sein d’un ordre chronologie rigide. En effet, quand on étudie les différentes correspondances proposées par les exégètes entre quatrains des centuries et événements, c’est la confusion la plus totale, les siècles s’y entremêlent. On se dit que les commentateurs n’ont pas beaucoup de contraintes à respecter et peuvent piquer où il leur convient dans le vivier nostradamique. En comparaison, les commentateurs devises semblent ne pas avoir vraiment les coudées franches puisqu’on ne va pas intervertir celles-ci pour les faire mieux correspondre à tel ou tel pape.

   En outre, les devises malachiques sont censées ne traiter que des papes et non d’un événementiel très vague, qui peut recouvrir un grand nombre de situations, comme c’est le cas pour les interprètes des centuries.

La fabrication des devises

   Face aux devises malachiques, il existe plusieurs attitudes : soit de se dire qu’elles ont été validées pendant des siècles, depuis que Malachie les a fait connaître au XIIIe siècle, soit de considérer qu’il s’agit là d’une imposture.

   Il faut avouer, en effet, que la correspondance entre les devises et les papes correspondant chronologiquement est assez flagrante. Mais il aurait suffi que leur auteur consultât un dictionnaire des papes pour fabriquer dans les plus brefs délais une telle liste. Autant dire que la fabrication d’un tel faux ne demandait pas énormément de travail.

   Ce qui est assez amusant, dans cette histoire, c’est que ceux qui voulurent vérifier la valeur de ce travail eurent recours aux mêmes ouvrages qui servirent à élaborer cette pseudo-prophétie !

   Mais la question reste posée en ce qui concerne la rédaction des autres devises, celles qui concernent le futur. Mais quel futur ?

Faire élire un pape

   La thèse la plus probable est celle selon laquelle on aurait accompli toute cette compilation pour peser l’élection d’un pape, à la fin du XVIe siècle, c’est-à-dire à l’époque des publications, ce qui est assez logique.

   En quoi aurait consisté le subterfuge ? On fournit une longue liste de devises dont le bien fondé est vérifiable suivie d’une liste de devises pour des papes encore à venir. A l’intersection de ces deux volets, quelques devises qui concernent le présent et ce sont elles qui en fait seules comptent !

   D’une façon générale, la logique voudrait que l’on passe de devises qui “collent” à d’autres qui ne “collent” plus, c’est-à-dire de prophéties a posteriori, après coup à des prophéties concernant des papes à venir et donc parfaitement aléatoires. Sauf si, bien entendu, on croit que certains hommes puissent prophétiser, question à laquelle nous répondrons, pour l’instant, par la négative.

   L’astuce consistait à interpoler entre ces deux séries de prophéties, celles des papes dont on sait tout et celle des papes dont on ne sait encore rien, une devise visant un cardinal non encore élu mais que l’on voudrait bien faire élire. Dès lors, en effet, que cette prophétie des papes aurait acquis un certain crédit, on pouvait raisonnablement penser que serait élu le cardinal correspondant à la devise faisant suite à celle du dernier pape. Pourquoi ? Parce que les esprits auraient été impressionnées par cette prophétie et auraient considéré la devise en question comme en quelque sorte fatale.

   On a là un bel exemple de manipulation ! On glissait une devise désignant le prochain pape sur la liste et on s’attendait à ce que le conclave cherche à se conformer à cette devise. Malheureusement, il semble que ce ne fut pas le “bon” cardinal qui fut finalement choisi ou plutôt que la devise laissait la possibilité de plusieurs solutions, du fait qu’elle convenait à plusieurs candidats !

La fortune de la prophétie

   Mais ce n’était là qu’un début et cette prophétie qui aurait du tomber dans l’oubli, après l’élection que l’on avait voulu influencer, connut un second souffle puisqu’elle allait traverser les XVIIe, XVIIIe, XIXe et XXe siècles et atteindre l’orée du XXIe siècle. Et cela du fait que ses concepteurs n’avaient pas lésiné sur le nombre de devises pour l’avenir. Il eut été infiniment suspect d’arrêter la série trop tôt car on aurait compris qu’il y avait anguille sous roche. Alors qu’une prophétie venue du XIIIe siècle et s’étendant bien au delà du XVIIe siècle ne pouvait être a priori être un faux.

   Comment allait-on permettre à cette série de devises inventées de toutes pièces de traverser quatre siècles de plus ? A vrai dire, cette durée doit beaucoup à une augmentation de la longévité des papes ou au fait qu’on les élisait à un âge moins avancé.

   Les auteurs de ce texte avaient eu, en outre, l’heureuse idée de clore leur liste sur l’annonce de la venue de l’Antéchrist, ce qui conférait à cette prophétie un caractère SUPplémentaire d'authenticité, vu que d’autres prophéties de cet ordre, dont elle s’inspirait, comportaient une telle perspective ultime.

   Ainsi, la prophétie de Malachie devenait ipso facto un outil pour fixer la date de la fin des temps, ce qui était quand même plus sérieux que de donner l’identité du prochain pape. un compte à rebours était ainsi déclenché, chaque pape décédé nous rapprochant de l’échéance fatale. Certains commentateurs n’hésitèrent pas à calculer la durée moyenne d’un règne pontifical et de multiplier ce chiffre par le nombre de devises restantes. Le total devait donner une idée assez juste du temps restant.

Le changement du mode d’interprétation

   Nous avions comparé plus haut les centuries et les devises, constatant que les interprètes des centuries avaient pris bien des libertés avec l’idée que l’on pouvait se faire de leur mode d’emploi. Il est en effet improbable que l’idée initiale pour la lecture des centuries ait pu être de piocher, à sa guise, au milieu de centaines de quatrains celui correspondant à tel événement que l’on souhaiterait y retrouver.

   Pour les devises pseudo-malachiques, on s’accorda également quelque liberté pour les besoins de la cause. En effet, alors que les premières devises, en gros pour les XIIIe, XIVe, XVe et XVIe siècles, concernaient les blasons des papes, leur famille, leur lieu de naissance, comme la description en était donnée dans la littérature spécialisée, on finit par s’accorder, au XVIIe siècle, sur une nouvelle approche du texte.

   Désormais, la devise concernerait les événements du règne du pape, elle aurait un caractère prédictif qui pourrait même dépasser la personne du souverain pontife. On changeait ainsi la devise en oracle. Et en fin de compte, il suffirait de montrer que la devise correspondait peu ou prou au contexte politique, compris dans un sens large, de chaque règne.

La présentation des nouvelles éditions

   Pour renforcer le crédit de la prophétie, les éditions successives prirent l’habitude de présenter celle-ci sans introduire de clivage entre anciennes et nouvelles interprétations, entre celles qui précédaient la publication de la fin du XVIe siècle et celles qui suivirent. Et, il va de soi que le lecteur moyen était totalement dans l’incapacité de vérifier quoi que ce soit concernant le passé, sauf à disposer de dictionnaires des papes. Comme tout un chacun, le dit lecteur tendait à s’intéresser à l’avenir, au prochain pape et au compte à rebours avant l’inévitable fin de la liste.

Des traites sur l’avenir

   La prophétie dite de Saint Malachie est un cadeau empoisonné que nous ont laissé nos aïeux de la Renaissance ! En effet, il y a une autre façon de considérer ce texte qui annonce l'avènement de Antéchrist, lorsque toutes les devises seront épuisées. C’est ce qui s’est passé avec Pierre d’Ailly, au début du XVe siècle. Il régnait alors une certaine agitation prophétique, chez ses contemporains. Alors, pour avoir la paix, en quelque sorte, il annonça que Antéchrist se présenterait à la fin du XVIIIe siècle - on trouve même la date de 1789 dans certains de ses traités. Cela revenait, à l’époque, à reporter l’échéance aux calendes grecques !

   Donc, la prophétie de Malachie en laissant entendre qu’il restait encore plusieurs dizaines de papes à venir avant l’Antéchrist, indiquait donc que ce ne serait pas pour tout de suite.

   Or, de nos jours, ces échéances se présentent comme si nos ancêtres s’étaient débarrassés sur leurs descendants de la charge d’assumer la fin des temps. Si de nos jours, personne ne s’intéressait plus à ces idées, ce ne serait pas grave mais en réalité nombreux sont encore ceux qui s’y accrochent en pensant sérieusement que les dates avancées pour notre temps l’étaient en connaissance de cause alors qu’en fait, on voulait simplement nous passer la patate chaude ! Mais saurons-nous, à notre tour, nous débarrasser de ce cadeau empoisonné ? Entre l’An 2000, l’ère du Verseau, l’achèvement du compte à rebours malachien, pour les successeurs de Jean Paul II, l’an Mil Nonante Neuf des centuries, notre époque est la poubelle des spéculations prophétiques, tout comme on évacue les déchets nucléaires dans des no man’s lands. Malheureusement, nous devons vivre dans ce temps autrefois lointain, pollué par l’activité prophétique des siècles passés. On sait que certaines civilisations - notamment en Amérique - se sont laissé mourir sur la base de prédictions.

Une transposition de la Bible

   Pour nous vacciner contre de telles prophéties, le meilleur moyen c’est de comprendre comment elles ont été fabriquées. Il y a en fait deux aspects dans un texte prophétique.

   D’une part, des éléments utiles, porteurs d’un message généralement destiné aux contemporains de la publication. En effet, même quand elle parle du futur lointain, il s’agit là d’une diversion car la prophétie est à consommation immédiate.

   D’autre part, du remplissage pour arriver à une masse critique. Dans le cas des Centuries, Roger Prévost 2, à la suite d’autres, a montré que Nostradamus avait compilé un Guide de pèlerinage de son temps, c’est ainsi que le nom de Varennes est apparu dans le texte nostradamique. Ce Varennes n’était pas en fait celui qui fut le théâtre de l’arrestation de Louis XVI, dans l’Est de la France, mais selon les autres mots figurant dans ce quatrain, un Varennes breton ! Dans le cas des devises, quelle est finalement l’origine de celles qui ont été fabriquées pour laisser croire que le texte pseudo-malachien concernait un futur éloigné et non pas seulement des intérêts immédiats ?

   Question d’importance, car si l’on peut montrer que l’auteur a pioché dans un texte existant, cela relativisera sensiblement le crédit que l’on peut lui apporter.

La clef des dernières devises

   Nous avons suivi une piste qui était fournie, curieusement, par un auteur qui aurait été le premier à faire connaître le texte des devises papales, Arnold de Wion, dans le Lignum Vitae, l’arbre de vie, ouvrage, essentiellement en latin, qui contient précisément, par ailleurs; dans son édition vénitienne de 1595, le dit texte. 3

   Or, Arnold de Wion, dans le prologue de son volume, (au folio **2 verso) fournit un extrait du chapitre 50, l’avant-dernier, d’un livre du Nouveau Testament, dont l’auteur présumé serait un juif du nom de Ben Sira, intitulé Sagesse de Jésus ou Siriacide ou encore l'Ecclésiastique 4 (versets 6-14), dont il a mis certains mots en majuscules : “Stella, Luna, Sol, Arcus, Flos Rosarum, Thus, Ignis, Thus ardens, Vas Auri, Oliva, Cypressus, Cedri”. Notons que l’ouvrage était à l’origine écrit en hébreu, deux siècles environ avant notre ère, puis traduit en grec.

   Nous ferons remarquer qu’une telle sélection recoupe en partie les dernières devises à commencer par la devise 103, Ignis ardens. Si l'on considère les quatre dernières devises, nous trouvons Flos (108 “Flos florum”), Luna (109 “De medietate Lunae”), Sol (110 “De labore solis”) et Oliva (111, “De gloria olivae”).

   Mais si l'on prend la totalité du texte, les convergences sont encore plus riches. 5

   Versets 6-7 : « Il a éclaté pendant sa vie comme l'étoile du matin au milieu (in medio) des nuages & comme la Lune (Luna) lorsqu'elle est venue à son plein. Il a lui dans le temple de Dieu (in templo Dei) comme un soleil (sol) éclatant de lumière ». La devise 109, “de medietate lunae” serait, selon nous, constituée de deux mots de ce verset “medio” et “luna”. La devise 110, “de Labore solis”, pourrait avoir emprunté à Sol mais aussi être un jeu de mots, le verbe hébreu Oved signifiant à la fois travail (labor) et culte ; or, il est question, au verset 7, de temple (templum), d'un lieu de culte.

   Verset 9 : « Comme une flamme (ignis) qui étincelle & comme l'encens qui s'évapore dans le feu (“ardens in igne”) » de ce passage serait issue la devise 103 “Ignis Ardens”.

   Verset 11 : « Il a paru comme un olivier (oliva) et comme un cyprès qui s'élève en haut lorsqu'il a pris sa robe de gloire (gloriae) ». La devise 111 - “De gloria olivae” - aura fort bien pu être constituée à partir de ce verset, selon la méthode déjà décrite.

   Le fait que l’on soit parvenu à associer ces phrases ave la succession des derniers pontifes, installés sur le trône de Saint Pierre, montre, s’il était nécessaire, que l’on finit toujours par trouver un rapport entre un texte et un personnage, quels qu’ils soient.

La survie des prophéties

   Dès lors, que penser des dernières devises ? Il ne semble pas que l’on puisse encore croire qu’elles désignent chacune un pape différent. Tout se passe comme si, la fin du monde n’arrivant pas, on avait décidé d’utiliser des textes qui se trouvaient à la fin de la prophétie malachienne pour donner l’impression qu’il restait encore quelques papes à venir. En fait, la prophétie serait close depuis déjà un certain temps.

   Mais tout l’art des interprètes des prophéties ne consiste-t-il pas à en prolonger l’existence indéfiniment ? D’une part, bien entendu en les raccordant aux événements les plus récents, d’autre part, en prolongeant leur existence quand la prophétie semble accomplie ou infirmée. Pour ce faire, deux solutions, soit changer ou augmenter le texte - mais comme les anciennes éditions sont conservées, c’est un exercice difficile - soit modifier le mode d’emploi en proposant une nouvelle approche du document.

Regard sur un moderne interprète

   Jean-Charles de Fontbrune (Histoire et prophétie des papes, Fontrbrune interprète de Malachie, Monaco, Ed. Du Rocher, 1984) est passé maître dans l’art d’une lecture moderne des prophéties. Il combine d’ailleurs quatrains et devises. Il pense que la devise “De gloria olivae” pourrait annoncer l’élection d’un pape d’origine juive, comme ce serait le cas pour l’archevêque de Paris, le cardinal Jean-Marie Lustiger.

   Quand on sait que ces dernières devises ont été extraites d’un texte écrit par un juif, en Palestine, pays d’oliviers, on ne doit pas trop s’étonner que Fontbrune soit parvenu à une telle conclusion.

Jacques Halbronn

Notes

1 Cette étude fait pendant à celle que nous avons consacré, dans ces mêmes colonnes à Nostradamus. Retour

2 Cf. Nostradamus, le mythe et la réalité, Paris. R. Laffont, 1999. Retour

3 On trouvera un exposé beaucoup plus ample dans notre thèse d’Etat : Le texte prophétique en France. Formation et fortune, Université Paris X, Nanterre, 1999. Retour

4 Pour une étude sur ce texte, voir l’édition dite Bible Osty, Paris, Ed. Seuil, 1973. Retour

5 Nous utilisons une version bilingue, latin-français, de 1715, La Sainte Bible, Paris. Retour

 

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