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ANTISEMITICA

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Des causes migratoires de l’antisémitisme

par Jacques Halbronn

    Dans son Etat Juif (1896), Herzl a consacré un assez long développement aux causes de l’antisémitisme1, il note ainsi que : “Les juifs pauvres apportent maintenant avec eux l’antisémitisme en Angleterre, après l’avoir apporté en Amérique”. Mais déjà Herzl avait pu constater un tel phénomène à Vienne. “Après 1881, rappelle Bernard Avishai (Cf. The tragedy of Zionism, New York, Helios Press, 2002, p. 35), un nouveau type de Juif arriva à Vienne; des Juifs d’Europe Orientale fuyant les pogroms allait accroître la population juive de Vienne jusqu’à 100.000 en 1899 (...) Les familles comme celle des Herzls trouvèrent embarrassants leurs coreligionnaires russes et polonais et gardaient leurs distances”.

   C’est probablement l’expérience de l’immigration juive à Vienne qui marqua Herzl, lequel se rendit compte que celle-ci exacerbait l’antisémitisme et le conduisit à rechercher un lieu d’accueil où il n’y aurait pas de compte à rendre à une population non juive, ce qui aurait d’ailleurs du disqualifier la Palestine et rappelons que dans l’Etat Juif, le mot de Sion ou de sionisme n’est jamais prononcé et qu’il existe des alternatives à la solution palestinienne.

   En fait, ce qui produirait, dans une société donnée, de l’antisémitisme serait du à un afflux de juifs intégrés dans d’autres sociétés. Ce qui revient à dire que les juifs ne se ressemblent pas, qu’ils développent des stratégies d’intégration, de partenariat, selon une expression déjà proposée, spécifiques à chaque société et non transposables.

   Autrement dit, cela ne vaut rien aux Juifs de se rassembler quand ils viennent d’horizons par trop différents, ce qui est au demeurant le cas en Palestine, puis en Israël. Faut-il rappeler tout de même que si l’idée de partition fit son chemin, dans les années Trente, c’est à cause de l’antisémitisme arabe et celui-ci tenait, selon nous, en partie, à l’image confuse que les Juifs donnaient d’eux-mêmes et qui, de toute façon, était décalée par rapport à celle des Juifs palestiniens de souche. En bref, ce que Herzl avait annoncé allait se produire précisément en Palestine, qui n’était nullement une terre vide mais une terre où comme partout ailleurs les juifs devraient s’intégrer. Mais cette intégration devait obéir à une stratégie cohérente, rendue impossible par la diversité même des juifs parvenant en Palestine. Nous dirons que c’est le déclenchement d’un antijudaisme arabe avant la création de l’Etat d’Israël du fait d’une immigration juive mal contrôlée qui aura conduit à renoncer à la forme initiale du projet de Foyer Juif en Palestine. Au début du XXe siècle, les populations arabes pensèrent probablement la présence juive dans la région sur le modèle d’un certain judaïsme oriental auquel elles étaient habituées et furent déconcertées par l’afflux de juifs ayant de tout autres profils. Le principe posé par Herzl allait ainsi être validé en Palestine, laquelle n’était pas, comme parfois il était dit, “une terre sans peuple pour un peuple sans terre”.

   Il existe en fait deux antisémitisme et non pas un : d’une part un antisémitisme lié à la structure cyclique des sociétés et qui conduit périodiquement à des tensions qui exigent des aménagements provisoires, au niveau de la visibilité, de la présence, pouvant aller jusqu’à un départ temporaire vers un lieu d’accueil prévu à cet effet et c’est probablement ce que certains sionistes avaient en tête lorsqu’ils parlaient d’un asile de nuit pour les Juifs et d’autre part un antisémitisme conjoncturel provoqué par l’arrivée brouillonne, intempestive, de juifs ayant d’autres attitudes, un autre profil, ce que Herzl voulait éviter en canalisant la misère juive vers le dit asile. Autant dire que la combinaison de ces deux formes d’antisémitisme est explosive et qu’il importerait d’en éviter les effets les plus pernicieux, tout comme l’on s’efforce de contrôler certaines crises boursières. Mais on en arrive à se demander s’il ne faudrait pas repenser les idées de Herzl sur de nouvelles bases, c’est-à-dire dans une autre région du globe, sans pour autant mettre fin à l’expérience israélienne qui est celle d’une implantation juive, parmi d’autres, au sein d’une société donnée, comme c’est le cas notamment en France. Comme nous l’avons dit ailleurs, le fait, pour les Sionistes d’avoir opté pour la Palestine en vue de réaliser cet asile est largement du à une manipulation de la part de certains milieux Chrétiens, notamment anglo-saxons.

   Insistons sur ce point : le judaïsme n’est pas voué à l’errance (Cf. “la condition migratoire du Juifs”, Cahiers du CERIJ), celle-ci n’est qu’un élément existentiel qui est en dialectique avec son enracinement au sein de diverses cultures. Il y a un partenariat juif propre à chaque région et qui n’est applicable, sous la forme qui est la sienne, que pour cette région. Le non respect de ce principe en Israël n’est pas pour rien dans les tensions qui sont apparus avec la population arabo-musulmane locale. L’afflux notamment de juifs russes en totale contradiction avec celle de juifs d’Afrique du Nord, n’est pas une affaire secondaire pour l’étude de l’antisémitisme émanant des populations locales non juives sans parler des tensions également inévitables entre les diverses populations juives devant ainsi coexister.

   Les juifs ne constituent nullement un ensemble homogène et le brassage entre juifs ne s'opère pas si aisément car ils ne sont pas une abstraction, ce qui n’empêche pas, pour autant, évidemment, de réfléchir sur le phénomène juif dans son ensemble. Mais c’est une autre Histoire.

   Que dire de ces populations locales, autochtones, avec lesquelles les juifs, où qu’ils soient, doivent apprendre à vivre ? Cela ne signifie nullement que ces populations soient plus anciennement installées que les juifs mais, du fait même qu’elles ne sont pas juives, un autre rôle leur est imparti, celui du non-juif, du goy. C’est l’idée même d’altérité juive. Idée précieuse en ce qu’elle maintient le principe de la dualité face à une modernité qui l’a dans son collimateur. Il n’est pas question de sacrifier l’identité juive sur l’autel du progrès et de l’abolition des différences, à commencer par celle de l’Homme et de la Femme. Les juifs doivent résister au rouleau compresseur de la laïcité et pas seulement pour eux-mêmes.

   L’idée de demander aux juifs immigrés de repartir, après un temps de répit, vers les cultures respectives dans lesquelles ils ont forgé leur judaïsme, et non pas vers Israël et encore moins vers une énième étape peut certes scandaliser ceux qui sont confrontés à une telle problématique. Mais il nous semble que ce serait la situation la plus raisonnable et la plus adéquate du point de vue de la condition juive.

   Vu que la France a été, depuis un siècle et demi environ (c’est-à-dire depuis les années 1870 avec la naturalisation des juifs d’Algérie, par le décret Crémieux et du fait de l’exil des juifs alsaciens “vers l'intérieur” en raison de l’occupation allemande) l’objet d’un tel processus d’immigration au même titre qu’Israël, le problème s’y pose grosso modo de la même façon. On ne voit pas ce qui empêcherait les juifs russes ayant émigré en Israël, depuis une trentaine d’années, tout au plus, d’envisager à terme de rentrer dans une région où leurs ancêtres se sont acclimaté des siècles durant. Tout cela est à négocier. L’errance est un état provisoire et périodique tandis que la dispersion qui est un tout autre statut est une constante de la présence juive au monde. Ne les confondons pas !

   L’intégration des juifs en France a probablement été mieux menée que celle des juifs en Palestine et notamment du fait de la prégnance de la culture française. Il semble difficile d’y imaginer le maintien d’une population juive aussi disparate, en Israël du fait même qu’elle n’a pas comme vecteur d’intégration une culture en laquelle elle serait susceptible de se reconnaître. Les juifs issus des pays arabes, outre les sabras, ont certainement vocation plus évidente à y demeurer et ce d’autant que leur “retour” vers les dits pays arabes semble compromis, du moins jusqu’à nouvel ordre. Et bien entendu, les juifs des pays arabes demeurant en France pourraient les rejoindre en Israël.

   Nous avons dans notre ouvrage2 signalé le trouble de la France non juive face, notamment au lendemain de la Grande Guerre, à l’afflux d’immigrés juifs, accueillis par les juifs de souche française. On aurait pu envisager que ces immigrés ne restent que provisoirement en France et c’est peut-être en pensant ainsi les choses que leur accueil fut admis. Mais ces immigrés juifs n’étaient, en fait, nullement disposés, à poursuivre leur chemin vers d’autres cieux et s’incrustèrent non pas tant, d’ailleurs en tant que juifs mais en tant qu’immigrés en France.

   Il y avait un vice dans cette démarche de contournement par le biais de la citoyenneté française, c’est que ces juifs devenus citoyens français ne cesseraient pas pour autant d’être juifs et d’être mis dans un seul et même sac avec le reste de la population juive.3

   Faut-il aussi souligner le fait qu’il existe un antisémitisme entre juifs et que celui-ci est précisément lié à ce phénomène de migration d’une entité juive à une autre. En ce sens, sous le label juif, on recouvre des réalités fort différentes qui d’ailleurs ont été formalisées, de façon certes trop globale, sous les qualifications de séfarades et d’ashkénazes, lesquelles restent prégnantes en Israël, les séfarades y étant appelés par les sociologues le Second Israël.

   Pour conclure sur une définition de l’antisémitisme, nous dirons d’abord que celui-ci n’est pas permanent mais cyclique tout comme le peuple juif n’est pas constamment dans l’errance. La présence juive au sein de diverses cultures ne fait pas problème en soi, même si un tel partenariat n’est pas de tout repos, elle exige certes des précautions et des aménagements pour rester sous contrôle. Ce qui fait problème, c’est une migration sauvage au nom d’une judéité universelle et cosmopolite. D’aucuns voudraient trouver d’autres causes à l’antisémitisme pour ne pas reconnaître leur culpabilité migratoire refoulée dans un tel processus, ce faisant ils aboutissent à diaboliser l’antisémitisme, comme un mal chronique et sans remède, s’interdisant, au bout du compte de penser sainement et sereinement la question juive.

   En France comme en Israël, les juifs doivent s’entendre sur une certaine stratégie de communication et s’aligner sur un certain noyau qui incarne une certaine légitimité juive sur place. Or, la société israélienne, il faut le constater, pour ne parler que d’elle, est de plus en plus hétérogène voire communautariste, selon les langues d’origine de ses ressortissants. Cette société est confrontée, qu’elle le veuille ou non, à un monde non juif, tant à l’intérieur des frontières d’Israël que dans son environnement immédiat et il serait peut-être temps d’en prendre conscience. Israël ne fait pas exception.

   L’avantage du modèle des cultures juives plurielles que nous présentons ici tient au fait que nous faisons ainsi apparaître un risque - qui peut être contrôlé - de dysfonctionnement ou de tension qui lui est inhérent et c’est cela qui déclenche ce qu’on appelle antisémitisme. Les juifs ne sont pas des populations qui peuvent migrer comme les autres, leur migration entraîne des problèmes graves pour la dynamique même du partenariat à l’échelle du monde blanc et c’est pourquoi il vaut mieux, en règle générale, les laisser là où elles sont et s’en accommoder. De la même façon, dirons-nous, une femme qui divorce et qui est habituée à vivre avec un homme ne pourra que difficilement s’entendre avec un autre.

Jacques Halbronn
Paris, le 4 mars 2003

Notes

1 Cf. notre fac-similé, in Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed . Ramkat, 2002. Retour

2 Cf. Le sionisme et ses avatars, opus cité. Retour

3 Cf. nos travaux “La problématique identitaire des Juifs français” et “Les juifs immigrés de la deuxième ou de la troisième génération et la France” in Actes du Colloque Hier juifs “progressistes”, aujourd’hui, juifs ?, Paris, Les Amis de la CCE, 1996. Retour



 

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