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Editions RAMKAT




ANTISEMITICA

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Sionisme & colonialisme.
Le juif comme ambassadeur

par Jacques Halbronn

    Dans son ouvrage Semites & antisemites1, Bernard Lewis rappelle que les autorités russes, dans les années 1890, s’occupaient, par l’intermédiaire de leurs consuls, de leurs sujets juifs demeurant en Palestine, et leur accordaient une protection dont ils ne jouissaient certainement pas en Russie. Ce fait nous semble assez significatif d’une certaine instrumentalisation des Juifs2 par les puissances chrétiennes. Ainsi, même l’antisémitisme qui avait fait fuir les Juifs, devenus citoyens de seconde classe, au lendemain des Lois de Mai, conséquence de l’assassinat du tsar Alexandre Ier, se trouvait-il récupéré, non sans un certain cynisme, par le jeu des protections des citoyens européens, dans l’Empire Ottoman. Ainsi, les juifs apparaissent-ils, du fait de leur présence en Palestine, comme le Cheval de Troie des grands pays européens, chacun pour son compte, en terre d’Islam.

   Ainsi, en se débarrassant des juifs, l’Europe faisait-elle coup double puisque les juifs devenaient ainsi, en outre, le prétexte d’un droit de regard sur la Palestine et pas uniquement pour des raisons religieuses (Lieux saints du christianisme). Du bon usage de ses Juifs. On pourrait même se demander si l’antisémitisme n’a pas été parfois suscité par certaines visées coloniales. Faut-il rappeler que les bannissements de personnes condamnées ont largement contribué à développer certaines régions, comme dans le cas de l’Australie, de la Sibérie, ou de la Nouvelle Calédonie ? Cela permettait ainsi de recruter des populations jugées indésirables en les maintenant dans le cadre d’intérêts coloniaux.

   Avec le recul, force est de constater que l’Etat d’Israël est une réussite unique en tant qu’enclave européenne, au coeur du monde arabe. Un processus qui, au demeurant, s’est perpétué bien au delà de la création de l’Etat d’Israël, puisque, après l’arrivée, dans les années 1950 / 1960 de juifs francophones, issus des anciennes colonies du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), l’afflux massif de juifs russophones, au cours du dernier quart du XXe siècle aura montré que c’est l’Europe d’Ouest en Est, d’un bout à l’autre du continent - mais aussi ses anciennes colonies d’Amérique Latine et d’Amérique du Nord - qui fut ainsi concernée, tant il est vrai que les juifs restent objectivement attachés et rattachés à une culture non juive donnée. On peut d’ailleurs se demander si tôt ou tard la société israélienne ne se découpera pas en communautés linguistiques, de la française à la russe, l’hébreu, langue non européenne s’il en est, jouant somme toute un rôle subsidiaire et de façade.3

   Il est bien connu, au demeurant, que les contacts - et notamment les voyages dans les deux sens - sont nombreux entre juifs installés en Israël et juifs restés sur place et donc citoyens de tel ou tel pays européen. Il faudrait certainement comptabiliser ces voyages “touristiques” dans le bilan de l’Alya (c’est-à-dire de l’immigration juive vers la Palestine cisjordanienne4 puis, à partir de 1948, vers Israël)

   Objectivement, tous les pays européens ont des intérêts en Israël par l’intermédiaire de “leurs” Juifs. Cela fait un peu songer à ce qui se passait en Chine, à une certaine époque et à la Révolte des Boxers (1900), sorte d’Intifada déclenchée contre les puissances européennes et réprimée par celles-ci.5 La guerre de 1956, liée à la nationalisation par l’Egypte du Canal de Suez, dû, en 1869, au dynamisme du Français Ferdinand de Lesseps (1805 - 1894), avec la participation de la France et de l’Angleterre, aux côtés d’Israël, est emblématique de ce que nous exposons ici.

   Ce qui empêche de percevoir un tel phénomène tient à une certaine idée que l’on se fait, souvent, des Juifs dont on voudrait oublier que leur raison d’être historique est l’établissement d’un lien de partenariat avec l’une des cultures européennes. Or, pour nous, le cordon ombilical n’est nullement tranché ! Rappelons que le mandat britannique sur la Palestine, au lendemain de la Déclaration Balfour (1917) fut ratifié par la Société des Nations qui était alors la chose de l’Europe. A quand l’entrée d’Israël dans l’Union Européenne, comme ce sera bientôt le cas pour sa voisine Chypre, où les Israéliens vont, depuis longtemps, conclure des mariages laïques à moins précisément de considérer Israël comme une ambassade de l’Europe en pays arabe ?

   Il faudrait réfléchir sur les effets de certaines migrations juives : est-ce que les juifs espagnols qui quittèrent l’Espagne (1492) ne contribuèrent pas à répandre l’hispanité dans le monde Ottoman et musulman ; est-ce que les juifs allemands contraints d’aller vers le monde slave (Pologne, Ukraine) ne véhiculèrent pas avec eux une certaine germanité ? Il faudrait se demander si l’expulsion des Juifs de France, au XIVe siècle, n’aura pas contribué à exporter une certaine francité comme le fit d’ailleurs celle des Protestants, lors de la Révocation de l’Edit de Nantes (1685). L’émigration vers Israël ressemble fort à un tel processus d’Ouest en Est.

   Bien plus, il semble bien qu’une des raisons qui ait conduit certains pays à refuser d’accueillir des juifs allemands persécutés par le nazisme ait été lié au fait que ceux-ci n’en restaient pas moins suspects d’allégeance à l’Allemagne.6

   Contrairement à ce que l’on croit, l’exilé, l’expatrié, restent porteurs d’une culture, d’une langue et en sont, quelque part, les ambassadeurs. Il est peut être temps de dédramatiser l’Histoire Juive à la lumière d’une telle grille. Mais cela implique aussi de renoncer à occulter le passé de l’immigré. Un ambassadeur ne renie pas ses origines, il les assume. Son intégration ne passe pas par le reniement mais par une présence étrangère qui a toute son importance, tant au niveau du pays d’accueil que dans ses rapports avec d’autres ambassadeurs.

   Il s’agit là d’une autre forme d’errance sur laquelle il convient de réfléchir : point l’errance du juif imperméable aux cultures qu’il traverse ou capable d’en intégrer, ad libitum, de nouvelles. Mais une errance qui essaime une culture dont on est issu (espagnole, allemande, pas “juive” ni “universelle”) - un peu comme l’abeille et le pollen. Que grâce aux juifs, une culture donnée puisse rayonner davantage, ce n’est pas là un si mauvais programme.

   On peut se demander, d’ailleurs, si nous ne vivons pas sur un mode tragique une fonctionnalité qui serait en fait tout à fait “naturelle”, mais qui serait mal décryptée. Peut-être que l’altérité juive passe par cette mission d’émissaire qui n’implique aucune assimilation dans le pays où l’on est ainsi dépêché mais au contraire une fidélité au pays mandataire, ce qui a été effectivement le cas pour les juifs espagnols et allemands, en particulier.

   C’est dire combien certains discours relèvent du contresens, quand on nous dit que le juif s’est assimilé quelque part. Il faut raison garder et ne pas jouer sur les mots ou bien prendre le temps et la peine de les redéfinir. Si l’on prend le cas de la communauté juive de France, de nos jours, il y a d’une part des juifs qui représentent la France et qui peuvent en être les ambassadeurs hors de France et il y a des juifs - la majorité - qui représentent d’autres pays et qui en sont les ambassadeurs, en France. Dans un cas, comme dans l’autre, les juifs ont un rapport avec l’étranger, qu’ils y partent ou qu’ils en viennent: on est bien loin de l’image d’une communauté judéo-française d’un seul tenant et niant ses rapports avec l’étranger, au nom d’une certaine idée de la laïcité.

   Si l’on prend le cas de la communauté juive en Israël - on emploie ici le mot communauté dans un sens extrêmement global et non pour y impliquer une quelconque homogénéité - on peut se demander quel est son rôle : ces juifs, venus du monde entier, on sait de qui ils sont les ambassadeurs, mais on ne sait pas forcément à l’adresse de qui. Deux lectures : soit, c’est une réunion d’ambassadeurs, comme dans une conférence internationale, à Genève ou à New York; soit il s’agit d’ “ambassadeurs” des nations européennes auprès du monde arabo-musulman. Il y a là une fonctionnalité à l’oeuvre à laquelle il importe d’assigner un objet et qui risque, autrement, de tourner un peu à vide, non sans quelques effets pervers.

   Pour fournir quelques éléments autobiographiques, ma famille maternelle, de très longue date (Moyen Age) installée en France - a émigré en Argentine, au tout début du XXe siècle, où elle est restée une bonne dizaine d’années. Elle a donc joué son rôle d’ambassadeur de la culture française en Amérique du Sud. Nous même, nous avons vécu un certain temps en Israël, y jouant le même rôle pendant quelque temps. Rien à voir avec l’expérience de juifs immigrés ou descendants d’immigrés et qui sont voués à être ambassadeurs en France de cultures étrangères et dont la logique devrait être inverse.

   Il est important et probablement urgent que l’on ne mette pas tous les juifs dans le même sac : il convient de respecter la spécificité des uns et des autres : qu’un juif immigré en France se présente comme tel et non pas comme incarnant les valeurs de la France car comme nous l’avons écrit dans d’autres textes sur les causes de l’antisémitisme7, on doit éviter de brouiller l’image des Juifs en présentant comme ne faisant qu’un ce qui relève tout au contraire de la pluralité. Il ne s’agit pas de refuser aux juifs venant d’ici ou d’ailleurs d’être en France et il est tout à fait normal qu’un ambassadeur en France parle le français et connaisse la culture française, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il doive rechercher la confusion et l’amalgame car cela est bien une cause majeure d’un certain antisémitisme assez justifié, celui-là, faut-il l’avouer.

   Sans vouloir réhabiliter l’antisémitisme, on peut se demander si la meilleure manière de l’exorciser ne serait pas de l’inscrire dans une fonctionnalité, à savoir le rappel aux juifs de leur statut d’ambassadeurs qu’ils ont parfois trop tendance à oublier, à négliger sinon à refouler, que ce soit chez les juifs de souche française qui refusent d’aller représenter la culture française à l’étranger ou chez les juifs immigrés ou issus de l’immigration vers la France et qui refusent de se relier avec la culture dont ils sont issus et ne veulent plus entendre parler que de la France.

   On voit en tout cas ce que l’expression “culture juive” a de pernicieux, sauf à l’appréhender dans le sens d’une expérience et d’une présence spécifique au monde. Le sionisme a contribué à embrouiller le débat : quand on parle de nos jours de la culture d’origine des Juifs, l’on tend de plus en plus à penser au Proche Orient, à la Bible. Qu’il soit bien clair que nous entendons ici tout autre chose, à savoir la culture “non juive” représentée par tel groupe juif immigré. Il importe de souligner qu’il y a des juifs qui peuvent être les ambassadeurs de la culture française, qui ont vocation pour maintenir leur rapport à la France, à l’étranger et non pas à s'intégrer- mais seulement à intégrer - des cultures non françaises. On peut d’ailleurs se demander si cette fonction ne devrait pas leur être plus largement réservée, alors que visiblement elle est assumée de nos jours, le plus souvent, par des non juifs ou par des juifs dont la culture ne s’enracine pas en France. Et le raisonnement vaudrait pour d’autres pays que la France. Il est vrai que l’image du juif français est souvent celle d’un immigré et que même entre juifs, on se demande volontiers d’où l’on vient. En revanche, quand on est à l’étranger, et notamment en Israël, la référence à la France comme point d’origine fait plus sens même si ceux qui l’utilisent n’ont parfois qu’un rapport superficiel - plus juridique qu’historique - avec celle-ci.

Jacques Halbronn
Paris, le 10 mars 2003

Notes

1 Publié à Londres, Phoenix Giant, 1997, p. 168 et 174. Retour

2 Cf. le dossier de ce nom, Cahiers du Cerij.org. Retour

3 Cf. notre étude sur la question linguistique en Israël, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour

4 Le terme Cisjordanie n’étant pas à l’origine réservé à la région Judée-Samarie mais à toute la Palestine occidentale, par opposition à la Transjordanie. Retour

5 Cf. le film, Les 55 jours de Pékin. Retour

6 Cf. B. Avishai, The tragedy of Zionism, New York, 2002, p. 162. Retour

7 Cf. le Site Ramkat.free.fr. Retour



 

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