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ANTISEMITICA |
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Désenclaver l’antisémitisme :
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La particularité de l’antijudaïsme du XIXe siècle est qu’il fait partie d’une croisade plus vaste, pas seulement centrée sur les Juifs et en cela il se distinguerait de l’antijudaisme du XXe siècle, plus ciblé, qui semble plutôt englober diverses aspects de la présence juive au monde et notamment le sionisme et ne désigne pas d’autres adversaires.
Il semble donc que l’antisémitisme soit le fait d’un certain amalgame ou si l’on préfère que l’on serait passé de l’antijudaïsme à l’antisémitisme par quelque biais caractérisé par les effets de la Révolution Française.
L’antisémitisme serait la chose des adversaires de la Révolution et c’est pour cette raison qu’il fut d’abord lié à d’autres griefs portés contre celle-ci. La question juive est mise en avant pour souligner l’échec de la dite Révolution, mais c’est d’abord et avant tout à la Révolution que l’on s’en prend. Quant aux Maçons, ne sont-ils pas les pères de cette Révolution, auxquels on doit la détestable devise Liberté, Egalité, Fraternité, notamment ?
Il est significatif que l’on ne s’en prenne pas d’abord aux juifs isolément, ce qui tient probablement au modèle diasporique, qui implique une certaine intégration des Juifs dans le tissu social. Par la suite, avec l’essor du sionisme, le facteur juif va s’isoler, à la demande même des sionistes et de Herzl proclamant l’existence d’un peuple juif, d’un seul tenant.
Il faut encore associer à cette période d’un judaïsme inscrit au sein d’un ensemble plus vaste, l’idée même de sémitisme qui donnera par la suite son nom à l’antisémitisme. Dans un premier temps, les juifs ne sont présentés que comme faisant partie d’une famille linguistique, celle des langues sémitiques, laquelle s’opposerait à celle des langues indo-européennes ou aryennes. Mais peu à peu, comme pour l’amalgame judéo-maçonnique, l’amalgame sémitique va déboucher sur la seule cible du judaïsme. On sait que les nazis entretiendront des relations bien différentes avec les arabes et avec les juifs.1
Tout se passe comme si le XIXe siècle s’était interdit de s’en prendre directement et surtout exclusivement aux Juifs mais visait des ensembles plus vastes, ce qui se conçoit épistémologiquement, la catégorie Juifs n’étant pas forcément perçue comme pertinente en soi.
Mais à partir du moment où émergea l’idéologie sioniste, cette catégorie finissait par exister en tant que tel, ce qui permettait en pratique de ne plus aborder la question juive au sein d’un ensemble plus vaste. En 1904, A. Alhaiza, déjà cité, termine sa diatribe2 ainsi : Et vous Maçons (...) libre à vous d’aller rejoindre à Sion Judas votre digne fondateur et Grand Maître. Sûrement aucun Français patriote et honnête ne vous regrettera. (p. 16)
En tout état de cause, un texte comme celui qui, tardivement, finira par porter le nom de Protocoles de Sages de Sion n’avait probablement pas tant été conçu pour incommoder les juifs que les non juifs, du moins ceux susceptibles d’être soupçonnées de travailler pour les dits juifs. L’inconvénient d’une telle approche est d’étendre le soupçon à un ensemble plutôt mal circonscrit. Avec l’ère post-sioniste, c’est-à-dire faisant suite à la mise en place de l’idéologie sioniste, il semble que l’on ait tendu à ne plus se focaliser que sur les Juifs, ce qui était sensiblement plus facile à gérer et à délimiter, mais ce faisant les attaques n’atteignaient plus les Franc Maçons mais les Juifs et le problème de la maçonnerie restait entier, tout comme celui des Protestants. D’une certaine façon, ces deux dernières populations ont du se sentir soulagées que tout le poids ne pesât plus que sur les Juifs, et qu’elles aient été dédouanées.
Le caractère antimaçonnique des Protocoles
S’il est, en effet, un point acquis que les Protocoles des Sages de Sion sont inspirés d’un ouvrage de Maurice Joly, paru sous le Second Empire, la question est de savoir s’il s’agit là d’une source directe ou s’il existe un chaînon intermédiaire.3
En effet, le passage immédiat du pamphlet français avec un texte antisémite pose problème et il ne faudrait pas sauter des étapes, faute de quoi on arriverait, en Histoire des textes, à de bien étranges filiations, ne respectant le véritable processus de formation et télescopant des états intermédiaires.
C’est pourquoi, nous pensons que l’on peut désormais considérer comme insuffisante la thèse du rapprochement Dialogue de Joly / Protocoles, comme on la voit présentée et ressassée un peu partout4, tout comme d’ailleurs on ne saurait occulter le fait que l’essor du sionisme, à la fin du XIXe siècle, constitua un moteur significatif de la production du texte connu sous le nom de Protocoles des Sages de Sion. On aurait été alors dans une première forme d’antisionisme, dirigé non contre la présence juive en Palestine mais contre le mouvement sioniste avec ses ramifications internationales.
Quand bien même, en effet, les Protocoles des Sages de Sion appartiendraient-ils de facto à la littérature antisémitique, cela ne signifie pas que la vocation première du faux en question en relève directement. En effet, selon nous, l’ensemble appartiendrait plutôt, dans sa préhistoire, à la littérature antimaçonnique et n’aurait évolué qu’ultérieurement vers le genre proprement antijuif.
Il conviendra donc de montrer dans quelle mesure les Protocoles offrent de similitude avec l’argumentation antimaçonnique ou si l’on préfère, comment par leur truchement l’antisémitisme aurait récupéré un discours antimaçonnique, se serait antimaçonnisé, ce qui serait, finalement, leur apport principal et la base même de leur succès.
Les Protocoles comme texte démaçonnisé
Nous ne reviendrons pas sur le détail de notre démonstration.5 Selon nous, l’ouvrage de Joly aura servi à rédiger un texte antimaçonnique. On serait ainsi passé d’un dialogue imaginaire aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu à un débat tout aussi imaginaire au sein d’ une assemblée maçonnique puis seulement, par la suite, à une transposition au sein d’une assemblée judaïque voire sioniste. On connaît certes l’existence d’une littérature antijudéo-maçonnique6 qui souligne le rapprochement entre deux courants, et les Protocoles appartiennent à cette littérature plutôt qu’à celle plus générale de l’antijudaïsme ou de l’antisémitisme.
La différence est importante en ce qui concerne l’objectif poursuivi par la littérature antimaçonnique et cela n’est plus guère perçu quand on lit de nos jours les Protocoles des Sages de Sion. On serait passé de la thèse d’une population non juive contrôlée par les juifs à une attaque directe et exclusive dirigée contre les Juifs et il serait intéressant de comprendre les raisons d’une telle évolution, d’un tel décrochage. Si l’antimaçonnisme date, en revanche, l’antisémitisme est toujours florissant. En ce sens, les Protocoles des Sages de Sion seraient la contrefaçon d’un texte antijudéomaçonnique remanié, retouché, pour ne plus être qu’antisémite.
Quand on parle de la circulation des Protocoles des Sages de Sion en Russie, la question se pose de savoir si l’on visait ainsi les juifs ou les franc-maçons ou supposés tels. Il semble bien que le faible nombre de Juifs en France encore dans la seconde moitié du XIXe siècle - autour de 100.000, pour environ 40 millions de Français - ait semblé quelque peu disproportionné. Il apparaît ainsi qu’il y ait eu syncrétisme et que les menaces respectives représentées par les Juifs et par les Franc Maçons, lesquels ne se fréquentèrent guère à une certaine époque7, aient été pour ainsi dire combinées comme constituant un seul et unique ensemble, d’où l’expression de judaïsantes pour des personnes à la solde des Juifs. Les juifs, au demeurant, étaient considérées comme aisément identifiables à la différence de leurs créatures. Celui qui est visé serait plutôt un judaïsant aux fonctions les plus en vue car Judas n’opère bien qu’au moyen d’intermédiaires et il sait y mettre le prix. Mais c’est lui qui dirige dans les coulisses.8 Un Adolphe Crémieux personnifiait ce lien entre Maçonnerie et judaïsme. Un certain Ansonneau9 écrit encore en 1924 : La Franc Maçonnerie qui est incontestablement d’origine juive est pour les Israélites un instrument d’action et de combat dont ils se servent secrètement. Les Juifs, si remarquables par leur instinct de domination, par leur science innée du gouvernement ont crée la Franc Maçonnerie afin d’y enrôler les hommes qui n’appartiennent pas à leur race, s’engageant néanmoins à l’aider de leur oeuvre et à collaborer avec eux à l’instauration du règne d’Israël parmi les hommes (p. 7) La fondation de l’Alliance Israélite Universelle, en 1860, allait plus encore peut être que le sionisme renforcer une telle représentation d’un Juif voulant étendre son influence sur le monde entier.
Ainsi, une campagne visant à se méfier d’une partie de la population non juive se serait transformée en une remise en question de la seule présence juive, cette fois travaillant pour son propre compte. En fait, à partir du moment où les Juifs eux- mêmes, du moins par le truchement des Sionistes admettaient la possibilité d’un départ, ils se désignaient ipso facto comme bouc émissaire. Sans l’existence d’ un sionisme - tant juif que chrétien d’ailleurs - on serait probablement resté avec un diagnostic de paranoïa chez ceux qui exprimaient une telle crainte diffuse et mal définie. En revanche, le sionisme allait confirmer, aux yeux de ces dénonciateurs du “trio”, la justesse de tels propos, à savoir la pseudo-intégration des Juifs en France. En acceptant l’hypothèse d’un départ, les Juifs ou du moins ceux qui prétendaient parler en leur nom, apparaissaient comme le maillon faible et dès lors le texte anti maçonnique pouvait-il se transformer en Protocoles des Sages de Sion. Katz note : au début les Franc Maçons étaient nommés les premiers, les Juifs en second ; par la suite, en Allemagne surtout, le slogan devint Juifs et Franc Maçons. (p. 259)
A vrai dire, il est quelque peu insolite de voir des Catholiques accuser leurs adversaires directs Protestants et Maçons de collusion avec les Juifs, en pratiquant l’amalgame avec ces derniers ; dans la mesure même où le christianisme n’est pas lui-même épargné de par son caractère de nouvel Israël. Un Eliphas Lévi, ésotériste, cité par un Nilus, commentateur des Protocoles, aura d’ailleurs renforcé cet amalgame entre judaïsme et maçonnerie mais ce faisant on peut se demander si un tel amalgame n’était pas somme toute favorable aux juifs car dès lors que la société était ainsi judaïsée bien au delà du noyau juif, le fait d’évacuer les juifs n’aurait pas régler le problème : devant l’ampleur de la tâche inquisitrice, on ne pouvait que déclarer forfait. Il se produisit donc un étrange processus : on reprocha à la fois aux Juifs de rayonner sur toute une partie de la société environnante, puis on laissa entendre qu’il suffirait de s’en prendre aux Juifs pour que le problème fut réglé.
On comprend que le seul fait de laisser entendre qu’un texte ait pu être conçu, dès son origine comme visant les seuls juifs constitue un contresens et un anachronisme, et que l’on saute ainsi un chaînon. Rappelons qu’un scandale comme celui de l’Affaire Dreyfus n’aurait pu avoir lieu dans la Russie tsariste en raison même de la non accession des Juifs à des positions éminentes dans l’armée.
Selon nous, le texte de Joly ne fut donc pas utilisé directement pour élaborer un texte anti-juif, visant une population bien précise comme c’était le cas en Russie où les Juifs étaient nettement moins assimilés qu’en France, mais bien pour constituer un texte anti judéo-maçonnique visant la situation française post-révolutionnaire. C’est à partir de ce document anti-judéomaçonnique valant pour la société française (dont les ouvrages de Gougenot des Mousseaux et de Chabauty sont l’expression la plus frappante) et offrant de fait un processus d’assimilation pouvant inquiéter que les Russes élaborèrent les Protocoles des Sages de Sion, s’inspirant par ailleurs du phénomène sioniste, lequel au demeurant était marqué par la situation des Juifs en Europe Orientale. La comparaison entre la situation des Juifs dans ces deux parties de l’Europe, à la fin du XIXe siècle, montre assez la nécessité de telles retouches, mais il n’en reste pas moins que c’est dans ce va et vient entre ces deux espaces que le sionisme et l’antisémitisme modernes se constituèrent dialectiquement.
A propos d’antisémitisme, force est de constater que on a attribué à un élément - les Juifs - les attributs de l’ensemble initialement concerné tout comme on a fini par réserver les attaques contre le judéo-maçonnisme aux seuls Juifs.
Jacques Halbronn
Paris, le 30 mars 2003
Bibliographie
- L. Nefontaine et J. Ph. Schreiber, Judaïsme et franc-maçonnerie, Histoire d'une fraternité, Paris, Albin Michel, 2000.
- Chabauty (alias C. C. De St andré), Franc Maçons et Juifs. Sixième âge d’après l’Apocalypse, 1886.10
- Chabauty, Les Juifs, nos maîtres, Paris, 1882.
- P. Copin-Albancelli, Le drame maçonnique. La conjuration juive contre le monde chrétien, Paris, La Renaissance française, 1909.
- Joseph de Gobineau, Essai sur l’Inégalité des races humaines, 1853 - 1855.
- Gougenot des Mousseaux, Le Juif et la judaïsation du peuple chrétien.
- Ansonneau, Juifs, Franc Maçons et Libres penseurs, 1924.
- J.- F. Debauge, La vermine. Franc Maçons, Révolutionnaires, Libres penseurs, Juifs, politiciens, Paris 1890.
- Léon Meurin, La Franc Maçonnerie, synagogue de Satan, Paris, V. Retaux, 1893.
- Die Juden als Freimaurer. Zur Beleuchtung der gegenwärtige Krisis innerhalb des deutschen Maurerthums, Leipzig, 1893.
- Jakob Katz, Juifs et Franc Maçons en Europe (1723-1939), Paris, Cerf, 1995.
- J. Halbronn, Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002.
- J. Halbronn, Le texte prophétique en France, Villeneuve d ‘Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002.
- J. Aper, Le trio Juifs, Franc Maçons, Protestants, Paris.
- D. Beresniak, Juifs et Franc Maçons, les bâtisseurs de temples, Le Rocher, 1998.
- J. Halbronn, Antisémitisme et occultisme en France, aux XIXe et XXe siècles, Revue des Etudes Juives, 1991.
- Juifs et Franc Maçons. De l’identité de leur programme, Extrait de La Croix, 1887.
- Al Haiza, Juifs et Franc Maçons, Paris, La Rénovation, 1904.11
- E. Ecker, Der Freimauer-Orden in seiner wahrer Bedeutung, 1847.
- B. Lewis, Semites & Antisemites, An inquiry into conflict and prejudice, Londres, Phoenix, Giant, 1997, pp. 23 et 108 et seq.
Notes
1 Cf. B. Lewis, Semites & Antisemites. Retour
2 Cf. Juifs et Franc Maçons. Cf. Juifs et Franc Maçons. Retour
3 Cf. Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin et Le texte prophétique en France, formation et fortune, Vol. 1. Retour
4 Cf. B. Lewis, Semites & Antisemites, An inquiry into conflict and prejudice, pp. 23 et 108 et seq. Retour
5 Cf. Le sionisme et ses avatars, opus cité. Retour
6 Cf. bibliographie in fine. Retour
7 Cf. J. Katz, Juifs et Franc Maçons en Europe (1723 - 1939). Retour
8 Cf. Al Haiza, Juifs et franc maçons, Paris, 1904. Retour
9 Cf. Juifs, franc maçons et libres penseurs, BNF, 8° Lb57 18385. Retour
10 Cf. BNF, 16° H 537. Retour
11 Cf. BNF, Lb57 13582. Retour
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