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HYPNOLOGICA

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Les clivages : le conjoncturel et le structurel

par Jacques Halbronn

   Nous vivons dans un monde qui distingue mal les clivages nécessaires et ceux qui sont contingents et en fait qui confond souvent, délibérément ou non, le structurel et le conjoncturel.

   Disons que le structurel est fonctionnel tandis que le conjoncturel est existentiel, ce qui lui confère une réalité inversement proportionnelle à sa fonctionnalité. Le conjoncturel recouvre la plupart du temps le structurel et au demeurant lui ressemble singulièrement.

   Il est des événements conjoncturels, une guerre et des événements structurels, des élections législatives. La guerre peut certes correspondre à un moment important mais elle ne correspond pas pour autant à une nécessité sociale tandis que les élections, à intervalles réguliers, sont constitutives de la vie politique d’un pays.

   Il est aussi des clivages conjoncturels du fait de l’immigration laquelle va générer une population se distinguant voire s’opposant à la population locale, en quelque sorte sédentaire. Mais cette population dite étrangère n’est pas néanmoins structurelle, même si on peut essayer de lui trouver quelque utilité En revanche, d’autres clivages sont, eux, structurels tel celui entre hommes et femmes. Ce n’est pas un luxe, ni un hasard de l’Histoire, c’est une nécessité.

   Or, une société ne saurait impunément voir se substituer le conjoncturel au structurel. Mais les tentations sont fortes en ce que le conjoncturel a une présence plus obvie, plus tangible, il nous interpelle et nous ne pouvons l’ignorer, il semble incontournable et pourtant ce n’est pas l’essentiel, ce n’est pas ce qui fait tourner la société, ce qui la fait être ce qu’elle est et la maintient à flots.

   Le problème, on l’a dit, c’est que le conjoncturel a tendance à prendre la place du structurel alors qu’il n’occupe de fait qu’une position périphérique. Le structurel existe malgré le conjoncturel, non grâce à lui. Il peut certes être menacé par le conjoncturel mais tôt ou tard il le digère, le résorbe.

   Ce qui n’est pas le cas du structurel qui a vocation à persister, à perdurer et en ce sens il est plus fiable, il ne risque pas de se dissoudre. On nous objectera que cette dissolution serait une bonne chose; ce serait oublier que la raison d’être d’un clivage structurel n’est pas de disparaître, de se fondre dans le paysage, mais de se maintenir. On ne peut quand même pas compter, à chaque coup, sur une guerre pour rythmer la vie sociale, à intervalles réguliers, on ne peut pas compter davantage sur une population en situation instable qui va soit se mélanger avec le reste de la population, soit repartir vers d’autres horizons, anciens ou nouveaux.

   Le structurel serait au demeurant la systématisation d’éléments conjoncturels, leur apprivoisement, leur institutionnalisation. Les campagnes électorales remplaceraient les campagnes militaires, les clivages internes prendraient le relais des clivages externes, comme une sorte de vaccin.

   Autrement dit, les sociétés auraient mis en place des structures à partir des conjonctures dont on aurait apprécié le rôle mais en cherchant à en faire un système.

   En ce sens, le Juif serait comme une sorte d’étranger structurel, de l’intérieur et c’est probablement pour cela qu’on tend à le confondre, avec plus ou moins de bonne foi, avec l’étranger conjoncturel, c’est à dire l’immigré.

   Or, dans la France d’aujourd’hui, il y a péril en la demeure en un certain refus -une réticence certaine - de distinguer ces deux modes d’être étranger. Il faut avouer que les Juifs de France contribuent au quiproquo eux dont la communauté comporte, notamment depuis l’Entre Deux Guerres, puis du fait de la décolonisation, une telle proportion d’immigrés, ce qui contribue à brouiller le distinguo.

   D’où l’urgence du recours à la grille que nous proposons pour gérer une situation présentant une certaine ambiguïté, c’est à dire qui se prête à diverses lectures.

   Le juif doit contrôler son image et s’affirmer comme étranger structurel, c’est à dire voulu par le système. Mais on conçoit la conflictualité opposant étranger structurel et étranger conjoncturel: le premier démontrant l’inutilité du second et le second ayant une lisibilité différentielle plus forte que le premier encore que l’on ait souligné l’actuel mélange, au sein de la communauté juive de structurel et de conjoncturel, du fait de l’immigration vers la France. Mais on pourrait aussi affirmer que cette communauté juive renforce ainsi son statut polariseur, c’est à dire de second pôle.

   Un nouvel antisémitisme consistera, bien entendu, à contester aux Juifs le monopole de l’étranger reconnu et officiel et le dit antisémitisme émanera évidemment des étrangers conjoncturels.

   En réalité, l’étranger conjoncturel se trouve placé -du moins en apparence - en face d’un choix : soit s’intégrer dans la population locale majoritaire, d’ascendance sinon de culture chrétienne, soit occuper le pôle de l’altérité assumé traditionnellement par les Juifs et de le consolider numériquement. Cela expliquerait notamment le comportement des Musulmans en France qui semblent avoir freiné leur intégration du fait d’une sorte d’hésitation entre deux voies possibles, un peu à la façon de l’âne de Buridan.

   Un tel choix est rendu d’autant plus complexe que les musulmans ne sont pas sans quelques points communs avec les Juifs, ne serait-ce que par la langue - sémitique, d’où le terme antisémitisme qui semblerait les rapprocher - et la provenance à cela près que le rapport des Juifs avec ces deux éléments restent largement virtuels chez les Juifs de France et que le parallèle est plus apparent que réel.

   On voit que le conflit judéo-arabe n’est pas réservé au Proche Orient. Il comporte également des enjeux en France, que l’on ne saurait minimiser. Le dilemme, pour les musulmans, c’est qu’on peut leur reprocher à la fois de par trop s’intégrer et de ne pas le faire assez, en une sorte de cote mal taillée.

   Bien des observations militent en faveur de la thèse d’un mimétisme musulman à l’endroit des Juifs, en France, ce qui expliquerait le maintien d’un certain particularisme allant apparemment à l’encontre d’une intégration en bonne et due forme: on pense notamment au maintien de prénoms arabes même au niveau de la dernière génération de beurs. Notons d’ailleurs ce qu’il y a de - faussement - convergeant, quelque part, entre les expressions populaires: beurs et feujs (pour juifs, en verlan).

   Pour notre part, il n’y a là qu’apparences : nous ne pensons pas, en effet, que l’on ait pris la juste mesure de l’apport juif. L’étranger structurel se distingue en effet considérablement de l’étranger conjoncturel. La part des Juifs dans l’essor de la société occidentale - sur le plan scientifique, artistique, intellectuel - est sans commune mesure avec la part des Musulmans.

   Dès lors, le décalage entre musulmans et chrétiens en France - pour faire simple - nous semble plus diachronique que synchronique, c’est à dire qu’il est temporaire, passager et ne semble pas pouvoir remplir de véritable fonction dialectique, de catalyseur comme c’est le cas pour les Juifs.

   En revanche, comme nous l’avons écrit par ailleurs, les Juifs peuvent parfaitement être les étrangers structurels au sein de la société musulmane comme ils le furent par le passé. Et c’est précisément parce qu’ils peuvent l’être qu’ils ne sauraient se retrouver, jamais, du même côté.

   On risquerait ainsi, selon nous, en France, de voir les Juifs jouer doublement le rôle d’étranger structurel : pour les Chrétiens et pour les Musulmans, charge qui serait singulièrement lourde à porter pour les quelque 500.000 Juifs y demeurant !

   Car pour les Musulmans, il semble bien - sensation qui ne peut qu’être renforcée par le conflit qui pourrit au Proche Orient - qu’ils aient besoin d’un étranger structurel. Ils ne sont pas, préparés, mûrs pour assumer, pour leur part, un tel rôle.

   C’est l’occasion de souligner le fait que les clivages structurels ne s’improvisent pas, qu’ils sont le fruit de siècles, voire de millénaires. Le XXe siècle a été celui de toutes les confusions du fait des revendications féminines ou de celui des effets de la décolonisation déclenchant des processus de migration. Il aura également été marqué par deux guerres mondiales qui ont pu apparaître aux yeux de certains comme une nécessité en tout cas comme un découpage, un repérage, pertinents du temps.

   Nous ne voyons donc nullement le siècle qui s’ouvre comme amplifiant ce processus de transgression ou de substitution des clivages structurels, tant dans l’espace que dans le temps social, par d’autres conjoncturels.

   Le XXIe siècle -on a des raisons de l'espérer- rétablira une conscience forte des clivages structurels. L’avenir de l’humanité se jouera largement en un décryptage - et non un dépassement - de son passé. Inversement, les clivages conjoncturels - guerres, migrations - apparaîtront comme des configurations qu’il est impératif de contrôler et de juguler.

   Passé le cap de cet An 2000 qui a pesé sur le XXe siècle comme une sorte de fin des temps, le nouveau siècle retournera à une certaine quête de permanence structurelle. Si la technologie constitue en effet un modèle peu ou prou linéaire, sans retour en arrière, en revanche, l’humanité affirmera une certaine constance, une permanence, une fois la dialectique de ses fonctions maîtrisée. Faute de quoi, la dite humanité risque fort de dériver indéfiniment, au fil du “progrès” des machines jusqu’à laisser, à terme, le pouvoir à celles-ci.

   Il revient probablement aux Juifs de jouer le rôle de sentinelles et ne doutons pas que la part des Juifs dans la réflexion intellectuelle du XXIe siècle ne sera pas inférieure à celle qui fut la leur au siècle précédent. A condition, bien entendu, que ces Juifs que l’on dit diasporiques ne renoncent pas à assumer une certaine dualité et force est de constater que le sionisme, dont l’essor coïncida avec l'avènement du XXe siècle, est l’expression sinon d’un refus du moins d’un doute quant à la possibilité pour les Juifs de continuer à être l’autre - et cela n’a pas été pour peu dans le brouillage de l’image des Juifs.

Jacques Halbronn



 

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