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La sexuation au regard de la grammaire :
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Dans chaque culture, il est des façons de faire qui sont jugées féminines et d’autres masculines, cela vaut pour l’habillement, la coiffure, mais aussi parfois pour l’alimentation. Au Brésil, par exemple, certains mets sont encore réservés aux hommes ou aux femmes. Mais c’est au niveau du langage que la différence reste la plus marquée. La grammaire de la plupart des langues ne distingue-t-elle pas un genre masculin et un genre féminin, il est vrai de façon plus ou moins marquée ?
Dans les langues sémitiques, par exemple, la morphologie du verbe est différente selon que l’on s’adresse à un homme et à une femme : on ne dis pas tu manges de la même façon à un homme et à une femme, alors qu’en français, cela n’apparaît qu’au passé composé, sous une forme adjectivée : tu as été surpris (e), tu l’as trouvé(e) etc. On notera en outre qu’à l’oreille cela s’entend à peine en français, beaucoup plus nettement dans d’autres langues latines. En effet, le français ne marque pas fortement les genres en affectant le suffixe o au masculin et a au féminin. L’anglais, non plus, d’ailleurs qui préfère souvent une forme neutre, unisexe, probablement sous l’influence mal comprise de son mimétisme envers le français. La langue anglaise, sous sa forme moderne franco-anglaise, qui est devenue la langue mondiale, semble donc ne plus être en mesure de marquer le féminin par rapport au masculin, hormis toutefois dans l’opposition, à la troisième personne du singulier entre he et she, mais pas au pluriel.
Il faudrait évidemment ajouter l’opposition qui subsiste en anglais entre man et woman, mais qui est d’ordre lexical plutôt que grammatical, encore que cette distinction structurelle soit parfois discutable. Il est clair que les marques lexicales y restent fortes entre boy & girl, father & mother, husband & wife, Sir & Madam etc. mais en quelque sorte résiduelles.
Nous voudrions insister, dans cette brève étude, sur d’autres aspects plus subtils et qui concernent les marqueurs de temps. On se demandera, à la lumière de nos recherches sur la psychologie féminine, si les différences de temps, au niveau grammatical, ne trouvent pas leur origine dans la sexuation. Autrement dit, est-ce que la sexuation qui est identifiée au niveau synchronique ne peut pas l’être également, symétriquement, au niveau diachronique ? Nous entrons dans un domaine qui relève de la psycholinguistique.
On se demandera, en effet, si à l’origine des marqueurs de temps, au sein de la plupart des langues, il n’y a pas un enjeu propre à la sexuation mais qui n’est plus identifié comme tel, tout en se maintenant pleinement dans la pratique langagière et en ce sens, l’anglais ne serait pas si peu sexué qu’il pouvait sembler l’être au premier abord.
La plupart des langues semblent initialement marquées par deux temps principaux: le passé et l’inachevé, qui engloberait le présent et le futur. Il y a en effet deux situations : soit on parle de ce qui a déjà eu lieu, soit on parle de ce qui n’a pas encore eu lieu, est en gestation.
On nous accordera que nous ne vivons pas ces deux temps de la même façon, notamment au niveau mémoriel. Quand on raconte ce que l’on a fait la veille, il s’agit avant tout de se souvenir mais surtout la participation d’autrui ne peut qu’être passive puisque seule la personne qui raconte sait de quoi il retourne; on peut tout au plus lui poser des questions. Le mode interrogatif en ce sens est en rapport avec le temps du passé. On dira: qu’as-tu fait hier soir ? Certes, on peut demander : que fais-tu demain ? Mais cela reste beaucoup plus ouvert et cela se discute.
On concevra que le recours fréquent au temps du passé ne facilite guère l’interaction ou en tout cas la facilite sensiblement moins que le recours à l’inachevé. Le futur et le présent relèvent plus d’une concertation et du on : qu’est-ce qu’on fait ? En effet, le passé relève d’un vécu personnel tandis que le futur correspondrait davantage à un projet commun qui ne s’individualise qu’a posteriori. D’une façon générale, le passé individualise davantage que le futur.
Et c’est ainsi que pour nous le passé sera considéré comme plutôt féminin et individuel et le futur comme plutôt masculin et collectif. Bien plus, parler du passé sépare les gens, chacun ayant son témoignage spécifique, tandis que parler du futur les rapproche, en ce qu’ils seront amenés à tenter de construire l’avenir ensemble.
Autrement dit, grammaticalement, le passé serait le temps de la femme et l’inachevé, le temps de l’homme. Quand des femmes parlent, elles utilisent plus souvent le temps passé que les hommes. Elles aiment à raconter ce qui leur est arrivé, comment elles ont passé leur temps et ce récit n’appartient qu’à celui qui le tient, il isole : d’un côté celle qui sait de quoi elle parle, de l’autre, ceux qui écoutent ou se renseignent. En revanche, selon nous, les hommes s’exprimeraient plus volontiers au futur et donc dans une projection collégiale, chacun ayant voix au chapitre puisque le futur est inconnu, que personne ne peut prétendre le connaître.
Les femmes, d’ailleurs, sont fascinées par le futur mais plutôt que de le penser comme quelque chose à construire, elles préfèrent souvent s’adresser à des voyants qui leur révéleront, du moins ce qui est supposé, ce qui va arriver comme si c’était déjà arrivé, c’est à dire qu’ils parleront du futur au passé.
On l’a dit, le passé fait appel à la mémoire, est plus objectif, tandis que le futur fait appel à l’imagination, à l’invention, est plus subjectif. On peut ainsi montrer un film relatant ce qui s’est passé, on est dans le domaine technologique. Il ne saurait en être de même pour le futur, sauf dans une oeuvre de science fiction qui singe en quelque sorte le passé.
Ce distinguo grammatical, qui peut être appréhendé statistiquement au niveau des fréquences au sein des discours des uns et des autres, confirme que l’on ne saurait confondre le masculin et le féminin, qu’ils correspondent à des logiques sociales différentes et à des mécanismes mentaux voire cérébraux distincts.
Le futur est quelque chose de plus abstrait que le passé et il est assez facile d’admettre que le futur est moins accessible à la machine que ne l’est le passé. Car évoquer le passé, c’est se situer dans une posture répétitive tandis que le futur correspond à une démarche spéculative.
En fait, les choses sont plus complexes dans la mesure où il y a un passé bien connu ou qui peut sembler tel et un passé hypothétique qui ressemble fort au futur. Quelqu’un peut raconter ce qu’il a vécu mais tout ce qui s’est passé ne fait pas nécessairement l’objet d’un témoignage fiable. Le domaine scientifique, notamment, appartient au passé mais c’est un passé répétitif qui concerne aussi l’avenir. Au passé s’oppose le mode conditionnel, qui implique de supposer. Le passé féminin est plus ponctuel, il est de l’ordre de la mémoire personnelle et se distingue d’un passé collectif toujours en devenir dans la perception que l’on se fait de lui.
Selon nous, on pourrait donc identifier un locuteur selon son discours. Imaginons que l’on enregistre une centaine de personnes en train de parler et que l’on retranscrive leurs propos; sans que l’on puisse avoir ni les voix, ni les visages, nous pensons que l’analyse grammaticale suffirait à déterminer s’il s’agit d’un homme ou d’une femme et cela, même sans entrer précisément dans le contenu des propos et n’accordant de l’importance qu’aux temps et aux modes grammaticaux.
La grammaire serait donc sexuée au niveau diachronique et pas seulement au niveau synchronique et l’on pourrait parler d’un temps féminin (le passé) et d’un temps masculin (l’inachevé) et tout se passe d’ailleurs comme si en pratique ce clivage s’était maintenu. L’homme éviterait l’usage du passé, la femme ne fréquenterait que médiocrement le futur et cela serait encore plus flagrant lors d’échanges entre hommes d’une part et entre femmes d’autre part, étant entendu que les échanges mixtes seraient moins prévisibles.
Si l’on force des femmes à parler de l’avenir, on verra qu’à la première occasion, elles trouveront un prétexte pour revenir vers le passé. Inversement, si l’on force les hommes à parler de leur passé, on peut s’attendre à ce que tôt ou tard le besoin de trouver un terrain d’entente les fasse à nouveau se projeter sur l’avenir. Chassez le naturel, il revient au galop, disait Boileau.
Le passé sépare les gens, le futur les fait converger. Imaginons un groupe où chacun raconte sa vie, il n’y a pas de vraie communication, chacun, tout au plus, s’intéressant poliment à ce que dit l’autre. Imaginons un autre groupe réuni pour parler d’une action à entreprendre, un dialogue plus dynamique se met en place qui doit déboucher sur un consensus, ce qui n’est pas le cas lorsque l’on parle du passé de chacun des participants. Le passé est centrifuge, le futur est centripète. Dis moi comment tu parles et je te dirai qui tu es !
Comment quelqu’un habitué à parler de lui-même, de ce qui lui est arrivé, pourrait-il participer utilement à une réunion qui implique de s’entendre sur un projet commun ? En ce sens, les gens se rejoignent plus facilement sur ce qui n’a pas encore été que sur ce qui a déjà été.
On notera qu’en hébreu, l’inachevé se construit avec l’aide d’un préfixe tandis que le passé se construit avec l’aide d’un suffixe, ce qui se conçoit, psycholinguistiquement, puisque le futur précède l’événement et le passé lui fait suite. On a le même phénomène en anglais, où le futur se construit avec un auxiliaire précédent le verbe (I shall want) tandis que le passé est marqué par une suffixation (I wanted). En revanche, le français n’offre pas ce distinguo, la suffixation étant la règle dans tous les cas (je mangeais, je mangerai) sauf à utiliser des formes comme je vais / veux manger pour marquer le futur. Il serait souhaitable de généraliser une telle forme, d’ailleurs fort usitée, en pratique, pour marquer la différence entre temps masculin et temps féminin. Il est étrange que le futur en français se construise à partir précisément de l’infinitif (je mangerai) mais avec perte de la forme auxiliaire plus infinitif. Les langues germaniques mais aussi slaves ont mieux préservé cette règle que les langues latines.
Quant au temps présent, il est singulièrement ambigu: quand je dis : l’assiette est sur la table, je fais un constat qui est assimilable à un propos sur le passé en ce sens que c’est un fait accompli que chaque personne présente peut constater et qui deviendra presque immédiatement du passé. Dans certaines langues, le temps présent n’existe pas stricto sensu, c’est notamment le cas en hébreu. On notera d’ailleurs dans le texte hébreu de l’Ancien Testament l’usage du Vav dit renversif : placé devant un futur, le vav produit un passé (Vayomer, Il a dit).
On voit donc que notre étude psycholinguistique est susceptible de déboucher, à la lumière d’un paradigme sexué, sur une analyse critique des langues, et sur la logique, plus ou moins cohérente, selon les langues, des marqueurs de temps.
Sociolinguistiquement, la femme a du mal à participer à des réunions marquées par la spéculation et exigeant un certain brassage d’idées, qui implique de dépasser son équation et son vécu personnels, en raison même d’une certaine pesanteur grammaticale. On pourrait, par ailleurs, envisager des thérapies grammaticales chez certaines personnes, en les invitant à opter pour un temps plutôt que pour un autre. Instinctivement, les hommes tendent à échapper à des conversations par trop scandées par le temps passé et les femmes, par quelque tropisme, à éviter les conversations fortement marquées par le recours au temps futur.
Il nous apparaît donc que les approches psycho et sociolinguistiques peuvent sensiblement contribuer à objectiver la question des différences comportementales - si contestées - entre hommes et femmes.
Jacques Halbronn
Paris, le 18 février 2003
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