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HYPNOLOGICA

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La modernité et l’arrachement des différences

par Jacques Halbronn

    Nous ne pensons pas que l’Humanité ait erré. Le propre de l’anthropologie n’est-il pas d’appréhender une certaine constante et de relativiser l’impact de toute modernité ? En ce sens, l’anthropologie serait conservatrice et s’opposerait à toute remise en question radicale des fondements des sociétés humaines, telles qu’elles ont perduré au cours des siècles.

   Pour l’anthropologie fonctionnelle, les clivages tant diachroniques que synchroniques font sens, ils n’ont nullement à être évacués ou dépassés, au nom d’on ne sait quel progressisme qui devrait commencer par en prendre conscience plutôt que de se lancer dans une fuite en avant.

   Bien des choses construites, au niveau de la psyché humaine, ne peuvent être, contrairement à ce que l’on soutient avec plus ou moins de bonne foi; déconstruites et encore moins remplacées; il y a une dimension de l'irréversible comme l’est la mort. Croire que ce qui a été fait peut être défait ou refait, c’est comme de croire que celui qui est mort peut revivre. En tout état de cause, on est frappé par le fait qu’au lieu d’optimaliser les clivages, on est tenté de les nier ou de prétendre les évacuer, il y a là une pulsion que nous pourrions qualifier d’autodestructrice, suicidaire, de la part d’une partie de l’Humanité.

Les populations manipulées

   Ce qu’on appelle la modernité peut être assimilée à un pacte faustien. Dieu étant mort; l’Homme se prend pour Dieu et rien ne doit lui être impossible; il signe des traites sur l’avenir et c’est aux générations suivantes de payer. Que de promesses, que d’engagements ayant déstabilisé tant de populations, auxquelles on a fait miroiter des transformations, d’une façon parfaitement démagogique ! Il faut bien considérer ces diverses populations comme des victimes d’une humanité prométhéenne, se croyant capable de réaliser des miracles et de changer radicalement l’ordre du monde, en faisant table rase.

   Désormais, comme le dit Alain Renaut1, ce qui caractériserait l’Humanité serait l’aptitude à l’arrachement, lequel nous condamne de fait à une certaine vacuité, puisque tout serait éphémère et quelle altérité si l’autre n’est autre que provisoirement et par sa seule (bonne ou mauvaise) volonté ? Un arrachement qui est un déracinement, où rien ne serait irréversible, ce qui a été construit par l’Homme pouvant être déconstruit. Le Colloque de mars 2003 ne posait pas l’exigence d’une dualité bien comprise : homme / femme; juifs / non juifs et c’est probablement ce qui fit sa faiblesse.

   En réalité, il nous semble bien que cette thèse de l’arrachement serait une réaction à un doute. Il est déculpabilisant de sentir que rien n’est irréparable et surtout que la monarchie n’est pas une fatalité: c’est au nom de ce doute que des Révolutions se firent. Est-ce que l’ordre du monde dont l’Homme assumait désormais la responsabilité était juste ?

   Il serait bon que ces populations déboussolées renoncent à leurs chimères ou aux chimères de ceux qui les manipulèrent : féministes, sionistes, notamment, encore que, par voie de conséquence, bien plus de monde aura été victime d’un tel bousculement / basculement, si l’on fait part du mimétisme et des processus de substitution.

   Il y a quelque chose de pathétique à observer ces réfugiés de l’arrachement, qui pleurent “mais vous nous l’aviez promis ! ” Combien de temps faudra-t-il encore pour mettre ces promesses de gascon aux profits et pertes du Progrès ? C’est l’Etat Nation qui se voulait le Grand Architecte d’une société égalitaire en son sein.

   Le problème, c’est que nos sociétés, elles, ont toujours, pour fonctionner, les mêmes besoins de dualité et cette dualité trouve toujours les moyens de s’affirmer à nouveau. On n’y avait peut-être pas pensé. C’est que le féminin ne se réduit pas à porter l’enfant, il est au coeur même de toute l’aventure technologique et d’ailleurs la machine n’assume-t-elle pas cette dualité jusqu’au jour où on lui promettra les mêmes droits qu’aux hommes ?

   En fait, on peut se demander si certaines propositions ne sont pas dues à une sémiologie déficiente (cf. infra), à savoir la prise de conscience que toute société a besoin de se structurer et de diversifier les signes à prendre en compte.

   La théorie de l’arrachement ne fait sens qu’à deux conditions : d’une part que ce besoin de structuration n’existe plus, d’autre part que l’on puisse se restructurer à peu de frais et en peu de temps, ce qui, au demeurant, pose la question de savoir si le résultat serait plus satisfaisant que précédemment.

   Toujours est-il que ces populations qui sont censées abandonner leurs anciens statuts sont sous pression tels des enfants dont on attendrait trop et auxquels on aurait promis monts et merveilles, dans le genre “je sais que tu peux le faire”. Oui, ces populations sont manipulées et en plus on leur fait croire que si elles rencontrent des obstacles, c’est de la faute des manipulateurs qu’il faut imaginer tout puissants. Car il vaut mieux mettre l’absence de progrès sur l’hostilité d’autrui que sur son impuissance. En effet, si la personne agit de mauvaise grâce, il suffit de la faire changer d’avis mais si elle ne sait pas faire, c’est catastrophique. Un tel raisonnement se construit en désespoir de cause, il est un compromis subtil qui permet de croire encore que demain on rasera gratis.

   On est en pleine mystification car le charlatan qui a fait des promesses intenables préfère encore que l’on ne remette pas en question son pouvoir, quitte à ce qu’on l’accuse de reculer, pour quelque raison que ce soit. Voilà donc que celui qui a promis ne tiendrait pas, par pure méchanceté ! Cette idée arrange tout le monde, chacun préserve son fantasme.

   Alain Renaut2 insiste, à juste titre sur le cas de l’enfant dont on ne peut affirmer qu’il est l’égal des adultes mais à quel moment devient-il adulte ? En fait, l’enfant est programmé pour changer, pour évoluer et cela est vrai depuis une éternité. Il y a là ce que nous appelons un clivage diachronique, impliquant de passer par un certain nombre de stades, programmés de longue date. Mais cela n’a rien à voir avec l’abolition des clivages synchroniques, lesquels ne sont pas voué à la transformation mais tout au plus à une certaine cyclicité.

Visibilité et anthropologie

   Sur un ordinateur, nous avons des icônes dont chacun offre un usage spécifique. On n’imaginerait pas deux icônes différents correspondant à la même fonction. Un tel principe est vieux comme le monde. Le problème, c’est que nous avons aujourd’hui des icônes matériels - antérieurs de beaucoup aux icônes virtuels- et dont on nie désormais la signifiance. Que ce soit les astres auxquels il est de bon ton de refuser toute signification propre à chacun en passant par les différents rituels propres à tel ou tel groupe, sans oublier le distinguo tout de même encore assez perceptible entre hommes et femmes et j’en passe. Or, la formation de tels icônes matériels et notre sensibilisation à ceux-ci, notre aptitude à les reconnaître, ne s'opère pas du jour au lendemain. Est-ce qu’une telle désusbtantiation, une telle braderie de signes qu’on nous inflige / impose ne constituerait donc pas un véritable appauvrissement ? Multiplication donc de signes virtuels et obsolescence de signes matériels, telle est donc la situation actuelle! N’est-ce pas, de nos jours, personne ne veut plus être signe et ne veut plus se sentir tributaire de signes. On va même jusqu’à dire qu’on ne l’a jamais été et que c’est un leurre, à se demander comment on faisait auparavant pour s’organiser car jusqu’à preuve du contraire, les signes remplissent une fonction organisationnelle. Que ne renonce-t-on pas, par dessus le marché, aux multiples langues, pendant qu’on y est pour parvenir à une langue universelle, un espéranto, comme d’ailleurs cela fut proposé et mis en oeuvre à une certaine échelle ?

   Pour faire image, prenons une société constituée en grande partie d’immigrés parlant laborieusement la langue du pays, c’est le cas de la société israélienne que nous connaissons assez bien, depuis 1967. C’est assez pénible dans l’ensemble et la communication y est plutôt réduite en comparaison à d’autres sociétés qui ont maintenu un certain niveau de langue chez la plupart de leurs locuteurs (cf. infra).

   Autrement dit, tout redémarrage, à partir de zéro, a un coût élevé et souvent certains changements ne se justifient guère puisque, à terme, on en arrive au même point où l’on en était.

   On ne saurait sous estimer l’importance du visible et du matériel par rapport à l’invisible et au virtuel mais on ne saurait déprécier l’inconscient par rapport au conscient. Or, nos sociétés actuelles tendent à minimiser la différence entre ces plans. Prenons un exemple emprunté au savoir astrologique moderne lequel peut être révélateur d’un certain Zeitgeist : les astrologues modernes se servent de la planète Neptune, découverte seulement en 1846. Or, cet astre était invisible dans l’Antiquité, n’étant observable qu’au télescope. Le fait que les astrologues aient introduit Neptune dans le thème astral, peu après, conduit à disqualifier rétroactivement le savoir astrologique qui l’ignorait mais c’est aussi ne pas comprendre que si les anciens ne connaissaient pas Neptune et ne l’observaient point, ils n’ont pu l’inscrire dans la psyché humaine.

   Nous pensons pour notre part que si astrologie il y a, elle est fondée sur la codification de certaines configurations astrales bien visibles et observables par certaines sociétés et qu’elle n’est pas le résultat de signes qui existeraient en dehors de l’instrumentalisation humaine. Il est dès lors hors de question que Neptune puisse agir : le fait qu’il ait été invisible suffit à le disqualifier dans la mesure où nos automatismes passent précisément par la perception d’éléments matériels.

Le langage comme vecteur mimétique

   On peut considérer que le langage est la source de bien des illusions en matière d’arrachement, c’est à dire de dépassement des clivages, des différences. Ne change-t-on pas de langue comme de chemise ? Apprends une nouvelle langue et tu seras un autre homme, avec une autre identité ! Telle est bien la philosophie du mimétisme. La langue apparaît comme le facteur de différenciation le plus commode, le plus à la mode et il convient tout à fait à l'espèce humaine laquelle se caractérise par la parole. Tout être humain qui se respecte peut apprendre peu ou prou une autre langue, ce qui lui permet de passer d’une société à une autre.

   Il est vrai que le langage est la source de bien des illusions : d’abord comment savoir si quelqu’un me parle il ne répète pas les propos d’un autre ? Il suffit en effet que quelqu’un dise quelque chose pour le lui attribuer, on remonte ainsi de l’objet - ce qui est dit - au sujet- le locuteur. Mais l’inverse est également vrai, si je veux connaître un sujet, je peux considérer que tout ce qu’il dit est en rapport avec le dit sujet. Prenons le cas des femmes : si je suis capable d’identifier physiquement, extérieurement, qui est femme, tout ce qu’une femme dira, c’est à dire l’objet ainsi émis, sera ipso facto traité de féminin et inversement comment un homme pourrait-il parler du féminin puisqu’il n’est pas femme en tant que sujet ?

   0n ne peut donc séparer le langage du sujet et bien des processus linguistiques concernent des enjeux sociologiques. Parler la langue de l’autre, c’est devenir l’autre, c’est éventuellement se faire passer pour l’autre, surtout chez des tiers qui auront du mal à distinguer l’original d’une copie souvent très grossière, comme c’est le cas de la francisation superficielle de l’anglais. Ce n’est pas par hasard que la langue et le peuple renvoient à un même signifiant: je parle français, je suis Français et est-ce qu’en tant que Français tout ce que je dirai ne sera pas d’emblée du français ? Tout comme tout ce que des locuteurs anglais diront se transmutera ipso facto en de l’anglais, même si c’est mâtiné de français. Il faut comprendre que le but de certains apprentissages linguistiques vise à occulter certains clivages et à terme à remplacer une population par une autre qui s’est approprié, certains aspects de sa langue.

   Autre illusion générée par le langage: est-ce que je comprends ce que l’on me dit ? Suffit-il que j’identifie certains mots pour en être assuré ? On n’a pas, à notre connaissance, inventé de moyen de mesurer la compréhension que j’ai du discours d’autrui pas plu, d’ailleurs, que le moyen de déterminer, on l’ a dit, si je comprends ce dont moi-même je parle.

   Que signifie au demeurant “parler une langue” ? A partir de quel seuil, puis-je affirmer parler telle langue “étrangère” ? Certains s’imaginent maîtriser une langue et on peut en douter car bien des nuances leur échappent encore. C’est dire que si l’apprentissage d’une nouvelle langue est un gage d’universalité, celle-ci repose sur des bases assez précaires. Il n’en reste pas moins que l’apprentissage du langage sous-tend toute idée d’arrachement et le mimétisme qui en découle.

   Le langage est encore source d’illusion en ce qu’il permet bien des sophismes : la femme est un être humain, l’homme est un être humain, donc la femme est l’égale de l’homme. Et tout est à l’avenant. Au niveau linguistique, certaines langues ont évacué les signes du masculin et du féminin et il est remarquable que la langue française est une de celles qui marque de la façon la moins audible les deux genres. Au lieu d’opposer un suffixe spécifiquement masculin (par exemple en o) à un suffixe féminin (en a), la langue française oppose la prononciation ou la non prononciation de la consonne finale.(exemple : fort / forte). En anglais, langue devenue mondiale et qui a exacerbé les tendances du français, la différence M / F a même à peu près totalement disparu (sauf dans l’opposition he / she ; his / her).

   Ainsi, l’arrachement, dont Alain Renaut3 considère qu’il est devenu paradoxalement le signe de reconnaissance de l’être humain, tout en reconnnaissant qu’il conduit à la vacuité, fait-il abstraction du Temps et de l’importance des automatismes. Paris ne s’est pas construit en un jour. Il y a également sous-estimation des besoins de clivage et surestimation des possibilités de leur dépassement. On ne peut pas substituer de nouveaux signes à d’anciens signes en ce que notre rapport aux signes ne se situe pas au niveau du conscient mais de l’Inconscient Collectif, fruit d’une très longue maturation. Ce qui est conscient est plus fragile, plus précaire que ce qui ne l’est plus, d’abord parce que quelque chose ne devient inconscient qu’au bout d’un certain temps et ensuite parce que ce qui est inconscient atteint à un plus haut degré d’efficience; du fait même des automatismes que cela implique.

Jacques Halbronn
Paris, le 3 mars 2003

Notes

1 Cf. Colloque Collège des études juives de l’Alliance israélite Universelle, “Qui émancipe-t-on ? Femmes, juifs, noirs”, mars 2003, qui fait écho, en quelque sorte, au Colloque que nous avions organisé, il y a trois ans, en mai 2000, “Penser la dualité. Astres, femmes, juifs”. Retour

2 Cf. Colloque “Qui émancipe-t-on ? Retour

3 Cf. “La représentation démocratique de l’identité et la question des différences”, Colloque “Qui émancipe-t-on ? ”, op. cit. Retour



 

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