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HYPNOLOGICA

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De la féminisation actuelle du monde

par Jacques Halbronn

    On a demandé aux hommes de participer à certains tâches généralement assumées par les femmes, notamment dans le couple, ce qui a suscité ce que l’on ne peut qu’appeler une forme de mimétisme. Les hommes ont accompli des actes qui étaient peu prou qualifiés de féminin et réservés au féminin, et cela a fait pendant à la masculinisation des activités féminines sur le plan professionnel notamment, mais aussi, par la force des choses (effets du divorce), au niveau familial. Reste encore à savoir si les tâches en question étaient véritablement masculines ou féminines et si les clivages ainsi abolis étaient de vrais clivages, ontologiquement parlant, ou des constructions qui pouvaient se défaire.

   Il faut en effet faire la part du mimétisme qui brouille les pistes et fausse les analyses mais aussi, à l’inverse, de certaines interdictions faites à tel sexe / genre et qui ne résistent pas au mimétisme. En fait, le mimétisme est susceptible à la fois de rapprocher superficiellement ce qui est radicalement différent en ne se portant que sur des aspects secondaires mais frappants comme il est parfois en mesure, paradoxalement, de démystifier des différences factices. Le mimétisme serait donc tour à tour mystificateur et démystificateur.

   Par hyperféminisation, nous entendons aborder la question du mimétisme de notre société, hommes et femmes confondus, à l’égard du modèle féminin encore que celui-ci ne soit pas perçu comme tel; entendons par là que ce que nous qualifions, nous, de féminin n’est pas le plus souvent conscientisé comme tel. Mais il n’en s’agit pas moins d’une imitation de la femme et de son comportement, mais sans que celui qui imite sache que ce qu’il imite relève du féminin puisque, de nos jours, on ne sait plus distinguer chez la femme ce qui est féminin et ce qui ne l’est pas; sauf sur des segments très spécifiques, ce qui fait croire qu’hormis ces segments, le reste ne serait pas proprement féminin. C’est là le piège, le leurre ! Rien d’étonnant, au demeurant, à ce que les enfants ne sachent plus distinguer le masculin et le féminin quand ils sont confrontés à des parents qui cherchent, surtout quand ils sont séparés, à se substituer, de façon plus ou moins perverse, à l’autre, selon une logique monoparentale.

   Il nous semble, en effet, qu’un certain mode comportemental féminin s’est imposé socialement et qui va bien au delà du clivage hommes / femmes. Dans un contexte aussi mimétique, il vaut mieux en effet de parler du masculin et du féminin que de l’homme et de la femme, quitte, une fois, ce clivage reconnu sur un plan phénoménologique, à y revenir sur le plan ontologique. Autrement dit, une fois le clivage identifié, il conviendra de passer à une approche statistique et d’étudier si les femmes sont plus ou moins marquées par tel comportement que les hommes. En effet, seule la statistique permet d’éliminer les effets du mimétisme.

   Parmi ces marques de féminité indistinctement prisées, de nos jours, tant chez l’homme que la femme, on signalera la franchise et la factualité, processus qui se recoupent largement et qui alourdissent singulièrement, pèsent sur la communication; une attitude qui conduit en fait à survaloriser l’expression individuelle. En disant ce que je ressens sur le moment, ce qui j’ai dans la tête, ce que j’ai vu, ce que j’ai fait, j’affirme mon moi et je le fais respecter comme tel par autrui ou plutôt je le lui impose. C’est ce que nous avons appelé, ailleurs, la prédominance du sujet sur l’objet, de celui qui parle sur ce qui est parlé.

   On nous parle d’écoute de l’autre, qualité qui serait plutôt féminine, mais qu’est-ce à dire ? Si cela signifie laisser l’autre se raconter1, vider son sac et tout simplement se manifester, faire acte de présence en “disant quelque chose” - peu importe quoi d'ailleurs - une telle écoute, si elle est très respectable, ne saurait s’imposer comme un idéal sans du moins le situer en dialectique avec un principe opposé et tout aussi respectable et nécessaire sur le plan social qui est de penser ensemble et non pas seulement de parler ensemble. Platon, il y a 25 siècles, nous a laissé des Dialogues qui sont un modèle du penser ensemble. Et cela est aussi une écoute de l’autre, mais avec une autre indexicalité qui implique une véritable interaction et non pas une simple juxtaposition de propos qui ne seraient pas en prise les uns par rapport aux autres. Oui, c’est vrai, l’écoute n’est pas la même parce qu’au lieu que chacun parle de ce qui lui est propre, il lui est demandé de parler de ce qui concerne chacun, ce qui devrait éviter certaines redondances, comme dans ces tours de table souvent assez dérisoires.

   Cette fameuse “écoute” signifie-t-elle en effet qu’il faille écouter quelqu’un répéter des choses qui ont déjà été dites ou, ce qui revient au même, où l’on n’a pas pris en compte ce qui avait été dit précédemment. Ce qui vaut quand on est, en groupe, au restaurant et que chacun dit son choix par rapport au menu, n’a rien à voir avec une véritable relation sociale, sauf à jouer sur les mots, avec plus ou moins de bonne / mauvaise foi. Ne mélangeons pas les genres !

   Le fait de poser des questions à quelqu’un fait parfois illusion qu’il s’agisse de questions personnelles ou factuelles. La vraie écoute consiste à montrer que l’on a saisi l’apport de la parole de l’autre, c’est à dire ce qui en faisait l’originalité et méritait d’être débattu par le groupe ou du moins par ceux du groupe qui étaient en mesure de le faire. Il s’agit en fait d’aborder, de contribuer à une pensée collective en devenir et non de ressasser le passé, par un simple processus mémoriel et répétitif du genre “il m’est arrivé ceci”, “hier, j’ai fait cela” et tout à l’avenant. Ecouter, ce n’est pas seulement laisser l’autre parler mais c’est communiquer avec lui en tant que membre de la collectivité, bref en tant que citoyen responsable et non en tant qu’individu, mal sevré, recrachant ce qu’il a appris ou entendu et qui, disons-le, fait un peu scolaire voire infantile. Ce qui était autrefois le privilège de la femme que de bavarder (ce que les Anglais appellent le small talk) est devenu pratique courante chez nombre d’hommes, même entre eux et c’est cela que nous désignons sous le terme d’hyperféminisation, quand le mimétisme à l’égard de la mère - voire l’identification - va trop loin : les homosexuels sont évidemment ceux qui incarnent de la façon la plus caricaturale l’hyperféminisation actuelle, et cela va bien au delà du comportement strictement sexuel (cf. infra).

   Un idéal se profile chez beaucoup, celui d’une société où on laisse s’exprimer chacun sans aucun projet ou comportement citoyen, impliquant de mettre son petit moi en veilleuse. On en arrive à des malentendus : quand quelqu’un ayant cette mentalité voit une personne prendre la parole, il croit qu’elle ne fait que satisfaire son ego et que lui a bien le droit de faire pareil, ne prenant pas en compte le contenu du propos et son intérêt aux yeux du groupe, en tant qu’émanation d’une pensée collective. Ce quelqu’un ne verra qu’une chose: l’autre parle et il le fait aux dépens d’autrui puisque les autres le laissent parler. Il y a là un vrai problème de grille de lecture de la vie sociale.

   Il y a un certain dévoiement à dénoncer : quand un groupe parle trop fort et que des personnes n’appartenant pas au dit groupe ne peuvent s’empêcher d’entendre ce qui s’y dit. Or, ce “rayonnement” du groupe en question est déplacé : car de deux choses l’une, ou bien le groupe est disposé à ce que d’autres personnes, autour, se joignent à lui et il importe dans ce cas que les propos ne soient pas trop personnels et d’un intérêt strictement limité aux membres du dit groupe ou bien le groupe souhaite rester entre soi et dans ce cas il ne saurait importuner les membres extérieurs au groupe par sa sonorité. Il y a là l’expression caractérisée d’un comportement social inadéquat. Il en est d’ailleurs de même du téléphone portable lorsque la personne parle de problèmes personnels en public. Au vrai, cela signifie une chose, c’est qu’au fond, on se moque de l’autre, de ce qu’il peut dire et de ce qu’il peut penser. L’objet - ce qui est dit - est ici second par rapport au sujet. On irait ici vers une société où ce qui est dit importe peu, ce qui est important, c’est qui le dit. Il faut qu’on laisse parler l’autre même s’il n’a rien à dire ou à redire. Plutôt que d’être le premier - dans tous les sens du terme - ce qui implique une prise en compte d’autrui, on préfère être le seul.

   La féminisation du monde, c’est aussi l’importance accordée aux mots et aux signes, sans prendre la peine de les replacer dans leur contexte, ce qui serait une opération par trop complexe et jamais complètement achevée. Au lieu de dompter les mots, on en devient l’esclave et on réagit automatiquement à leur apparition au sein du discours: l’arbre du mot cache la forêt du texte. Au fond, ce qui fait peur de nos jours, c’est le silence, c’est le retrait, la distanciation par rapport à soi-même et par rapport à autrui: on veut exister, on veut réagir, à tout prix et au moindre prétexte. Paradoxalement, à force de mettre l’accent sur le sujet, on met tout le monde dans le même sac, puisque nous sommes tous des sujets et devons être traités pareillement. Or, l’approche masculine est à l’opposé de telles valeurs: elle est fusionnelle, elle transcende les individualités comme elle transcende les mots qui ont eux aussi à se fondre dans un ensemble et qui n’existent pas isolément. Ce qui fait peur également, c’est le vertige du futur : il est plus facile de “faire l’amour” qui est un acte répété que d’ “aimer” qui est un projet à deux vers l’inconnu - pour le pire comme pour le meilleur, peu importe. Au signifiant attirance physique, peu ou prou automatique, “spontanée”, doit s’associer le signifié couple, qui est partage de vie.

   Paradoxalement, plus l’on s’affirme comme sujet et plus l’objet est indifférent et médiocre et ne vaut que par le sujet. Le charme de celui qui parle tend à éclipser ce qu’il dit.

   Nous dirons que l’homme est plus enclin à la transe que la femme, ce qui est déjà patent au niveau sexuel si l’on peut considérer l’érection comme liée à un certain état de transe qui renvoie l’homme à un certain instinct de l'espèce transcendant l’individualité. Or, il nous semble que la communication verbale citoyenne peut aussi relever d’un état de transe quand elle débouche sur une certaine fusion intellectuelle entre les membres du groupe, telle qu’elle a pu exister dans les sociétés les plus anciennes. A contrario, les femmes n’accèdent à la transe qu’en tant que réceptrices des actes et des paroles des hommes, tant physiquement et sexuellement que mentalement; ce ne sont pas elles qui mettent les hommes en transe. La féminisation actuelle tendrait donc à brimer l’état de transe et à lui préférer un état mieux contrôlé, plus individualisé, moins interdépendant, exigeant moins d’être en phase avec autrui, exigeant somme toute moins de concentration et moins susceptible d’être troublé par le bruit. L’entrée en transe, dans tous les domaines, implique de la concentration pour qu’il y ait véritablement participation à un projet commun de réflexion et de délibération. En revanche, deux personnes qui ne s’écoutent que distraitement, mais se contentent de se raconter peuvent le faire, sans encombre, dans le bruit. On voit que pour nous la libido recouvre aussi le bien le plan sexuel que verbal et que le comportement féminin n’est pas uniquement manifeste au niveau sexuel. Si l'ego est identifié au phallus, on dira que la femme en s’accrochant à son ego le considère comme un substitut de son phallus absent, pour paraphraser une thèse de Freud.

   Il y a certes quelque chose d’éminemment rassurant dans la féminisation des rapports sociaux. Notre moi s’y trouve protégé par des cloisons étranges et ménagé, mais cela rend de moins en moins apte à une approche citoyenne et réduit les gens à un comportement individuel de consommateur, la gestion des produits étant plus simple que celle des personnes. Beaucoup d’associations évoluent vers des relations de consumerisme et ne fonctionnent plus guère collégialement et cela est probablement de plus en plus vrai au niveau des Etats. Tout un lot de consignes surmoïques - sous la forme d’un respect mal compris de l’autre - visent à entraver, à enrayer tout processus collectif en le qualifiant de fasciste. D’ailleurs, la déconfiture du fascisme / nazisme (Ein Volk, ein Reich, ein Führer) comme celle du communisme / stalinisme, idéologies qui affirmaient le dépassement des intérêts individuels, expliquent en partie la féminisation dont il est ici question.

   Il semble donc que la société occidentale telle qu’elle se présente en ce début de nouveau siècle serait hyperféminisée, c’est à dire que l’élément masculin serait sous-représenté du fait d’un mimétisme des personnes de sexe masculin, enfants du divorce qui laisse la mère toute puissante, à l’égard des valeurs du féminin; chacun veut avoir sa voiture plutôt que de recourir aux transports en commun, recul de la solidarité familiale ; il y a là une logique de consommateur qui est de plus en plus décalée par rapport aux exigences citoyennes et qui conduit à une difficulté accrue à dégager un authentique leadership, fruit d’un consensus. Les gens ont de plus en plus de réticence à participer à des joutes verbales, à s’exprimer, à se confronter, à s’interpénétrer, en quelque sorte, dans le cadre de forums, d’agoras sinon sous une forme aseptisée et stérile - on pourrait parler ici d’agoraphobie - permettant un brassage d’idées, en temps réel et non sous la forme feutrée et décalée de l’Internet. Peur en définitive de ce qui est vivant et préférence pour ce qui est mort, pétrifié, desséché, et qui n’a gardé que l’apparence de la vie, aptitude à photographier et à enregistrer scrupuleusement le passé mais incapacité à baliser l’avenir. La féminisation compromet de fait la séparation des pouvoirs, chère à Montesquieu, elle confond volontiers le policier qui intervient selon la lettre de la Loi, c’est-à-dire de façon machinale, prétextuelle et le juge qui doit appliquer la Loi de façon contextuelle; on se veut trop souvent juge et partie.

   L’hyperféminisation est le fait d’une revendication qui confond l’existentiel et l’ontologique, c’est-à-dire ce qui est transmissible culturellement et ce qui :l’est génétiquement. La parabole du pélican, symbolique chrétienne voire christique, est parlante : ses petits non seulement se précipitent sur ce qu’il leur apporte, mais il leur arrive de dévorer ses entrailles.

Jacques Halbronn
Paris, le 15 mars 2003

Note

1 Cf. les ouvrages de John Gray, Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus. Retour



 

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