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HYPNOLOGICA

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Anthropologie de l’espace-temps

par Jacques Halbronn

    La tentation d’abolir socialement l’espace-temps est manifeste, c’est elle qui est au coeur du refus, du déni des clivages au profit de la toute puissance du sujet, c’est-à-dire de l’individu, dont nous avons montré, dans d’autres textes, qu’elle correspondait à des valeurs féminines, certes respectables, mais qui ne font sens que dialectiquement et complémentairement et surtout consciemment. Nous aurons, au cours de cette étude, l’occasion de préciser les grands thèmes de ce que nous appelons l’anthropologie fonctionnelle.

   Commençons avec la question de l’immigré, lequel a visiblement affaire avec un problème de spatialité, du fait du déplacement qui est au coeur de son parcours. Il passe, en effet, d’un espace à un autre et cela change beaucoup de choses quant à son statut social et ce changement même qui le pose comme immigré ; on n’est pas immigré en soi et dans l’absolu.

   En affirmant que l’on a les mêmes droits, quel que soit l’espace où l’on se rende, il y a là bien déni de la spatialité et somme toute irresponsabilité : je n’aurais pas à répondre de, c’est-à-dire à assumer le mouvement que j’ai opéré.

   Si l’on prend le cas plus spécifique du Juif, en France, il faudrait, selon cette logique, ce postulat, que tous les membres de la communauté juive soient placés sur un pied d’égalité, c’est-à-dire dans un même espace, non hiérarchisé / hiérarchisable, compte non tenu de la provenance des uns et des autres, c’est-à-dire sans distinguer juifs de souche française et juifs immigrés issus de divers espaces extérieurs au territoire français métropolitain qui est le cadre dans lequel désormais la communauté juive dite française se situe.

   Autrement dit, il faudrait confondre le juif qui est de plein pied, généalogiquement, en France de celui qui vient d’ailleurs, de là où il était en phase avec un certain milieu “extérieur”, il faudrait donc, encore une fois, abolir un tel déplacement et le considérer comme non pertinent, non significatif, sinon au niveau d’une expérience individuelle supplémentaire; entendons par là que l’immigré serait comme le non immigré avec quelque chose en plus, mais pas avec quelque chose en moins.

   On touche là à un certain non dit, comme si, en pratique, certains ne voulaient pas comprendre / reconnaître que cet en plus pouvait générer de l’en moins, comme si, selon une formule du penseur juif Maimonide, certaines connaissances ne pouvaient interférer et perturber, ce qui d’ailleurs nous renvoie, cette fois, au temps, à ce qui a été vécu, à ce qui nous a marqués et cette fois ce serait donc, aussi, le temps que l’on voudrait abolir ou maîtriser voire relativiser à volonté.

   Ainsi, celui qui abordant un objet à débattre collectivement - ce qui est pour nous sa définition - se poserait comme sujet avec toute la pesanteur que cela implique - introduirait, selon nous, un en plus qui serait bel et bien un en moins, non seulement pour lui mais pour la dynamique même de la discussion en cours. En fait, ce faisant, il déterminerait un espace, un territoire qui serait en porte à faux avec l’espace social sous-tendant la réflexion du groupe considéré.

   Arrivons-en à la femme, encline à privilégier son sujet sur l’objet, ce qui aboutit, de fait, à un refus de la hiérarchie naturelle du groupe. On l’entend dire : “mais qui êtes-vous pour dire que ? ”, “qu’est ce qui vous permet de ? ”, questions qui ne sauraient faire sens, ce qu’elle sait fort bien, réduisant les interventions des uns et des autres à on ne sait quelle expression du sujet, au lieu de les accepter comme des contributions, à prendre comme telles, dans l’élucidation de ce qui est en jeu au sein du groupe. Qu’il puisse y avoir, à un moment donné, une certaine coïncidence entre ce que je dis et ce que je représente est parfaitement aléatoire. Je peux parler de l’immigration, que je sois ceci ou cela ; je peux adopter un point de vue qui ne soit pas nécessairement celui qui correspondrait naturellement à ma situation existentielle. Il y a là une migration nécessaire permettant d’échapper à ce que je suis en tant que sujet, de façon à accéder plus pleinement à l’objet du débat.

   Débat qui ne peut que déboucher sur une hiérarchie, c’est-à-dire sur une spatialité - ce qui est en haut et ce qui est en bas, ce qui est au centre et ce qui est marginalisé car tel est bien la finalité de toute rencontre autour d’un objet, à savoir déterminer une direction, dans toutes les acceptions du terme, c’est-à-dire un sens mais surtout un thème leader et ipso facto un leader, un chef, celui qui est, littéralement, la tête du groupe.(d’où les expressions: le chef de l’Etat, le raïs (d’un mot arabe signifiant tête).

   Face à un tel processus de hiérarchisation, la femme a des réticences en ce qu’elle a du mal à comprendre le modus operandi ; elle préférerait probablement que ce soit une (toute) puissance supérieure - une loterie par exemple à la limite - qui décidât plutôt qu’un tel processus émanant de la dynamique des participants au débat. Au fond, elle ne saisit pas vraiment pourquoi c’est telle opinion qui l’a emporté sur telle autre ou du moins elle en fait une affaire de personne et c’est là que son en plus, c’est à dire une conscience aiguë de son moi, se révèle comme un en moins et c’est là qu’elle peut perturber le cours naturel de la sélection en cours de par sa présence même.

   Car cette présence n’est pas sans exercer un certain pouvoir qui tend à minimiser l’objet par rapport au sujet, c’est ce que l’on pourrait appeler un phénomène d’appropriation que nous définirons par un refus de l’en soi de l’objet. Il y aurait donc chez la femme un primat du sujet sur l’objet, qui tendrait à complètement relativiser ce dernier, rendant ainsi parfaitement dérisoire la problématique même du débat engagé. Cette distanciation, cette résistance, de la femme par rapport à l’objet collectivement examiné, tend ipso facto à l’éliminer, à la disqualifier, à la mettre hors jeu, en ce qu’elle n’est pas prête à laisser son moi au vestiaire, en entrant dans la ronde, ou sur le ring, comme on laisse son pistolet dans certains milieux.

   On nous objectera que le leader aussi a un moi mais ce moi est le résultat d’un processus sélectif, c’est un moi représentatif, d’où la formule “Un tel ne représente que lui-même” : la femme, en tant qu’individu, ne représente en effet qu’elle-même ou du moins que les siens, stricto sensu. La légitimité du pouvoir masculin est, dès lors, fort différente de celle du pouvoir féminin.

   Le pouvoir masculin est fonction d’une certaine supériorité de tel individu sur tels autres et qui doit être ressentie comme telle. Ce qui selon nous caractérise l’ensemble des hommes, c’est cette disposition à reconnaître la supériorité de certains, au cours de joutes, physiques ou verbales. On ne parle pas ici, hâtons-nous de le préciser, d’une quelconque supériorité des hommes par rapport aux femmes, on est ici dans une relation entre hommes qui acceptent de se mesurer les uns aux autres, sans être tentés de se replier sur leur individualité pour se refuser aux interpellations éventuelles.

   Le pouvoir de la femme nous apparaît a contrario comme plutôt lié à une sorte de roulement : chacun à son tour (de rôle) aurait accès au pouvoir, selon une sorte de présidence tournante, donc durant un certain temps (de parole) imparti, ce qui éviterait d’avoir à décider qui a le plus raison, ce qui lui semble une question surréaliste, dans la mesure où elle se situe au niveau du sujet et non de l’objet. A l’inverse, pour l’homme, le respect de chaque sujet, hommes et femmes indistinctement qui plus est, ne fait pas sens et entrave la bonne marche de la Cité, tant sociale que scientifique.

   L’approche de la femme est au demeurant foncièrement égalitaire : il s’agit de veiller, parfois de façon tatillonne - ce qui est en soi excellent - à ce que chacun assume minimalement les valeurs du groupe, par exemple parle correctement, s’habille correctement, mange correctement et ainsi de suite. On est plus dans la correction que dans la direction. Il est probablement souhaitable de veiller à ce que ces deux impératifs soient pris en compte, selon une certaine division du travail, sans pour autant que l’on mélange les genres et les acteurs : il n’est pas question, notamment, que la direction soit fondée sur la seule correction pas plus que la direction n’échappe à celle-ci, se mettant au dessus des lois. En fait, la femme est faite pour faire appliquer des consignes et une fois en place, elle tend à figer les choses et n’accepte plus qu’on remette en question sa direction, oubliant, comme le dit Jean Jacques Rousseau, dans le Contrat Social, qu’elle n’est censée être que l’expression de la volonté du groupe. Au fond, elle voudrait à la fois contrôler la correction et la direction et c’est cet en plus qui produit de l’en moins, surtout si elle assimile l’une à l’autre.

   C’est pourquoi nous ne pensons pas, même si cela doit choquer, que certaines délibérations impliquent des femmes. Leur présence risque fort, en effet, de gêner l’émergence de la dynamique la plus féconde, en parasitant la réunion par des considérations subalternes et marquées par un certain goût du formalisme. En fait son problème, c’est qu’elle ne sait pas con-vaincre du bien -fondé de ses positions sinon par des moyens détournés, c’est-à-dire en sacrifiant l’objet au sujet et cela tient précisément à un certain renversement des valeurs, passant du plan commun de l’objet à investir à celui des sujets en présence. En fait, nous dirons que la femme est plus exigeante envers le sujet qu’envers l’objet: elle ne perçoit l’objet qu’au travers de la personne qu’elle lui associe et quand il y aura rejet de celle-ci, il y aura aussi, par la même occasion, rejet de l’objet qui va avec. Autrement dit, la femme ne serait concerné qu’indirectement par l’objet, ce qui est son talon d’Achille alors que l’homme restera fidèle à l’objet sans que cela dépende du sujet. L’amour chez la femme concerne le sujet, la personne, c’est un sentiment général, total, qui peut être compromis par une perte de confiance, tandis que chez l’homme, il se fixe sur des éléments précis dont la disparition peut être fatale mais dont la seule présence suffit. Il y a là des exigences et des attentes différentes.

   Le juif ou la femme, quand ils prétendent pénétrer dans un nouvel espace, qui est celui de la société dominante masculine, considèrent que ce n’est qu’une question de temps. Ils ne comprennent apparemment pas que leur différence fait sens et qu’elle n’a pas à être résorbée. Celui qui se trouve dans un espace autre est là pour lui apporter un autre éclairage, une autre sensibilité et non pour affirmer un statut d’égalité, qui serait en fait l’abolition de l’espace-temps. Tant le juif que la femme sont en effet les héritiers d’une longue histoire qu’ils doivent continuer à assumer, même en dehors de leur espace d’origine. Etre chez l’autre n’est pas devenir l’autre, la relation n’est pas la fusion et la fusion ne peut se faire qu’entre pairs, entre pareils. Certes, prévaut un certain mimétisme qui permet à des éléments disparates de cohabiter mais celui-ci a ses limites à l’instar d’une langue commune, au sein d’un espace commun. Les similitudes, dans ce cas, sont toujours partielles car ce qui est semblable est souvent plus facile à identifier que ce qui est distinct et pas nécessairement obvie.

   Le juif est-il un étranger ? Il convient selon nous de faire des distinctions : le juif de Pologne qui vit en France est un étranger en ce qu’il appartient à une sorte de diaspora polonaise (juifs et non juifs confondus) - rappelons que les Juifs ont vécu 1000 ans en Pologne ! - alors que le juif de souche française n’est étranger que s’il s’expatrie. Le juif d’Afrique du Nord voire le juif francisé d’Alexandrie, appartient, peu ou prou, à une sorte de diaspora judéo-française outre mer, même s’il n’est pas issu de la métropole, aliéné par la culture française qui est venue à lui. En fait, le rapport “diasporique” du Juif d’Algérie à la France est un peu celui des Juifs dans le monde par rapport à Israël, c’est-à-dire non pas un point de départ mais un point d’arrivée. Une diaspora précédente, “rapatriée” au XVIIe siècle puis au XIXe siècle, après 1870, est celle des juifs alsaciens qui sont probablement en partie les descendants de juifs français ayant du quitter le royaume de France au XIVe siècle, ce qui pourrait expliquer les liens unissant l’Alsace à la France. Mais il convient de préciser que l’arrivée de Juifs d’Alsace ou de Juifs d’Algérie à Paris est une forme d’immigration, des marges vers le centre.

   Toujours est-il que cette population judéo-maghrébine, voire judéo-islamique, fut rapatriée vers la France et peut éventuellement se choisir de nouvelles destinations dans le monde où porter la culture française - notamment vers Israël ou vers d’autres destinations - à la différence du juif de souche française qui vit sa judéité non pas tant dans le déplacement géographique et culturel que dans le champ scientifique, artistique, historique par une approche interdisciplinaire et de décloisonnement, qui n’implique pas de migration géographique mais qui peut impliquer une certaine transgression des clivages dans le temps historique comme dans l’espace épistémologique.

   C’est dire que la communauté juive française est singulièrement bigarrée et qu’une telle situation ne peut que brouiller son image. Il est temps de proposer un modèle cohérent concernant la présence juive au monde et notamment quant à son rapport aux divers espaces culturels. En quelque sorte, le juif est l’étranger par excellence, quand il assume de prolonger une certaine culture au loin mais il n’est pas, en revanche, étranger à cette culture là mais à la culture vers laquelle il se rendra. Une culture (dite générale), c’est en fait un savoir (savoir vivre, savoir faire) partagé; apprendre une langue ne suffit pas : savoir communiquer, c’est communiquer au travers d’un savoir supposé acquis chez tous ceux qui participent à la rencontre : sans langue et sans culture commune, les rapports ne peuvent qu’être des plus limités et fastidieux. Si la culture correspond à une tête bien pleine, la langue correspond à une tête bien faite, selon la formule de Montaigne; il faut les deux.

   Il n’y a pas selon non d’espace juif en soi, et le juif doit s’enraciner dans une culture donnée, ici ou là, quitte à la faire rayonner au delà de ses limites, ce qui conduit à la diversité même des Juifs, dans le monde. L’espace juif - sans vouloir jouer sur les mots - c’est précisément un rapport spécifique à l’espace. Le juif est quelque part en transit, qu’il se rende ailleurs ou qu’il vienne d’ailleurs, ce qui crée chez lui une certaine distanciation alors que l’étranger non juif refuse de rester dans cet état intermédiaire et soit s’intègre dans le pays d’accueil, soit réintègre son pays d’origine.

Jacques Halbronn
Paris, le 5 avril 2003



 

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