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HYPNOLOGICA

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Les modes de la pseudo-communication

par Jacques Halbronn

    On a tendance, souvent délibérément, à confondre plusieurs niveaux de communication. Il suffit par exemple que quelqu’un dise trois mots dans une langue pour que l’on s’imagine qu’il va comprendre tout ce que l’on lui dira voire tout ce qui se dira devant lui. Il suffit aussi que quelqu’un fasse une réflexion sur ce qu’on a dit pour croire qu’il sait exactement de quoi il retourne. Il ne suffit pas de lire un texte pour en saisir le sens, même approximativement, il ne suffit pas que quelqu’un dise quelque chose pour que l’on soit sûr qu’il sait ce qu’il dit et surtout que discours émane vraiment de lui.

   Or, il nous semble très utile de faire des distinctions entre ces différentes façons de communiquer et d’éviter toute extrapolation, faute de quoi on risque de se faire bien des illusions que ce soit en tant qu’émetteur ou en tant que récepteur. C’est d’ailleurs grâce à de telles approximations que des éléments étrangers peuvent pénétrer le corps social sans que se mette à fonctionner un véritable système de repérage et de défense.

   La terreur provoquée par les attentats suicide en Israël, on ne l’a pas assez souligné, tient à la facilité avec laquelle des arabes ont pu s’infiltrer dans les villes de population presque exclusivement juive. C’est si simple de se faire passer pour ce que l’on n’est pas dans ce monde par ailleurs hypersécurisé, dans le domaine électronique.

Ce que parler veut dire

Le théâtre nous apprend pourtant - et le cinéma ou la télévision encore plus - à quel point il ne faut pas se fier aux apparences et pourtant, il ne semble pas que nos contemporains soient mieux avertis et prévenus quant aux pièges de la communication, comme s’ils voulaient ignorer que l’on peut porter un masque et jouer un rôle en dehors de la scène ou du studio / plateau. Commente expliquer une telle naïveté au niveau de la vie quotidienne ?

   Il est au demeurant plus facile de faire semblant de comprendre que de s’exprimer sans faute dans une langue, l’un se situant au niveau du signifié, l’autre du signifiant. Il est rare que l’on se permette d’affirmer que quelqu’un a commis des fautes de compréhension, sinon à propos de tel ou tel mot alors que les fautes de langue peuvent être signalées sans appel. Donc, en disant que l’on a “tout” compris, on croit pouvoir jouer, impunément, sur du velours car comment prouver, n’est-ce pas, le contraire ? Il suffit donc d’assurer pour le parler et le comprendre sera accordé de surcroît. Voire !

   En fait, il suffit d’avoir identifié tel mot dans la bouche d’autrui et d’enclencher sur ces entrefaites un propos en rapport avec ce mot pour que l’illusion du dialogue soit parfaite. A ce jeu là, même un sourd ne serait pas tout de suite démasqué. D’ailleurs, dans bien des cas, les gens veulent parler et se moquent bien du feed back. Au contraire, si on leur réplique trop vite, ils nous reprocheront de ne pas les laisser parler, risque qui n’existe pas avec un interlocuteur qui a un rapport minimal à la langue et qui ne tient pas spécialement à se faire remarquer, par un excès de zèle.

   Le vrai test, c’est quand notre interlocuteur réagit de façon pertinente à nos propos, ne se contente pas non plus de les répéter ou de les reformuler mais est en mesure d’en faire la critique sur le fond du propos et non pas sur un point de détail.. Dans les soutenances de thèse, on distingue assez bien ces deux niveaux chez les membres du jury, entre les observations factuelles mais limitées dans leur portée et les débats qui touchent à l’articulation même du discours, au mode d’argumentation. Il en est de même à la fin d’une conférence, il y a les questions qui demandent des renseignements bibliographiques ou sur tel aspect secondaire et celles qui touchent à l’essentiel de ce qu’a voulu exprimer l’orateur. Mais il est aussi révélateur d’analyser comment le dit orateur répond aux “vraies” questions qui lui sont posées. Imaginons qu’il lise un texte que lui-même ne comprend pas bien, il lui sera assez difficile de répondre à certaines réflexions car on l’a dit, parler n’est pas comprendre et cela vaut pour tout le monde. C’est d’ailleurs pour cela que les soutenances de thèse sont faites.

   C’est dire que la rencontre entre deux personnes est un test d’authenticité pour les deux mais la pseudo-communication est tellement plus rassurante, lorsque personne ne vous demande de compte, ne vous sonde, quand les questions posées sont insignifiantes et sont en fait des simulacres relationnels, où l’on fait semblant de s’entendre, dans tous les sens du terme, où l’on s’écoute parler, surtout quand on parle dans une langue étrangère où l’on parle pour s’entraîner ou pour jouer à être un autre, à se faire passer pour un autre.

   Au fond, l’enjeu n’est-il pas de s'assurer que l’autre est conscient de ce qu’il dit, qu’il sait convaincre, c’est-à-dire conduire l’autre à accepter ce qu’il lui dit comme si cela venait de lui-même. Celui qui reste sur ses positions, c’est-à-dire ne veut ni convaincre ni être convaincu est suspect : il n’y a pas de situation intermédiaire qui vaille. Pour convaincre l’autre, il faut que je sache ce qu’il pense et que je pénètre dans sa pensée et pour être convaincu, il faut que je laisse son propos pénétrer en moi. Au fond, il y a là une dimension sexuelle, et il y a une question de puissance ou d’impuissance et on notera que la femme n’est pas équipée pour pénétrer l’autre du fait de la non érection de son sexe, son clitoris, même excité, n’étant pas conçu pour pénétrer dans le corps de l’autre. La pseudo communication verbale est le pendant de la non pénétration sexuelle, du refus / incapacité, physique ou psychique, de pénétrer et d’être pénétrer.

   On peut certainement parler de castration verbale chez un grand nombre d’individus qui ne communiquent plus, c’est-à-dire qui ne font rien ensemble mais se masturbent côté à côte, tant il est vrai que la prise de parole n’est souvent rien d’autre qu’un plaisir solitaire alors qu’elle devrait être collective. Mais pour qu’elle le soit, encore faut-il que je sois en phase avec autrui, que je comprenne le sens de ses propos et non pas un mot par ci par là, hors contexte et réciproquement. Il y a un art de la conversation qui est souvent frelaté, perverti, réduit à des anecdotes, à des histoires drôles répétées pour la énième fois, à des récits de ce qu’on a fait la veille et qui est en fait marqué par une action mécanique, automatisée qui vise à meubler le vide. Les cafés philo sont souvent des lieux où la parole circule mal, où chaque vide son sac, à tour de rôle et qui manquent d’une vraie dynamique d’échange, cassée par une conception trop rigide de la prise de parole qui ne permet pas aux meilleurs de s’imposer. Car qu’on ne se leurre pas, convaincre c’est aussi vaincre, c’est l’emporter par son argumentation, sa présence d’esprit, c’est alors que jaillit une parole authentique, non répétitive, jaillissant du feu de la discussion.

   Ces castrations verbales ont évidemment chacune leur histoire, leur traumatisme, leur frustration : un élan a été cassé, parfois sciemment, on a coupé les ailes à l’oiseau qui ne peut plus quitter le raz des pâquerettes et est jaloux de ceux qui savent prendre de la hauteur. Il existe une guerre sourde entre ces deux populations qui, quelque part, constitue un enjeu de civilisation.

   Parler une langue étrangère et vivre dans un pays étranger est une affaire bien délicate qui tend à fausser la communication - la prise de parole de l’étranger étant pesante, lente pour ne pas parler du caractère approximatif de sa compréhension, qui génère assez vite chez lui de la lassitude voire de la distraction et les sociétés qui manquent d’homogénéité linguistique, où la langue véhiculaire est nouvelle pour un trop grand nombre de ses membres, sont pénalisées dans ce sens. C’est notamment ce qui distingue radicalement la société israélienne, si fortement marquée par les immigrations, de la société arabe et ce point ne semble pas avoir été assez souligné : le statut de l’hébreu en Israël n’est pas celui de l’arabe dans le monde arabe. On peut évidemment jouer sur les mots en disant : “tout le monde en Israël parle l’hébreu”, ce qui en réalité signifie simplement que tout le monde en connaît quelques mots, se débrouille, et s’en sert comme un dépannage de façon assez minimale. Il ne se sert à rien de se voiler la face.

   Ceux qui communiquent mal risquent fort de perturber les débats par leurs interventions inopportunes qui cassent le rythme. Il est préférable de trier les participants à un débat à moins de s’en tenir à une succession de monologues. Et l’on sait que pour nous les femmes font problème dans le rapport à l’objet.1, nous avons déjà abordé la question de la pénétration et de l’interpénétration. Or, quelque part, la femme veut préserver le sujet, c’est-à-dire son territoire et elle a une conscience beaucoup plus aiguë et rigide que l’homme de son champ individuel. Au fond, les mots seraient des individus, des sujets qui auraient chacun leur territoire.

   Il y a ceux qui font semblant d’écouter, de dialoguer et qui, en réalité, décident et raisonnent en circuit fermé, de façon unilatérale, car c’est seulement ainsi qu’ils ont le sentiment d’être en prise avec le monde, au travers de leur solitude, le rapport à l’autre n’étant finalement que subsidiaire et les perturbe, il leur pèse plus qu’autre chose s’ils tentent de lui accorder quelque importance.

   La femme construit une haie autour de son domaine, elle cloisonne, elle se sent envahie, alors que l’homme, pour rester dans la comparaison agricole ou géographique, est pour les grandes prairies, les vastes horizons. Au fond, l’essentiel pour elle, c’est que chacun se serve, indexicalement; des mêmes mots mais à sa manière, sans avoir de compte à rendre. Moi aussi, semble-t-elle dire, j’ai l’usage de cette expression comme on dirait j’ai aussi une (ma) télévision, j’ai aussi une (ma) voiture, ce qui au fond relève de la société de consommation qui n’implique pas la communication ni le partage mais qui fait que chacun a le sentiment d’avoir et de faire la même chose. Il ne s’agit pas de comprendre l’autre mais de se montrer, l’un à l’autre, que l’on sait parler, que l’on a un riche vocabulaire. Ni plus, ni moins.2 Les mots ne sont plus que des objets que l’on dispose avec plus ou moins de grâce et dont il importe peu à quoi ils renvoient. On s’assure simplement que l’on sait parler, que l’on reconnaît les mots selon la définition du dictionnaire et peu importe ce que l’on exprime avec ces mots. Par ailleurs, une telle communication relève plus du reportage - ce qu’on a vu, ce qui s’est passé, ce qui nous passe par la tête - de la question que du questionnement.

   Comment donc pourraient cohabiter des rapports aussi différents au langage ? Les Anciens l’avaient compris qui excluaient les femmes des lieux de débat, des forums, des agoras, ce fut le cas des assemblées politiques depuis la Révolution jusqu’à la Libération et de fait bien après et le scrutin universel ne concernait que les hommes, notamment sous la Seconde République et le Second Empire. Cela pose aussi la question du vote des étrangers, qui, de par leur condition, tendent à se féminiser et ne sont pas forcément aptes à discerner ceux qui sont les mieux prédisposés à diriger puisqu’ils ne sont pas assez sensibles à la qualité des argumentations et savent mal déterminer qui est le meilleur. Nous avons pu remarquer, pour notre part, à quel point les assemblées mixtes étaient souvent impuissantes à faire émerger les éléments les plus forts, les plus doués.

   Le langage est un vecteur privilégié de l’imitation de l’autre. On lui emprunte ses mots - comme l’anglais l’a fait au français- souvent avec des significations qui ne se superposent pas complètement, mais peu importe, on ne va pas chercher si loin : ce mot ci ou ce mot là feront désormais partie également de notre bagage. Le langage cesse alors d’être un mode de communication pour n’être plus qu’un mode d’identification, les signes n’étant plus que des insignes.

Jacques Halbronn
Paris, le 25 avril 2003

Notes

1 Cf nos textes sur sujet / objet, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour

2 Cf. notre étude sur la “féminisation actuelle”, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour



 

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