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HYPNOLOGICA

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Le Zar ou la place de l’étranger
dans l’Histoire des Civilisations

par Jacques Halbronn

   Comment définir le mouvement par rapport au statique, celui qui va “par monts et par vaux”, l'étranger ou Zar, délaissant le lieu ou Maqom ? Comment partir de la Cause nécessaire pour aboutir à l'Effet contingent ? Voilà les questions auxquelles Jacques Halbronn tente d'apporter un commencement de réponse.

   Dans la présente étude, comme dans celle consacrée au Tsélem, nous entendons circonscrire un champ spécifique rassemblant des données apparemment fort diverses voire contradictoires. Nous userons d’une autre expression hébraïque, le Zar, pour désigner tout ce qui touche à la question de l’étranger (la personne, le lieu, le mot) par opposition au Maqom (lieu en hébreu, à ne pas confondre avec le Maqor (source) qui s’oppose au Tsélem), qui réfère à ce qui est local. Il pourrait d’ailleurs exister un lien sémantique entre Maqom et Maqor, signifiants fort proches.

   Le champ du Zar recouvre tout ce qui implique une conscience de l’autre et conduit à déterminer une politique à son égard. Le Zar peut être un antidote contre la sclérose qui menace toute société repliée sur elle-même. Face au Zar, il faut s’expliquer, décrypter ses propres codes : c’est ainsi que les premières descriptions des langues furent élaborées à l’intention ou à l’initiative des étrangers.

   Dès lors qu’une culture est confrontée à une autre, par quelque moyen que cela soit (guerre, alliance, immigration, émigration, emprunts linguistiques etc), on entre dans le champ du Zar. On comprend dès lors que l’on ne saurait accepter d’opposer des termes comme guerre et paix, art militaire et diplomatie, dont d’ailleurs Clausewitz (1780 - 1831) déclarait qu’ils étaient le prolongement l’un de l’autre.

   Autrement dit, à certains moments le tropisme vers l’autre peut emprunter diverses voies qui, en dépit de leurs dissemblances apparentes, servent le même objet, répondent au même stimulus.

   Force, en effet, est de constater que certaines périodes semblent plus enclines que d’autres à favoriser des brassages, des contacts avec l’étranger, que d’autres et que le processus inverse se manifeste également à d’autres moments, produisant ainsi une sorte de dialectique dont il s’agirait de déterminer la cyclicité.

   Si l’on prend un processus aussi particulier que la sexuation, on peut se demander si cela n’a pas commencé par la rencontre “conjoncturel” entre deux populations différentes et qui aurait évolué vers une cohabitation “structurelle”, c’est-à-dire programmée et non pas simplement subie de façon aléatoire. Autrement dit, le rapport synchronique entre le Maqom et le Zar aurait été systématisé de façon diachronique, le Maqom générant en lui-même un élément Zar (rapport du masculin au féminin).

   La présence du Zar n’a pas que des effets positifs, elle s’articule sur le Tsélem (cf. notre étude sur ce Site) et passe donc par un processus d’automatisation et de simplification. Longtemps, les esclaves furent des étrangers, privés des droits du citoyen local, ce qui permettait à la société - comme ce fut le cas de la “démocratie” athénienne - de fonctionner à plusieurs niveaux.

   Le Zar est aussi celui, plus généralement, qui assure des fonctions que refuse ou rechigne d’assumer le Maqom, en raison d’interdits religieux ou culturels. Taches donc subalternes ou méprisées mais néanmoins nécessaires et qui justifient la présence du Zar.

   Il nous apparaît donc que plusieurs activités se rejoignent et se recoupent dans la zone Zar : quelle différence entre envahir et être envahi, notamment ? Le distinguo qui peut sembler crucial au premier degré perd de son évidence à la réflexion : dans un cas comme dans l’autre, en effet, la rencontre a lieu avec l’autre qu’il soit soumis ou dominateur, et d’ailleurs l’on sait que fréquemment le dominateur est dominé, comme ce fut le cas entre Rome et Athènes, où Rome vainqueur n’en fut pas moins longtemps sous la coupe de la culture hellénique. N’oublions pas que si un peuple subit l’invasion d’un autre, c’est aussi en raison d’une résistance affaiblie, comme on a pu le constater en 1940, quand l’Allemagne occupa une partie de la France et où il fut question de collaborateurs. D’ailleurs, la France et l’Allemagne allaient se rapprocher, dès les années Cinquante, dans le cadre du Marché Commun, ce qui obéissait, grosso modo, aux mêmes objectifs, à savoir dépasser et abolir les frontières. En comparaison, la Première Guerre Mondiale obéissait à d’autres enjeux, plus nationalistes que supranationaux.

   On dira que les phases supranationales nient l’étranger en tant que tel dans la mesure même où elles remettent en question certains clivages, tandis que les phases “nationalistes” lui reconnaissent pleinement sa spécificité et ne prétendent pas l’abolir. Autrement dit, le rapport au Zar n’est pas figé, il passe par des périodes qui entendent en traiter diversement. Ce qui nous permet, ipso facto, de dire que le Zar serait au coeur de l’Histoire et devrait être un objet privilégié de la science historique. Il importe donc de diagnostiquer, pour cerner un contexte, le traitement subi par l’étranger, dans son affirmation ou dans sa négation, sachant que toute politique est voué à des revirements, tant semble nécessaire et salutaire une certaine alternance.

   On se demandera également ce qui conduit une langue à emprunter à une autre langue plutôt que de chercher à exploiter son propre fonds. Et dans ce cas, l’emprunt peut s’effectuer à l’insu des locuteurs de la langue ainsi pillée. Car peut-on parler de la conquête d’une langue par une autre lorsque le processus de conquête n’est pas délibéré ni même conscient ? Tout comme la présence d’immigrés sur son territoire n’équivaut pas à l’annexion d’un territoire étranger, même si les effets convergent : que l’on songe aux effets de la décolonisation sur l’immigration, notamment dans le cas de la présence des Maghrébins en France.

   Tout se passe comme si se produisait une instrumentalisation de l’élément étranger, à certaines époques, que ce soit comme repoussoir ou comme fascination étant entendu qu’on ne peut savoir à l’avance laquelle des formules - de contact ou de rejet - l’emportera, à un moment donné : les accords de Munich (1938) permirent dans un premier temps de calmer les appétits d’expansion de l’Allemagne nazie avant que cela ne bascule vers une guerre que l’on ne saurait qualifier d’inévitable. De même, à la fin des années Quatre Vingt, le démembrement du bloc communiste - ce qui correspond à une phase nationaliste au sens d’un repli et non d’une extension territoriale - ne s’accompagna point pour autant de véritables affrontements armés. Il est clair, en revanche, qu’un nationalisme de rejet de l’étranger n’est pas du même ordre qu’un nationalisme revendiquant des annexions comme chez un Napoléon Bonaparte ou un Adolf Hitler.

   Bien plus, dans les cas de séparation ou de sécession, il faudrait faire la part de ce qui tient à une volonté d’indépendance, de la part de ceux qui exigent leur autonomie ou leur indépendance, et de ce qui tient à celle du colonisateur de se décharger d’un boulet. Ces deux cas de figure répondent à un même stimulus de repli en dépit de manifestations apparemment opposées.

   Si l’on considère le conflit israélo-palestinien, l’on notera qu’au lendemain de la Guerre des Six Jours, les arabes des territoires occupés sur le moment collaborèrent, d’assez bonne grâce, avec les Israéliens. L'Intifada appartient à une autre époque, obéissant à une autre logique. Ce qui était acceptable ne le reste pas indéfiniment : ne pas dire : « fontaine, je ne boirai jamais de ton eau. » Un Arafat aura quand même fini par faire accepter sa présence, dans les années Quatre Vingt Dix en Cisjordanie : il suffit en effet d’attendre une opportunité, un revirement de tendance.

   En circonscrivant la zone Zar, nous avons voulu montrer quelles étaient les vraies et les fausses dialectiques et oppositions en privilégiant celle de Maqom / Zar sur le classique Guerre / Paix qui, elle, ne fait guère sens au niveau de ce que nous avons appelé l’Anthropologie fonctionnelle, quand bien même le ressenti serait vécu différemment, cela importe peu. A certaines époques, l’essentiel est l’abolition des barrières, des péages et ce par tous les moyens, selon les opportunités saisies. On sait que l’amour et la guerre font tous deux abstraction des frontières et que parfois la violence est un substitut pour un rapprochement qui ne se fait pas : l’important, in fine, étant le contact, à n’importe quel prix.

   On conçoit que chacune des deux phases ne puisse se prolonger indéfiniment : poussée à l’extrême, on irait soit vers une société sans frontières, mondialisée, ou, au contraire, complètement fragmentée, c’est selon. Il semble que les sociétés traditionnelles aient introduit une temporalité qui limite chaque phase à des proportions raisonnables, dans un sens ou dans l’autre.

   Le statut du Zar n’est, en tout cas, pas figé. Bien plus, il incarne, par excellence, le mouvement, le changement, le cycle, l’aller-retour. Or, nous participons tous peu ou prou de cette zone puisque nous sommes inévitablement l’autre de quelqu’un, avec comme perspective, tôt ou tard, d’être instrumentalisés pour les besoins de la cause.

   Reconnaissons que cette zone du Zar nous apparaît comme un purgatoire, un lieu de transit. Celui qui s’éloigne du Maqom / Maqor se condamne ou est condamné - par un exil dont les causes importent peu ici - à un certain mimétisme - à la façon d’un automate aux gestes rigides - au déracinement, ce qui le conduit à une appréhension laborieuse du monde par rapport auquel il reste extérieur, étranger.

   Dans le cas des langues, une telle cyclicité ne peut qu’être relative : ce qui a été emprunté par une langue peut-il si aisément en être évacué, à la décennie ou à la génération suivante ? La langue française a souvent fait l’objet d’une tentative d’évacuation des langues où les circonstances l’avaient fait pénétrer : on pense à la tentative de défrancisation de l’allemand sous les Nazis. Le français, lui-même - ce qu’on nomme depuis Etiemble le franglais - a fait appel, a importé, d’ailleurs modérément, des mots anglais : pour quoi faire ? N’était-il pas en mesure de trouver dans son propre fonds les signifiants adéquats en en renouvelant les acceptions ou bien était-ce cette pulsion qui conduit périodiquement les hommes au défi du Zar ? Car, l’épreuve du feu passée, la tentation de se perdre en l’autre surmontée, les cultures ne s’en trouvent-elles pas aguerries ?

   La condition juive se présente, en ce sens, comme singulièrement complexe : nous proposons de parler du Juif comme d’un étranger structurel, au même sens où l’est le féminin, du fait de la sexuation, bien plus en amont. Le Juif est voué à subir le choc de cette cyclicité, en alternant les périodes d’assimilation où il disparaît comme Zar et celles de séparation, où il est montré du doigt comme différent, malgré tout ce qui le rattache au Maqom. A lui d’assumer une telle dualité, en étant à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, selon les nécessités de la vie sociale.

   On comprend que cette fréquentation du Zar dans le cadre d’entreprises impériales ou supranationales ne soit supportable qu’un temps, constitue une pause, un relâchement des structures et que cela sera suivi par un processus en sens inverse passant par un ressourcement, où les automatismes sont libérateurs d’énergies et non une fin en soi comme chez l’automate qui n’est que gestes appris.

   Derrière la surface des événements aussi tragiques ou divers soient-ils, se déroule un mouvement de flux et de reflux obéissant à un rythme régulier et incessant, et il revient à la science historique du XXIe siècle de le prendre pour principal paramètre, sachant que les mêmes causes nécessaires ne provoquent pas les mêmes effets contingents, mais que chacun de ces effets appartient à un même ensemble abolissant les fausses contradictions.

Jacques Halbronn



 

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