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HYPNOLOGICA

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Les mécanismes de substitution :
de la délégation et du mimétisme

par Jacques Halbronn

    L’Histoire de l’Humanité est celle de procédures successives de substitution, terme qui pourrait être considéré comme synonyme de ce que nous avons appelé le facteur hypno.1 Il conviendrait également de relier substitution à délégation et à mimétisme, qui sont les deux faces d’une même médaille, l’une de signe positif / actif, l’autre de signe négatif / passif.

   La délégation consiste à se faire remplacer, le mimétisme à prendre la place de l’autre, à le remplacer, les deux attitudes peuvent d’ailleurs converger ou se substituer l’une à l’autre, du fait d’ un processus syncrétique.

   Sous le terme délégation, nous incluons aussi bien la mise en place d’une représentativité politique à la suite d’élections, que le développement technologique en précisant toutefois que, sous une forme ou sous une autre, de tels enjeux ont toujours existé mais qu’ils sont de nos jours (re)conscientisés.

   Sous le terme de mimétisme, nous faisons référence à tout projet visant à s’approprier certains signes caractéristiques d’une autre population que celle à laquelle on appartient, notamment par l’emprunt de mots étrangers ou de marques distinctives.

   Dans cette étude, nous essaierons d’étudier dans quelle mesure ces deux mécanismes convergent. Le fait est que tous deux conduisent peu ou prou au même résultat, même si en apparence les intentions divergent sensiblement. Au final, la conjonction des deux mécanismes constitue un pôle “hypno” considérable.

   Il est vrai que les phénomènes concernés sont assez ambigus : le conquérant peut être conquis (Rome et Athènes), le serviteur dominer le maître2, le voleur se retrouver sous la coupe de sa victime qui le fera chanter, un cadeau s’avérer empoisonné, bref les rôles s’inverser.

   Les relations entre ceux qui dépendent les uns des autres ne sont pas simples : on peut en arriver à détester ceux à qui l’on doit beaucoup et qui nous ont marqués ; c’est probablement une des causes de l’antisémitisme / judéophobie de type religieux chez les chrétiens et les musulmans, on veut prendre la place de quelqu’un qui ne disparaît pas pour autant, devenant le témoin gênant d’un comportement mimétique à son égard. Il semble que reconnaître un rapport mimétique peut être pénible : même un étranger mettra sa présence dans un certain pays sur le compte du hasard, niant une fascination particulière pour le dit pays. Ça s’est fait comme ça !

   Le cas du travailleur immigré est intéressant puisqu’il relève à la fois d’un besoin de la société qui l’importe, qui le fait venir et d’un tropisme vers cette société où, souvent, il voudra à terme s’installer et s’enraciner, en occultant plus ou moins ses origines. En pratique, l’immigré se situe dans un prolongement, dans une marge.3

   Or, cette idée de prolongement est centrale pour le phénomène de délégation propre à Hypno. Quand on cherche à se prolonger, on ne choisit pas n’importe quoi : on se met en quête d’un “matériau”, au sens le plus large, adéquat, qui à la fois est proche et distinct. Il faut qu’il soit distinct, en effet, pour qu’on puisse l’identifier dans sa fonction, c’est la dialectique du signifiant social et du signifié social qui veut que chaque spécificité fonctionnelle soit prévisible, donc annoncée par quelque marque extérieure, par un certain code. En ce sens, les populations issues de la colonisation, notamment française et britannique, se prêtent à de tels besoins, du fait d’un mimétisme plus ou moins avoué du colonisé par rapport au colonisateur. La quasi-proximité favorise les processus de substitution.

   Mais il arrive un moment où celui qui pense maîtriser le système risque d’en perdre le contrôle. Cela se produit notamment par la négation ou la relativisation des marques distinctives et par la mise en oeuvre d’un syncrétisme qui pose comme égal, identique - c’est-à-dire relevant d’une même identité sociale - ce qui se ressemble, même superficiellement. Il convient de s’interroger sur les conséquences d’une telle évolution.

   Qui instrumentalise qui ? Est- ce celui qui se cherche un prolongement aux fins de se décharger de certaines corvées ou est-ce celui qui veut s’arroger un statut qui n’est pas le sien, à l’origine ? On ne peut certes guère supposer l’existence d’un mimétisme chez l’animal ou la machine, dans ce cas il semblerait que c’est l’homme qui génère cette ressemblance, qui suscite l’imitation, la substitution encore que dans le cas de l’animal, seuls ceux qui étaient devenus des familiers de l’Homme ont pu servir ce but et cette proximité n’était pas initialement fonction d’un travail à exécuter. Dans le cas de certains outils, on peut penser que l’homme a recouru à ce qu’il avait sous la main et qu’il a fait avec. Toute proximité, tout rapprochement sont susceptibles de déboucher sur une certaine division du travail, finissent tôt ou tard par se justifier économiquement ou écologiquement.

   Le terme de proximité est déterminant4 ; tout se passe comme si la question récurrente était celle de notre attitude envers ceux qui sont “comme nous” ; qui sont objectivement du même bord et ceux vers lesquels nous souhaitons nous rapprocher - et vice versa - mais dont le rapport avec nous n’est qu’approximatif. Autrement dit, notre rapport à l’autre varie, obéit à une courbe, à un cycle, implique une alternance d’attitudes, ce qui peut conduire périodiquement à renverser la vapeur, à des avancées et à des replis.

   Nous avons décrit, ailleurs, le facteur hypno comme impliquant une subconscientisation, ce qui signifie que bien des actes ne sont pas / plus accomplis consciemment. Celui qui emprunte n’est-il pas manipulé, ne décharge-t-il pas ipso facto son prêteur, souvent involontaire en le prolongeant ? Mais ce faisant, il n’en joue pas moins un rôle passif et en quelque sorte féminin, il se laisse / fait féconder, il est porteur de la substance de l’autre, par rapport auquel il s’est ainsi satellisé. On pense aux abeilles et au pollen.

   Mais il y a des dysfonctionnements, des revendications sociales qui menacent - du moins à un certain niveau - le système. Le paradoxe veut que plus l’autre me prolonge efficacement, plus il est amené à me remplacer et donc plus il considère qu’il peut prendre ma place. Il y a là un intéressant glissement sémantique et c’est dans les interstices sémantiques de chaque langue - productrices d'ambiguïtés - que la confusion peut plus ou moins délibérément s’installer / s’instaurer. Car remplacer n’est pas la même chose que prendre la place et même ce serait plutôt le contraire. Je remplace quelqu’un pour qu’il puisse faire ce qu’il a à faire par ailleurs - donc je ne me mets pas à sa place globalement - et je ne le remplace que ponctuellement, sur un certain segment. Si par exemple, j’envoie quelqu’un chercher du pain à ma place, cela ne signifie nullement que la personne va prendre ma place puisque ma place, c’est celle de quelqu’un qui l’a envoyé chercher du pain pour pouvoir vaquer à autre chose. Il y a là un évident flou sémantique dont certains peuvent se délecter non sans quelque mauvaise foi. L’expression “remplace moi” - le remplacement - sont source de bien des lectures contradictoires et de débordements. On passe aisément du remplacement à ce qu’on appelle un abus de confiance, c’est-à-dire l’usage d’une délégation qui outrepasse sa vocation première.

   La question du clonage est au coeur de ce débat : le progrès favorise l’imitation et l’imitation empêche le processus hypno de fonctionner pleinement puisque elle est refus de dualité : négation de la dialectique conscient / inconscient en particulier dès lors que l’inconscient est perçu comme subalterne, ancillaire bref inférieur sinon infernal.

   Le problème, c’est que l’imitation, le remplacement, la substitution, la délégation, ont leurs limites. La source d’un fleuve peut s’écouler par diverses voies mais elle n’en reste pas moins source et le contenant - le lit du fleuve - n’est pas le contenu - son eau. Vouloir identifier contenu et contenant, message et médium5 est une tentation nullement innocente, cela peut conduire à une crise de civilisation.

   Pourtant, quoi de plus naturel pour un groupe qui va passer la nuit dans un lieu exposé de se choisir un veilleur pour éviter à chaque membre d’avoir à veiller. Il n’y a pas de processus hypno (de sommeil, en grec) sans veille, sans surveillance, sans vigilance. Si je “dors”, à quelque niveau que ce soit, il faut bien que quelqu’un veille à ma place, pour moi. Si personne n’est chargé de ce que je ne fais pas moi-même, c’est la pente vers l’incurie.

   Comment se fait-il donc que le système continue à fonctionner en dépit de son apparente fragilité / précarité ? Là encore, on rencontre le phénomène hypno, mais à une autre profondeur : en effet, nos sociétés sont programmées, de longue date, pour que certains rôles soient tenus par telle ou telle population6 ; un tel dispositif constitue un indispensable garde-fou. La question du masculin et du féminin est notamment un seuil, un pivot, à respecter et à ne pas transgresser.

   En tout état de cause, il est des populations qui ont une sorte d’instinct qui les conduit à se charger de ce qui est à autrui et en quelque sorte qui ont vocation à servir, à se rendre utile à l’autre en se plaçant dans son orbite. Le comportement mimétique correspond à un tropisme qu’il faut l’assumer.7 Souvent existe un décalage entre le comportement et un discours décalé, emprunté du fait même du mimétisme, le paradoxe comble du mimétisme, étant d’emprunter un propos étranger : quand je parle à la place de l’autre, je ne parle pas en mon nom propre et ce que je dis ne me concerne pas bien que cela sorte de ma bouche, d’où un certain sentiment d’irresponsabilité, dans la mesure où l’on ne peut répondre au niveau du signifié à ce qui est posé au niveau du signifiant.

   En pratique, les équilibres sont respectés - le chien aboie, la caravane hypno passe mais les tentatives faustiennes pour éradiquer certains clivages, au prix même de l’extermination (Shoa), sont un avertissement. La démocratie est d’ailleurs un mécanisme essentiel en ce qu’elle maintient l’idée d’une représentation : on choisit des gens pour veiller sur l’ensemble d’une population et cela obéit à une cyclicité, permettant une alternance. Le parlementarisme est au coeur du processus hypno, au même titre que l’essor technologique, ce sont, pour reprendre notre expression, les deux faces d’une même médaille. Mais le parlementarisme n’en est pas moins source d'ambiguïté et l’expression d'exécutif est à méditer. Le terme anglais executive est beaucoup plus courant qu’en France. Celui qui exécute - même s’il gouverne, s’il règne, n’est pas la source du pouvoir, comme l’a affirmé justement Jean Jacques Rousseau. On s’est déchargé sur lui d’une tâche qu’il assume au nom de toute la communauté sans que celle-ci ne disparaisse pour autant ou renonce à ses droits.

   Mais, répétons-le, la démocratie n’est qu’un mode de conscientisation symbolique et dont l’efficience est toute relative. Il existe des mécanismes beaucoup plus ancrés et à l’oeuvre dans toutes les sociétés, démocratiques ou non car le principe de substitution est universel, aucune société, dans les faits, ne peut y déroger. De même que l’on ne saurait, diachroniquement, opposer une ère technologique à une ère qui ne l’aurait pas été - car depuis toujours, l’homme a élaboré des outils - de même, on ne saurait opposer, synchroniquement, sociétés démocratiques et non démocratiques car l’humanité est viscéralement vouée à la représentation et à la délégation et aucune société ne fait exception. Bien au contraire, il est parfois dangereux que des processus inconscients soient conscientisés car cela conduit éventuellement à leur dysfonctionnement.

Jacques Halbronn
Paris, le 6 juin 2003

Notes

1 Cf. nos études dans la rubrique Hypnologica, Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr. Retour

2 Cf. le film de Joseph Losey, The Servant (1963). Retour

3 Cf. nos études sur “Tsédeq” et “Zar”, Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr, rubrique Hypnologica. Retour

4 Cf. notre étude sur hypno et astrologie, dans la rubrique Astrologica, Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat. Retour

5 Cf. l’oeuvre du canadien Marshall MacLuhan (1911 - 1980). Retour

6 Cf. notre étude “science, conscience, inconscience”, Encyclopaedia Hermetica, sur le Site Ramkat et sur Faculte-anthropologie.fr. Retour

7 Cf. notre étude sur les tropismes, Site Faculte-anthropologie.fr. Retour



 

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