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HYPNOLOGICA

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Ethique et épistémologie du Hasard

par Jacques Halbronn

    La rencontre de l’autre est une subtile combinaison de hasard et de nécessité et c’est probablement là que se situe une certaine part de notre liberté sociale, compte tenu de tout ce qui est déjà engagé et déterminé depuis des millénaires. Il y a créativité à former / forger un couple.

   Car s’il est vrai que nous sommes voués à un certain nombre d’actes et que les statistiques montrent que nous n’échappons guère à ce qui est prévu / pourvu, il n’en reste pas moins une certaine marge de manoeuvre, celle du choix de la manière dont nous allons en quelque sorte être mangés. Et c’est là qu’entre en jeu le hasard, qui n’est en fait qu’une nécessité au coeur d’une nécessité, une nécessité additionnelle renouant avec l’origine des choses dans la mesure même où au commencement tout est hasard, arbitraire, aléatoire.

   Le couple consiste à faire du hasard une nouvelle nécessité ou d’accomplir à nouveau, une modeste échelle ce que le vivant a accompli de longue date. Ce couple qui va ainsi unir des lignées génétiques différentes et qui auraient fort bien pu ne jamais être mises en contact. Et une fois des enfants nés d’un couple, on aura obtenu quelque chose d’irréversible, quand bien même le dit couple se dissoudrait et chaque partenaire irait former d’autres couples.

   Les règles du mariage ne se conçoivent que dans cette volonté d'institutionnalisation du néo-hasard, c’est-à-dire de celui qui nous est contemporain et qui peu ou prou dépend des individus, par opposition à l’archéo-hasard lequel ne dépend pas de notre initiative mais ne nous implique pas moins. Le néo-hasard ne saurait modifier l’archéo-hasard, il ne peut que s’y surajouter.

   Quelle éthique pour ce double hasard ? Il semble que le hasard doive être pris au sérieux et qu’il ne doit pas être constamment sous la menace d’un nouvel hasard qui irait défaire ce qui a été engagé. Le hasard tue le hasard, lui enlève sa prégnance, donc le hasard exclue tout autre hasard que lui-même. Il n’y a pas le hasard mais des hasards : on parle des “hasards de l’existence”.

   Ceux qui font de leur vie une succession de hasards s’entredétruisant n’ont pas compris ce qu’il en était, eux qui déclarent cyniquement que ce qu’un / le hasard a apporté, un autre / le hasard peut l’emporter. Chaque hasard doit avoir son territoire et il importe d’éviter les interférences entre les divers hasards.

   Pour en revenir au couple, le hasard a conduit à la formation d’un couple mais celui-ci n’a plus dés lors à se trouver à la merci d’un nouvel hasard ou plutôt il devra affronter de futurs hasards sans remettre en question son existence en tant que tel: d’où la formule consacrée : “pour le pire et pour le meilleur”.

   Ce que l’on appelle hasard, c’est notamment la coïncidence qui conduit à la confusion quand deux processus se croisent et qu’on ne sait plus momentanément lequel est en jeu ponctuellement.1 Autrement dit, par hasard, les choses ont l’air de ce qu’elles ne sont pas. C’est ce qui rend le hasard redoutable.

   Au fond, le hasard favorise le mimétisme voire l’encourage en ce qu’il tend à brouiller le jeu, les cartes. D’où la nécessité d’une certaine vigilance, d’un contrôle permanent des faux semblants.

   Il y aurait donc un hasard positif qui nous permettrait d’actionner diachroniquement notre liberté en générant un surcroît de nécessité, une nouvelle nécessité, mais non pas une nécessité qui prendrait la place de l’ancienne, le mot “nouveau” ayant des significations contradictoires - qu’est ce qu’un renouvellement ? - et étant manifeste des hasards de la sémantique: par hasard, tel mot peut être pris dans divers sens et produire une sorte de dérive et cela relève d’un hasard négatif capable de fausser le cours normal des choses.

   En instrumentalisant le hasard, nous ne l’avons pas pour autant neutralisé, il continue son bonhomme de chemin, et nous nargue, nous tente. Il nous semble que tant l’éthique que l’épistémologie ont énormément à voir avec notre gestion, notre attitude face aux nouveaux hasards qui s’offrent à nous et sont une invitation à la déviance. Car comment distinguer hasard positif et hasard négatif, hasard qui vient parachever et un hasard qui vient égarer ?

   Par hasard, quelqu’un, malencontreusement pour lui, se trompe dans une somme qu’il vous doit, et vous avez ainsi un trop perçu, faut-il le lui faire remarquer immédiatement à moins de penser que c’est un coup de pouce du destin, une opportunité inespérée. Les jeux de hasard interférent avec le cours ordinaire de nos attentes.

   Le hasard nécessaire, c’est celui qui nous fait choisir un lieu de vie plutôt qu’un autre parce qu’il faut bien habiter quelque part comme il faut bien vivre avec quelqu’un et cela n’est pas écrit d’avance. C’est celui qui nous fait choisir une profession plutôt qu’une autre, un sujet de recherche et non un autre et ainsi de suite. Le hasard intervient chaque fois qu’il y a un choix qui ne s’impose pas absolument et radicalement : on ne choisit pas ses yeux, mais on choisit son chien.

   Parfois, l’on dit: laissons le hasard en décider, c’est là un acte responsable, qui correspond à un bon usage du hasard et qui implique qu’on ne le laisse pas décider en toute circonstance mais quand on le veut bien et de préférence de concert avec autrui : d’où ce “Laissons”. Il faut comprendre : “pour une fois”, “une fois n’est pas coutume”. Il y a des situations qui “font hasard”, c’est-à-dire qui font appel au hasard.

   Ceux qui pensent que le hasard n’existe pas sont un peu comme ceux qui nient l’existence du diable dont on sait que la plus grand réussite est qu’on ne croit pas en lui. Au contraire, il est urgent de faire la part du hasard, de tous les hasards, de s’en prémunir - en contractant quelque assurance - et de ne recourir à celui-ci qu’à bon escient. Car le problème du hasard est qu’on ne peut complètement s’en passer, s’en abstenir - en faire abstinence - il nous y faut recourir mais dans une juste mesure, tout comme il nous faut manger modérément, regarder la télévision modérément au lieu d’abuser.

   Il y a donc quelque chose d’exceptionnel dans notre appel au hasard alors que certains en font quasiment une règle de vie et ne savent pas où s’arrêter dans leur rapport au hasard, lequel va finir par les envahir, les conduisant à l’overdose. Or, il ne faut rien “laisser” (décider) au hasard que dans des moments particuliers et solennels: une élection, un mariage et encore cela s’accompagne-t-il d’une certaine solennité qui vise à ne pas lui laisser pour autant le champ libre.

   Il y a des gens qui ont pris le parti de se laisser guider par le hasard, pour lesquels toute coïncidence, dans le temps et dans l’espace, les impressionne: comment se fait-il qu’Un Tel ait le même prénom qu’Un Tel, et pourquoi X m’a téléphoné le jour où il s’est passé cela avec Y et qu’est ce que “cela” veut dire ? Qui est ce “cela” qui s’adresse à nous ? Or, il y a des hasards fondateurs et des hasards qui ne nous mènent nulle part. Entre les rapprochements, les décloisonnements, féconds du chercheur et les errements de celui qui prend des vessies pour des lanternes, mélange les torchons et les serviettes, se laisse berner par le hasard des pseudo-recoupements, quel décalage ! Mais aussi, comme les hasards se ressemblent ! Ce serait trop simple si on ne risquait pas de se tromper: le hasard, c’est justement la part d’erreur résiduelle qu’il s’agit de débusquer. Et si par hasard.

   C‘est le hasard qui provoque les erreurs judiciaires2 en se faisant passer pour la vérité, tant les apparences sont contre l’inculpé, “de par l’effet du plus grand des hasards”.

   Les pseudo-sciences bénéficient de cette manne du hasard qui fait que de temps en temps elles trouvent un semblant de confirmation : on ne peut pas tout le temps se tromper, disait Voltaire. Mais parfois en se trompant, on vise juste et parfois en ayant raison, cela se termine mal, du fait précisément du hasard qui peut aussi bien, provisoirement, empêcher la vérité de triompher et conférer une palme à l’erreur, du fait d’un étonnant concours de circonstance. Ainsi, un texte alambiqué, ambigu, peut-il par hasard décrire un événement à venir et on le qualifiera de prophétique alors que toute prévision était en l'occurrence impossible.3 Le temps fait généralement justice de tels mirages.

   Souvent, ainsi, le hasard reprend-il, remporte, ce qu’il a donné, il a permis de construire, il incite un peu plus loin à détruire et c’est précisément de ce flux et reflux qu’il importe de se garder. Le hasard serait une sorte de Pénélope qui déferait régulièrement la tapisserie qu’elle a brodée. Car ce qui importe avec le hasard, c’est d’éviter qu’il enlève quelque chose en donnant l’impression qu’il apporte. La proie pour l’ombre.

   D’où l’adjectif hasardeux qui veut bien dire ce qu’il veut dire. Il y a des gens hasardeux, qui recourent aux expédients offerts de temps à autre par le hasard qui, parfois, “fait bien les choses”. La pratique de la consultation astrologique appartient à ce genre des activités hasardeuses qui reçoivent un semblant de vérification, du fait d’un mot qui a été compris de travers, d’une formule qui ressemble à quelque chose qui s’est passé ou qui va se passer et ainsi de suite. On joue sur un certain flou et on se garde bien ici de contre-épreuves puisque tel n’est pas vraiment le but de l’opération, laquelle implique d’établir un rapport de confiance, un bon transfert et là tous les moyens sont bons. Mais une fois de plus, le hasard doit-il être canalisé pour la bonne cause. Autrement dit, la divination consisterait à produire du verbe et à spéculer sur le fait que le hasard viendra donner à celui-ci l’apparence de la vérité. Mais une vérité qui ne serait pas le résultat d’une véritable science, une vérité en quelque sorte usurpée.

   Certes, parfois, on l’a dit, les ressemblances ne sont pas fortuites, certains rapprochements se justifient et c’est par hasard que ceux-ci n’ont pas été proposés plus tôt, du fait d’un détail qui faisait obstacle. Car le hasard peut aussi bien relier que séparer, et dans les deux cas souvent fâcheusement. En d’autres termes, ne rien laisser au hasard devient un idéal épistémologique et éthique, tout en précisant qu’il faut, malgré tout, s’en servir mais à condition de le réduire à la portion congrue car on a quand même besoin de lui et que certaines similitudes, même factices, contribuent à une apparence de continuité qui n’est pas nécessairement désagréable, pourvu qu’on n’en soit pas dupe.

   La statistique permet, par le calcul des probabilités, de juguler les effets pervers du hasard : elle ne se satisfait pas d’un cas isolé, elle exige répétition et renforcement de la tendance par le fait de nombreux cas convergents. Le hasard, au demeurant, s’inscrit dan la statistique, dans la mesure où quoi que l’on fasse, le résultat global restera le même: que l’on mange par hasard ce plat tel jour ou tel autre, la consommation d’ensemble n’en sera guère affecté, sur le long terme. Le poids du hasard, positif comme négatif, tend à se résorber voire à s'annihiler avec le nombre et le temps et n’est plus, au bout du compte, qu’épiphénoménal.

   Mais comment savoir quand il y a hasard et quand ce que nous appelons hasard relève en fait d’un processus normal que nous n’avons pas su prévoir ? Par exemple, si tout d’un coup quelqu’un tombe malade, est-ce que c’est le résultat de problèmes de longue date ou au contraire l’effet d’un phénomène ne s’inscrivant que de façon incidente dans ce que le sujet avait vécu jusque là ? C’est dire à quel point, il est difficile de distinguer hasard et nécessité et qu’il faut tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de crier “au hasard ! ” comme d’aucuns crient “au loup”.

   Le mot hasard (de l’arabe al-zahr pour dés, mais on a déjà le même sens en latin : alea jacta est, le sort en est jeté) est en fait synonyme d’extérieur, d’étranger, il désigne une cause externe au processus considéré. Cela ne signifie pas que ce qui arrive ne s’explique pas mais que cela vient d’ailleurs, qu’il y a eu en quelque sorte interférence. Dire qu’il n’y a pas de hasard signifierait que tout est dans tout, qu’il n’y a pas d’intérieur et d’extérieur par rapport à un savoir donné, que ce savoir englobe tout, n’ignore aucun paramètre, ce qui pourrait être une définition de Dieu. La thèse inverse est celle d’une sorte de chaos où différentes dynamiques évolueraient et parfois se croiseraient, c’est-à-dire se rencontreraient, ce qui est le propre même de ce qui est différent. Le hasard, c’est l’intersection, c’est quand on ne sait plus où se trouve la frontière, une sorte de hernie, de saillie, si l’on veut, passage d’un monde à un autre, en dépit de leur étanchéité supposée. Or, les mondes sont multiples et divers puisqu’ils incluent aussi bien le vrai et le faux et parfois le vrai pénètre “par hasard”, par effraction, dans le faux et lui confère un semblant d’existence, introduisant un effet là où il n’y a pas de cause. Il faudrait rapprocher alea de alius (qui a donné l’anglais alien), l’autre. Le hasard d’une rencontre, c’est la mise en contact de deux étrangers l’un à l’autre, chacun contribuant de sa propre logique à être. Jeter les dés, c’est en fait délibérément faire appel à un élément extérieur sur lequel on n’a pas de prise parce qu’il ne dépend pas de nous - c’est une cause indépendante de notre volonté, selon la formule habituelle - mais qui, ponctuellement, sera en interdépendance avec ce qui nous est familier. C’est comme si nous tirions sur une cible et qu’en fait cette cible aurait été atteinte par un autre tireur et que, pour notre part, nous ayons tiré à côté. Le hasard a donc à voir avec l’altérité, c’est admettre que l’autre puisse tout sauver ou tout compromettre de nos projets/plans, c’est en ce sens un Un Deus ex machina.

Jacques Halbronn
Paris, le 25 juin 2003

Notes

1 Cf notre étude sur les prévisions de l’astrologue André Barbault, in “Heurs et malheurs de l’astrologie française“, sur le Site Cura.free.fr. Retour

2 Cf notre essai “Créativité de l’erreur”, in collectif Eloges de la souffrance, de l’erreur et du péché, Paris, Lierre & Coudrier, 1990. Retour

3 Cf. la question Nostradamus, Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr, rubrique Nostradamica, et sur le Site Cura.free.fr. Retour



 

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