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HYPNOLOGICA

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Savoir-prévoir et ethno-prévisibilité

par Jacques Halbronn

    Nous vivons dans un monde où la prévisibilité est une priorité. Nous avons besoin de savoir ce qui va se passer, de pouvoir déterminer les effets de nos actes, de nos paroles. Quand nous n’y parvenons pas, il y a crise et nous tentons d’ y trouver quelque remède sinon quelque expédient, tant un certain instinct entretient en nous ce besoin de pouvoir compter sur notre environnement, faute de quoi celui-ci sera perçu comme hostile, comme inquiétant.

   On dira donc que nous développons tous un certain savoir-prévoir, comme on parle d’un savoir-faire ou d’un savoir-vivre. Comment cela s’articule-t-il sur la notion d’hypno-savoir ? Nous avons défini l’hypno-savoir comme étant largement subconscient, donc a priori sous-tendu par des automatismes et rien n’est plus prévisible que ce qui est automatique.

   En ce sens, les femmes ont des automatismes, c’est-à-dire qu’elles sont supposées se comporter comme prévu, selon un certain programme, et accomplir les tâches qui leur sont imparties. Les hommes n’ont pas ces mêmes automatismes et c’est pourquoi on ne saurait interchanger hommes et femmes, au delà d’un certain seuil d’apparences. C’est le problème du décalage entre signifiant social et signifié social.1

   Autrement ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant ce que les gens prétendent être mais ce qu’ils sont réellement et c’est souvent dans l’échec que l’on peut constater certains subterfuges, les choses ne se passant pas comme prévu, comme on pouvait s’y attendre. Les surprises sont le lot de ces échecs prévisionnels.

   Il serait donc ridicule de ne pas comprendre à quel point la prédiction n’est nullement réservé à une caste d’astrologues ou de voyants mais qu’elle est l’affaire de tous les membres d’une société donnée et en fait de l’Humanité toute entière. La présence de structures, d’infra et de superstructures prédictives est la condition même de toute civilisation et la menace qui pèse sur celle-ci réside donc ipso facto dans la détérioration de son arsenal prédictif, le brouillage de ses clivages diachroniques et synchroniques.

   En ce sens, on ne peut pas vraiment affirmer que le XXIe siècle débute sous de bons auspices, tant on s’est ingénié, au siècle précédent, à saboter un certain nombre des dites structures. Le XXIe devra réparer les dégâts commis dans ce domaine. Il n’est pas indifférent de relever en particulier à quel point nous sommes sortis du XXe siècle complètement démunis au niveau des rapports entre le Ciel et la Cité.2

   Dans beaucoup de cas, ceux qui se présentent comme devant ou pouvant assumer telle tâche en sont parfaitement incapables, à commencer par les astrologues, ceux qui prétendent l’être étant très inférieurs à leur tâche et devant se cantonner à traiter des pathologies prédictives, affectant les éléments les moins performants de notre société en ce domaine, en une sorte d’astro- ou de cosmo-thérapie3 qui n’a rien à voir avec la véritable connaissance des lois de l’Histoire, c’est-à-dire d’un hypno-savoir essentiel, fournissant les clefs du système prédictif dont l’humanité, il y a fort longtemps, s’est dotée et qui, tout en continuant à fonctionner, n’est pas conscientisé par les Sciences de l’Homme - à commencer par la science politique - telles qu’elles se présentent de nos jours.

   Situation étrange où d’un côté on a des astrologues qui se sont égaré dans une activité cosmothérapeutique, qui, aussi utile soit-elle à certaines populations en crise - n’est qu’une voie de garage; et de l’autre des chercheurs en science humaine qui en sont réduits à un certain empirisme du fait d’une sorte de tabou de caste à l’encontre de toute corrélation avec quelques données astronomiques que ce soit.

   On peut raisonnablement supposer que s’il existe d’autres civilisations que la nôtre, dans l’univers - si l’on admet grosso modo une certaine mondialisation sur cette Terre -, il est possible qu’elles soient en meilleure condition dans la connaissance de leurs hypno-savoirs et la pratique des savoir-prévoir. On pourrait d’ailleurs aisément établir des scénarios de science fiction sur de telles rencontres, dans le genre des Lettres Persanes de Montesquieu mais là encore la science-fiction, et notamment celle qui se manifeste au niveau cinématographique, ne joue pas vraiment son rôle de sensibilisation en matière de problématique prévisionnelle, quand bien même aborderait-elle la question du prophétisme.4

   Certes, l’environnement technologique qui est le nôtre assure-t-il une façade prévisionnelle non négligeable, qui relève pleinement d’un processus que nous avons qualifié d’hypnologique mais en même temps, cette technologie nous conduit à une fausse représentation des choses, à savoir qu’elle nous fait sous-estimer l’ancienneté des structures hypnologiques qui ont permis à l’Humanité d’être ce qu’elle est. Le pire est probablement que l’on s’imagine qu’il suffit d’inventer de nouvelles techniques plutôt que de prendre conscience de celles qui existent en nous-mêmes. Ce n’est que la rencontre / synthèse entre les hypno-savoirs antiques et les technologies nouvelles qui permettra à l’Humanité de s’en sortir.

   Ces hypno-savoirs, rappelons-le, ont à voir avec la question de la femme, la question juive, la question de l’astrologie, la question du langage, la question des migrations. Sur ces cinq terrains, c’est le chaos, c’est n’importe quoi. Il est probable que l’on soit tenté de qualifier une telle approche de réactionnaire, de fascisante, de superstitieuse, et relevant vraisemblablement d’une sensibilité d'extrême droite. Mais il faudrait se demander où se situe l’obscurantisme et s’il n’est pas chez ceux qui veulent tout mélanger et qui, ce faisant, introduisent un hiatus entre les hommes et les machines et risquent d’aboutir, comme dans le film Matrix, à ce que les hommes en soient réduits à fournir de l’énergie aux machines.

   Ce n’est qu’en réduisant le hiatus entre hommes et machines que l’Humanité parviendra à maîtriser la situation et non en opposant les uns aux autres, refoulant la conscience de la dimension mécanique qui caractérise, précisément, selon nous, la condition humaine, de tout temps.

   Le savoir-prévoir est un savoir vivre: on doit se comporter conformément avec l’apparence que l’on se donne, agir en accord avec les propos que l’on tient, faute de quoi l’on menace l’ordre social, l’on triche, l’on n’assume / assure pas. Ceux qui se présentent d’emblée comme différents ne posent pas problème puisque l’on sait à quoi s’en tenir avec eux ou plutôt que l’on n’en attend rien de précis.

   Quelqu’un qui ne respecte pas ses engagements, c’est celui qui ne se comporte / conforme pas à ce que l’on attend de lui, qui menace la fluidité prévisionnelle de la société, en générant de l’incertitude : “avec lui, on ne sait jamais”. Le mot engagement signifiait à l’origine donner des gages, mettre en gage: si la chose annoncée ne se produisait pas, on perdait ceux-ci (en anglais, hypothèque se dit mortgage, gage mort, c’est-à-dire indisponible jusqu’à nouvel ordre). S’engager signifiait que l’on avait quelque chose à perdre - ne serait-ce que l’honneur - en cas d’échec, au cas où l’on faillirait à concrétiser ce qui était ainsi annoncé : on ne se dégageait pas si facilement d’une promesse, quand bien même serait-elle tacite, car la prévisibilité ne se situe pas nécessairement dans des propos explicites, elle est très souvent dans le non-dit, dans l’allant de soi. (en allemand selbstverständlich, en anglais without saying, c’est-à-dire sans avoir à le préciser).

   Il suffit que l’on ne sache pas à coup sûr comment l’autre va se conduire pour qu’il y ait problème, puisque l’on ne sait pas ce qui va découler d’une situation donnée. Le préfixe con - dans conduire, comporter, conformer - indique bien cet idée de convergence, de complicité, qui implique que l’on sache qui est qui, et ce qui est susceptible de se passer à la suite de tel ou tel signe / signal. Le “salaud”, c’est celui qui ne respecte pas la règle du jeu, qui surprend par rapport à ce que l’on espérait de lui, ce qu’il était supposé faite à la suite de son attitude.

   Un tel décalage n’est pas forcément le fait de la mauvaise volonté, il tient d’abord à une certaine inconscience à savoir que l’on ne sait pas ce que l’on attend de nous, à quoi l'on s’engage, mais aussi à une certaine présomption à savoir que l’on a sous estimé les difficultés, les obstacles afférentes à la situation dans laquelle on s’est mis et on ne pourra alors que décevoir, que désappointer, on ne sera pas en phase, on compromettra un certain enchaînement des choses, on ne rentrera pas, on reculera devant l’engrenage ainsi déclenché, on fera machine arrière, frustrant l’autre dans ses attentes légitimes, alimentés par une certaine signalisation considérée comme faisant l’objet d’un consensus.

   Il existe une pathologie liée au savoir-prévoir quand on se met en porte à faux par rapport à ce qu’autrui est amené, a priori, à penser de nous, de notre mode de vie, de nos moyens d’existence, de notre intérieur par rapport à notre extérieur. De tels quiproquos expliquent bien des désillusions vis à vis de personnes déclassées, ruinées, moralement ou physiquement, qui n’ont conservé qu’une certaine façade. La maladie, par certains côtés, génère de l’incertitude : la personne malade, sans qu’il n’en paraisse, risque fort de ne pas agir conformément à l’image qu’elle donne d’elle-même. C’est là du mimétisme par défaut: ce n’est pas que la personne n’est pas parvenue à être ce qu’elle voudrait être mais qu’elle ne parvient plus à rester comme elle souhaiterait le rester. Dans les deux cas, on a affaire à un décalage qui insécurise / désécurise notre rapport au futur. On pourrait parler d’un manque de bon sens ou mieux encore de sens commun (en anglais common sense) cette dernière expression signifiant que l’on partage avec d’autres une certaine façon de procéder et donc que l’on est prévisible (en anglais predictable).

   Cela dit, il importe de distinguer le prévisible et le prévu, c’est-à-dire ce qui a été explicitement et non plus tacitement formulé et qui pourrait être en fait le prédit. Prédire concernerait ce qui a été décidé consciemment, délibérément, entre des parties, prévoir ce qui a été programmé de plus ou moins longue date et suit son cours de façon à peu près automatique, sans rapport avec des interlocuteurs spécifiques.

   Mais le savoir-prévoir est aussi fonction d’une certaine connaissance: l’ignorance de certaines règles, de certaines lois, compromet nécessairement ou en tout cas hypothèque sérieusement notre prévisibilité et nous rend d’ailleurs nous-mêmes singulièrement imprévisibles car on entre assez vite dans un cercle vicieux dans la mesure où si nous ne comprenons pas ce qui se passe, nous risquons fort de manifester notre surprise. Celui qui attend quelque chose qui n’est pas supposé se passer n’est pas vraiment en meilleure posture que celui dont on attend quelque chose qui est supposé arriver.

   Rendre notre société plus prévisible nous apparaît donc comme un objectif majeur pour le XXIe siècle, ce qui implique donc de lutter contre les obstacles à la prévisibilité que nous pensons avoir diagnostiqués dans nos travaux : il y a des populations à faible prévisibilité et d’autres à forte prévisibilité; il y a des populations dont il importe de repenser la prévisibilité, ce qui conduit à une ethno-prévisibilité, ce sont celles qui sont rongées par le mimétisme, un syndrome que l’on pourrait qualifier de petit-bourgeois et on peut se demander si le nombre de petit bourgeois n’a pas décuplé tout au long du XXe siècle, le petit bourgeois étant celui qui veut se faire passer pour ce qu’il n’est pas ou pas encore. Paradoxe, donc, de cette non prévisibilité liée à une anticipation, dans la mesure où tout mimétisme est prévisionnel. Je m’attends à devenir ceci ou cela mais en même temps je ne le suis pas encore si tant est que je ne le serai jamais. La non prévisibilité serait donc liée, par une certaine ironie du sort, à une pseudo-prévisibilité ou une prévisibilité précoce / prématurée, de la part de celui qui n’en est pas encore arrivé là où il ambitionne de se trouver et qui vend la peau de l’ours avant de l’avoir tué. C’est dire que l’homme n’échappe ni à ce qu’il prévoit ni à ce qui est prévu à son sujet et ce tant de la part d’autrui que dans sa propre réflexivité. Généralement, celui qui est imprévisible, dont le comportement déconcerte, est aussi celui qui prévoit mal et qui sera donc, lui aussi, déconcerté : les deux problèmes sont intimement liés.

   De telles observations n’impliquent pas pour autant, on s’en doute, l’absence de toute innovation ou création. Une caméra peut filmer des scènes tout à fait inédites mais elle n’en fonctionnera pas moins comme une caméra ; ce qui serait grave serait que l’opérateur ne sachât point actionner la caméra tout en prétendant ou en laissant croire qu’il en est capable. Un clown, dans un cirque, par exemple, est censé faire des choses étranges, inattendues, qui déclencheront le rire, sinon il décevra; le problème, c’est quand on se comporte comme un clown, sans que le contexte s’y prête. L’imprévisible relève aussi du prévisible : si on nous annonce un livre nouveau, on n’appréciera pas qu’il reprenne un ouvrage déjà connu et d’aucuns croient innover alors qu’ils ne font que (se) répéter.

   Autrement dit, nous vivons une crise du signe et cela tient à ce qu’il est extrêmement facile de s’approprier un signifiant, puisque nous sommes à la fois émetteurs et récepteurs, ce qui nous amène à partager avec autrui son propre langage. Il y a tentation / tentative pour un récepteur à se présenter comme un émetteur et à s’y substituer mais cela se fait au risque d’une certaine confusion dans les rapports sociaux et notamment de la difficulté qui en découle à séparer le bon grain de l’ivraie et de la perte de temps et d’énergie que cela implique pour déceler l’imposture. Il y a d’ailleurs des sociétés qui ne fonctionnent finalement que sur le simulacre et l’illusion sans se présenter comme telles - comme ce serait le cas s’il s’agissait d’un spectacle - ce qui dénote une certaine perversion. Société en trompe l’oeil que la nôtre, où nombreux sont ceux et celles qui cherchent, alors qu’ils ont une carence du point de vue des hypno-savoirs, des automatismes nécessaires à leurs prétentions, à se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas, quitte à ce que la prévisibilité d’ensemble en soit gravement affectée, ce qui va grossir d’autant la clientèle des voyants.

   Rappelons, enfin, que la dimension hypnologique implique de se décharger sur des niveaux de conscience et de vigilance assurés par d’autres que nous, ce qui implique que s’ils font les choses à notre place, il est bon qu’ils s’acquittent de cette tâche sans surprise. Notre rapport à notre prochain est fondé plus sur la confiance - se (con)fier à l’autre - que sur l’amour. En hébreu, croire et faire confiance sont un seul et même mot qui a donné amen.

Jacques Halbronn
Paris, le 28 juin 2003

Notes

1 Cf. nos travaux sur ce sujet, dans l’Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr, rubrique Hypnologica. Retour

2 Cf. nos études dans l’EH, à la rubrique Astrologica. Retour

3 Cf. notre ouvrage, Clefs pour l’astrologie, Paris, Seghers, 1993. Retour

4 Cf. notre étude du film Matrix, Hommes & Faits, Site Faculte-anthropologie.fr. Retour



 

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