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HYPNOLOGICA

41

Peut-on faire l’impasse
sur le différentiel / différentialisme H. F. ?

Lettre à Alain R.

par Jacques Halbronn

    Cher monsieur

   Vous êtes responsable de forums de transformation personnelle, j’ai assisté à plusieurs de vos prestations, voilà ce que j’en pense.

   Je vous ai dit que vous faisiez l’impasse sur le différentiel Homme / Femme. Vous m’avez répondu que c’était une affaire individuel et que votre méthode en quelque sorte transcendait un tel clivage. Vous ne m’avez pas dit ni demandé ce qu’il fallait entendre par ce différentiel comme si cela allait de soi. Vous nous dites qu’il faut savoir ce que l’on ne sait pas que l’on ne sait pas, mais précisément, il me semble bien que la question H. F. est votre point aveugle. Et puis, ce qui est étonnant avec vous, c’est que vous pensez que tout le monde peut profiter de votre méthode, ce qui en fait une sorte de modèle universel, autrement dit un excellent filon. J’aurais pu vous répondre que moi aussi j’avais un truc à vous proposer et demander pourquoi vous n’essaieriez pas, après tout... Pour quelques centaines d’euros.

   Et puis donc, je vous ai écouté / regardé, une fois de plus, faire votre numéro, pendant trois heures, devant une salle où hommes et femmes - une petite centaine - se répartissaient assez également. Et donc à aucun moment, on n’a pas parlé des hommes et des femmes même s’il y avait de fait des hommes et des femmes qui parfois s’exprimaient, témoignaient. Et qui, bien entendu, le faisaient en homme et en femmes mais cela n’était pas dit et si cela allait de soi, qu’était-ce à dire ?

   Et vous quand vous parliez, le faisiez-vous en tant qu’homme ou en tant que personne, en tant qu’individu, dégager d’une telle appartenance, aussi limitative ? Je pourrais évidemment ajouter : encore eut-il fallu savoir ce qu’une telle différence signifiait pour votre propos car ce qui est remarquable dans ce domaine, c’est qu’au niveau du signifiant, tout le monde sait reconnaître un homme d’une femme mais qu’au niveau du signifié, à part la fonction de porter l’enfant et à part une histoire socioculturelle différente, sait-on vraiment de quoi on parle ? D’où ces étranges conversations où l’on parle de quelque chose que l’on connaît sans le connaître, comme si on commençait à discuter de Dieu.

   Vous avez, apparemment, une formation plus philosophique que psychologique et il est vrai que la question du masculin et du féminin ne rentre pas forcément dans le cadre de la philosophie allemande contemporaine. Mais le problème, c’est que tout philosophe que vous soyez, vous ne vous en situe pas moins sur le créneau psychologique ou psychosociologique. C’est là que le bât blesse.

   Cela dit, je trouve une certaine logique dans votre présentation des choses car pour vous il faut devenir un être libre, qui ne s’embarrasse pas de son passé et comme être homme ou femme, c’est quelque chose que nous a mis dans la tête, n’est-ce pas, eh bien cela doit passer par profits et pertes. On est en plein existentialisme appliqué. Il faut faire ce que l’on veut de sa vie, dites-vous. Approche que l’on peut qualifier d’inductive : on fait table rase à moins que demain l’on ne rase gratis.

   Je pense que vous n’avez pas vraiment intégré ce que j’appelle le facteur hypno.1 C’est à dire les choses que nous devons assumer, qui relèvent de notre hypno-savoir, c’est à dire des choses que nous faisons et que nous savons sans en être conscients et qui limitent sensiblement notre liberté. C’est vrai que pour Sartre et sa compagne Simone de Beauvoir, auteur du Deuxième sexe, on n’est pas femme, on le devient tout comme on n’est juif que par le regard d’autrui.

   Le problème, c’est que cette philosophie existentialiste est terriblement masculine et d’ailleurs, en principe, en tant qu’homme, elle me conviendrait assez bien. Mais il y a les femmes et surtout celles qui vous écoutent, qui vous suivent ou plutôt qui essaient de vous suivre puisqu’il se trouve que j’en connais certaines. Cela me fait penser à un père qui ne voudrait voir et qui ne ferait aucune différence entre son fils et sa fille, voulant les traiter comme des êtres humains, ni plus ni moins, sans le moindre a priori différentiel.

   Donc, quand vous parlez, je comprends ce que vous dites et en même temps je me dis que votre masculinité s’exprime en filigrane, sans qu’apparemment vous vous en rendiez compte. En fait, quelque part, vous cachez votre jeu, ce qui parfois obscurcit votre discours; au vrai, vous êtes persuadé que chacun comprend de ce que vous dites ce qu’il veut. Vous êtes complètement dans le signifiant et que chacun se débrouille avec ce qu’il entend. L’important étant qu’il se croit concerné par ce que vous lui dites et que chacune des personnes de votre auditoire partage ce sentiment, quelles que puissent en être les raisons. Mais quelque part, vous n’allez pas au bout de votre pensée pour précisément éviter que l’on vous renvoie à vous-même, vous souhaitez rester dans l’intersubjectivité, c’est à dire dans un certain flou artistique mais en y mettant, tout de même, un peu de vous, ce qui implique certaines acrobaties.

   Alors, vous nous parlez à un moment de la rencontre avec l’autre et mettez en garde contre le fait de croire que les choses s’imposent à nous par leur vérité aveuglante. Et vous avez raison, du moins du point de vue des hommes et aussi comme un homme qui parle à des femmes. Le problème, c’est que ce n’est pas ainsi que vous présentez les choses, ce qui est quand même fâcheux; Parce qu’au lieu de dire les choses clairement, vous les dites de telle façon que chacun croit comprendre ce que vous dites et que ce n’est pas vraiment le cas.

   Prenons donc une femme qui vous écoute et qui vous entend parler de cette liberté, de ce futur dont vous déblayez la voie pour n’en plus faire que ce que chacun décide de vouloir. C’est magique. Vous lui dites à cette femme qu’elle ne se fie pas à son ressenti, qu’elle n’attende pas on ne sait quel signal dans sa tête, qu’elle se contente de regarder les choses comme elle le veut, puisque vous n’arrêtez pas de dire que tout est affaire d’interprétation. Or, il me semble que ce faisant vous privez la femme de ses repères, aussi discutables soient-ils. Et ce faisant, d’ailleurs, vous lui parlez comme un père doit parler à sa fille mais avouez que lorsque vous parlez à des hommes, il y a problème parce que la situation n’est plus la même : eux, au contraire, ont peut -être besoin de se recentrer sur ce ressenti qui n’est pas tout à fait ce que vous appelez se recentrer sur soi-même, au sens philosophique du terme, sur le cogito cartésien. Encore qu’il y ait des hommes qui auraient bien besoin de dépasser une certaine féminité. Tout est affaire de dosage.

   D’ailleurs, quand vous demandez à des personnes de la salle de parler de leurs problèmes, vous les renvoyez à ce côté féminin, vous les amenez à déballer ce qu’ils ont sur le coeur, leurs manques, à formuler leurs “plaintes”, selon votre expression. Attitudes bien féminines. Comme s’il fallait ainsi partir du féminin pour aller vers le masculin, apprendre à penser en homme, bref agir au lieu de se lamenter sur ses petits problèmes, ses petites souffrances, ses frustrations. Mais quel contraste étonnant entre ces deux modes d’expression, quel hiatus même entre le discours existentialiste où l’on se fixe sur son objectif et où l’on fait que les choses soient et l’expression de cette douleur à vivre, de ces obsessions dont on ne parvient pas à se débarrasser ! Chassez le naturel féminin, il revient au galop !

   Non pas que votre démarche ne me soit pas sympathique car nous vivons trop dans un monde féminisé, au sens du moins où je l’entends. Mais de là à basculer dans un volontarisme qui, au fond, fait fi de notre ressenti et qui se soumet à notre ambition, il y a plus qu’un pas. J’ai employé à dessein un mot qui peut surprendre : ambition.

   Car, quand on décortique votre propos : que veut-on ? On veut quelque chose qui soit valorisant et qui le soit aux yeux de la société à laquelle on appartient ou à laquelle on souhaite appartenir. Que veulent les gens ? Plus de beauté, plus de succès, plus de confort etc. Tout cela fait l’objet d’un large consensus social. On veut au fond avoir ce que les autres ont de mieux. Ce qui nous semble très masculin mais toute médaille a son revers : on fait primer les valeurs sociales sur les valeurs personnelles et qui, elles, vous l’avez dit, nous freinent dans nos ambitions, qui constituent tout un bric à brac intérieur, si féminin, selon nous, qu’il va falloir nettoyer. On est quand même ici dans une sorte de manichéisme.

   Car il ne s’agit pas pour vous d’équilibre l’animus et l’anima mais de faire triompher l’animus sur l’anima. C’est bel et bien la revanche / vengeance de l’animus ! Quelque part, vous avez des comptes à régler avec le féminin mais vous ne l’avez pas identifié comme tel, autour d’un signifiant précis, autour d’une fonction spécifique et nécessaire, dans la synchronie mais plutôt, dans la diachronie comme un stade à dépasser une fois pour toutes. Bonjour le couple !

   En tout cas, me voilà rassuré : l’humanité ne se laisse pas entraîner par les sirènes du féminin. On veut nous construire un avenir où nous obtenions ce que nous voulons mais est-ce vraiment ce que nous voulons, là est tout le problème. Il y a plusieurs “je”, on l’a déjà dit et ils se font quelque part la guerre : on pourrait parler d’un “je” masculin et d’un “je” féminin, mais en chacun de nous, comme dirait Jung. Avec vous le “je” féminin est bel et bien repoussé, refoulé dans le passé alors que le “je” masculin incarne l’avenir. Le “je” féminin est dans le déductif, il part de choses qu’il croit instaurées sans que l’on sache très bien comment alors que le “je” masculin est dans l’inductif, il maîtrise chaque étape de son processus, il est dans l’hyperconscience. La question est de savoir combien de temps on peut fonctionner sur un mode inductif, où tout dépend, est fonction de nous, sans s’épuiser.

   Ceux qui vous écoutent ont bien compris qu’il fallait faire des sacrifices pour avoir ce que l’on voulait, pour réaliser ce qu’il faut bien appeler quelque part nos fantasmes. Certaines personnes sont particulièrement vulnérables à un tel message, à cette “bonne nouvelle” que vous dispensez. Ce sont des personnes qui sont entre plusieurs cultures, qui ont déjà fait le pari de devenir l’autre, au prix d’un certain mimétisme. Ces personnes ne respectent pas les pesanteurs hypnologiques. Une femme ne devient pas un homme, on ne change pas de culture comme de chemise car derrière les apparences, il y a des contraintes, des coûts, que l’on n’a pas toujours su apprécier.

   Voilà donc des femmes qui vont se comporter en hommes, qui refoulent leur ressenti au profit de leurs ambitions, mais en ont-elles vraiment la capacité ? Ont-elles les mêmes repères, le même hypno-savoir, que les hommes ? C’est vrai, ces femmes ne s’écoutent plus, ont refusé une certaine pression mentale pour assumer une certaine pression sociale. Ont-elles gagné au change ?

   Certes, au sein du couple, la femme doit-elle apprendre à cultiver son côté masculin ou plutôt à le respecter chez son partenaire mais elle n’a pas à devenir celui-ci. Et là encore, il me semble, cher monsieur, que le couple est aussi, dans votre discours, un point aveugle. Vous vous adressez à des individus, vous ne posez pas le couple comme un tremplin nécessaire à notre équilibre. Aucun travail de développement personnel ne devrait ignorer la constitution et la vie du couple.

   Quant aux hommes qui vous écoutent, vous les encouragez au fond à se radicaliser, à fuir leur féminité qui les entrave dans leur ascension sociale puisque de cela il s’agit. C’est probablement une conception des choses à l’américaine, c’est l’idée du self made man, littéralement de celui qui s’est fait / fabriqué lui-même. Vous ne les préparez guère, en tout cas, à apprécier les qualités féminines, aussi rétrogrades soient-elles ? Il est certes des moments, dans la vie, où l’on peut s’amuser à passer les frontières, à oublier d’où l’on vient mais ce faisant on ne fait que s’aliéner par rapport aux valeurs d’une certaine culture dominante. Et puis il y a le choc en retour car on s’aperçoit tôt ou tard que l’on a triché, que l’on nous a appris à tricher, que le monde n’est pas né d’hier et qu’il faut de tout pour faire un monde, ceux qui savent faire plier leur monde intérieur aux exigences sociales et celles qui savent assumer ce qu’elles sont sans tomber dans la frustration de ce qu’elles n’ont ou ne sont pas et qui surtout sont des femmes sans hommes.

   En fait, cher monsieur, vous désapprenez aux femmes à être des femmes en leur proposant un modèle foncièrement masculin. Mais les femmes sont constamment amenées à singer les hommes, il est peut être temps à ce qu’elles apprennent à être femmes. Encore faudrait-il savoir de quoi il s’agit.

   Nous proposerons, ici, le schéma suivant, celui de l’étoile et de la planète. La femme est l’étoile (fixe), c’est à dire l’élément fixe, l’homme est la planète, soit l’élément mobile.

   La femme-étoile doit être capable de se faire accepter comme elle est, elle n’est pas censée se confondre avec les autres, il faut au contraire l’encourager à cultiver sa différence. Ce sont les hommes qui tournent autour d’elle, à l’instar d’une planète qui, du moins en apparence, se conjoint périodiquement à elle, puis s’en sépare pour à nouveau la retrouver. Ce n’est pas à la femme de tourner autour de l’homme. En fait, la femme doit servir de repère plutôt qu’elle n’a à se repérer. Les hommes se distinguent entre eux par leurs femmes, elles constituent ainsi un facteur de différenciation qui permet aux hommes, par ailleurs, d’assumer leurs engagements sociaux souvent cause de nivellement.

   Un homme qui aime une femme, cela signifie qu’il est comme aimanté par rapport à elle, qu’il veut qu’elle soit sienne coûte que coûte et quoi qu’elle fasse. Même s’il s’en éloigne, il reviendra vers elle comme la planète par rapport à l’étoile.2 On parle d’ailleurs en astronomie d’un couple formé entre deux corps célestes et notamment entre une étoile et la ou les étoiles qui gravitent autour d’elle.

   On ne demande donc pas à une femme de rentrer dans la norme, aussi brillante soit-elle, mais d’en sortir, ce qui exige précisément une certaine indifférence au qu’en dira-t-on. A chaque femme de savoir garder son homme ou de savoir, en tout cas, le récupérer. C’est un havre, un ancrage : le repos du guerrier qui vient la rejoindre tout comme dans le rapport sexuel, il s’approche et s’éloigne de l’intérieur de son corps.

   La femme est lourde de tout ce qu’elle est, de sa mémoire, de son corps souvent occupé, mobilisé. On ne lui demande pas d’être légère comme à l’homme qui doit participer à quelque chose qui le dépasse et qui doit en effet s’émanciper de son passé pour toujours aller de l’avant. Mais justement, la femme est le lest - la matière / mater - qui permet à l’homme de ne pas s’envoler vers l'infiniment grand, elle serait plutôt la manifestation de l'infiniment petit. C’est la main qui tient le cerf-volant.

   Alors, cher monsieur, qu’avez-vous à apprendre à votre public féminin ? Certes, vous pourriez les aider à mieux comprendre les hommes mais ce n’est pas ce que vous leur proposez, vous les conduisez à se comprendre elles-mêmes, de moins en moins, voire à culpabiliser en ridiculisant leurs travers. Car cette humanité dont vous nous faites rire, c’est avant tout une humanité féminine, prisonnière de son passé, enfermée dans son comportement, dans ses états d’âme et que vous considérez comme caduque. Vous nous offrez le surhomme, Superman, celui que rien ni personne n’arrêtent et qui n’a aucune attache. Car si tout le monde faisait comme vous l’envisagez, nous n’aurions plus de point fixe.3

Jacques Halbronn
Paris, le 25 juillet 2003

Notes

1 Voir la rubrique Hypnologica, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour

2 Cf. à ce sujet nos travaux en astrologie (axiale) sur cette dialectique étoile / planète, sur E. H., rubrique Astrologica, notamment. Retour

3 Cf. “le triptyque hommes, femmes, machines”, sur E. H. Retour



 

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