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Incarnation et Tradition |
Qu’est-ce que l’incarnation sinon un certain changement d’état, ce qui pourrait se raccorder à ce que nous entendons par processus hypnologique ? Quand on connaît l’importance de cette idée pour le christianisme, un tel rapprochement est susceptible d’ouvrir des perspectives.
On peut en effet se demander si l’idée d’incarnation n’est pas au coeur de ce qui oppose christianisme et judaïsme, ce qui est une toute autre idée que celle de réincarnation.
Pour le christianisme, Jésus s’est fait chair, puisque le mot incarnation implique ce mouvement de l’esprit vers la chair, du virtuel vers le réel etc. On est en tout cas fort près de l’idée d’hypno qui désigne une transformation, une métamorphose, le passage d’une dimension vers une autre.
Le théologien J. Schoneveld traduit “Le Verbe qui s’est fait chair” par “La Torah s’est incarnée”.1 Si l’on applique une grille hypno à une telle formulation, il nous semble que l’on comprend mieux les enjeux du discours chrétien et ses origines.
Dire que la Torah s’est incarnée, qu’est ce que cela signifie ? Que le temps n’est plus à la culture livresque, n’est plus à la transmission orale mais que tout se passe désormais à un autre niveau, qui est de l’ordre du subconscient. Car pour nous parler de chair, c’est en réalité évoquer / convoquer le corps et sa mémoire, ses automatismes qui prennent, à un certain moment, le relais de la connaissance consciente.
Le message de Jésus par rapport au monde juif auquel il appartenait semble avoir été celui d’une remise en question de la Torah, non point pour la rejeter mais pour affirmer qu’elle était déjà depuis longtemps “incarnée” chez les Juifs, à un niveau qui n’exigeait plus le même rapport à la Loi “extérieure” ; il fallait désormais rechercher cette même Loi, en nous-mêmes ou plutôt elle était déjà installée à demeure et ne pouvait donc que se manifester comme une seconde nature.
En fait, Jésus exprimait là une vérité certainement beaucoup plus ancienne car, selon nous, cette intériorisation de la Loi ne date pas de son temps mais le précède considérablement.
Au fond, le message véhiculé par Jésus était le suivant : on ne peut plus échapper à la Loi car elle s’est profondément ancrée en nous, à notre insu. A quoi bon donc continuer à faire comme si un tel phénomène ne s’était pas produit et continuer comme si de rien n’était ? Non pas que la Loi était devenue caduque mais elle se manifestait sous une forme obsolète. La vraie tradition passait par la chair et non plus par le verbe et de la sorte l’esprit pouvait se libérer de son carcan, au niveau de la conscience, puisque la Loi avait basculée du côté du subconscient.
Prenons le cas du respect du Shabbat, quelque part, à force de pratiquer ce commandement, pendant des siècles, par mimétisme, sous l’influence du milieu et de l’enseignement, est-ce que cette Loi n’avait pas fini par s’incarner, c’est-à-dire qu’il y avait eu basculement, passage de relais ? Autrement dit, est-ce que certains rythmes de vie, dictés par la Loi, n’avaient pas été intégrés au point que tout retour au niveau conscient eut été redondants ?
Le débat est toujours d’actualité entre juifs laïques et juifs “religieux”. Gilles Bernheim, rabbin, continue à se faire l’avocat d’une pratique “consciente”, c’est-à-dire non incarnée.2 Selon Bernheim, c’est l’observance des pratiques, “selon le livre”, qui aura permis aux juifs de maintenir leur spécificité. Bernheim, concerné par le dialogue judéo-chrétien, demande à ce que les Chrétiens comprennent le “non” des Juifs au message de Jésus.
La vraie question qui reste posée est la suivante : est-ce que, pour autant, cette revendication d’incarnation du verbe - qui est passé à un niveau subalterne - qui est un verbe intégré / incarné - condamne les Juifs à se mêler aux nations, du fait de ce nouvel état de choses ? Est-ce que cela n’a plus d’importance qu’il y ait des gens qui se référent à une Loi qui désormais leur échappe, paradoxalement, du fait même qu’elle est inscrite en eux de façon indélébile ?
Est-ce que dès lors que le signifié social est bien en place, il n’importe plus de repérer le signifiant social correspondant ? Ce serait comme de dire : à quoi bon distinguer hommes et femmes, dans la mesure où le corps a pris le relais et comporte ses propres déterminismes ? Est-il encore besoin, alors, d’une culture du masculin puisque le masculin est incarné et idem par rapport au féminin ?
Or, il nous semble que le débat est du même ordre entre juifs et non juifs qu’entre hommes et femmes. On serait arrivé à la fin des temps, au sens où le verbe a laissé la place à la chair, selon un processus hypno, ce qui est libérateur et permet au verbe de basculer dans l’universel, enfin débarrassé des taches subalternes qui lui incombaient, enfin relayées par le corps, la chair.
Au fond, tout se passe comme si le verbe ne devait plus s’abaisser à des propos particularistes, fonctionnalistes, ayant achevé sa mission et qu’un nouvel horizon s’ouvrait devant lui, plus vaste. Certes.
De là à affirmer que le verbe de par son pouvoir créateur, du fait même de cette incarnation réussie, était capable de se renouveler et d’inventer autre chose, il n’y avait qu’un pas. Lisons, à titre d’illustration, la quatrième de couverture de l’ouvrage d’Elisabeth Badinter :
“Aujourd’hui, l’égalité réelle entre Hommes et Femmes met un terme au modèle millénaire de la complémentarité. Un nouveau modèle s’élabore sous nos yeux : la ressemblance des sexes.”3
On saisit le parallèle, celui d’une ère de l’après, du post-culturel. On nous demande de tourner la page, de passer à autre chose de moins étriqué, de moins sectaire, de renoncer à la dualité, à la complémentarité, bref d’accéder à la ressemblance.
Certes, nous dit-on, la femme est femme, en son corps, cette féminité là est incarnée, elle est ce qu’elle est, mais désormais le verbe n’a plus à se charger de l’affirmer. Les choses sont incarnées, inutile d’y revenir.
Il y a là une logique que nous espérons avoir préciser et qui n’est pas toujours formulée aussi nettement mais précisément, il n’y a pas de débat tant que le propos de l’autre n’a pas été conduit à son terme. Le verbe incarné - tel est le propos - ce n’est pas un verbe emprisonné mais un verbe libéré. On serait passé dans le temps du non-dit, un état quelque peu schizophrénique, avouons-le.
Quand on nous dit cependant que tel modèle est révolu, ce n’est pas exact, il continue à exister mais il ne dépend plus du verbe, il peut même fonctionner en dehors de la conscience, à notre insu.
Au fond, ne vaudrait-il pas mieux que les juifs se fondent dans le paysage puisque de toute façon ils sont porteurs de ce dont ils sont porteurs, que cela soit dit ou su ? Est-ce que cela n’aurait pas évité la Shoah que de renoncer à une telle visibilité, maintenant que le verbe juif est incarné en une certaine population ? On peut en effet se demander ce qui est le plus dangereux : l’assimilation d’un verbe incarné ou l’extermination d’un verbe qui continue à se proclamer dans une différence qui désormais est de toute façon acquise ?
Mais dans ce cas, l’exigence de parité serait un contresens puisqu’elle serait une régression, risquant d’empêcher le verbe incarné d’accomplir sa fonction, empêchant ainsi le verbe non incarné de rester au niveau de l’universel. Une telle philosophie implique de laisser les choses suivre naturellement leur cours puisque le verbe incarné est passé du côté de la Nature, si l’on précise que le verbe incarné n’est plus le Verbe, mais seulement son hypostase.
Renoncer au signifiant social, en laissant le signifié social agir de façon souterraine - car l’incarnation est de cet ordre là - c’est s’abandonner à une certaine providence, qui est le contraire de la prévisibilité.
Il faudrait aussi renoncer, par la même occasion, à l’astrologie en tant que savoir, puisque celle-ci fonctionnerait en tant qu’hypno-savoir. On peut brûler les livres puisque les livres sont en nous ! On comprendrait alors cette hostilité à l’égard d’une astrologie qui condamne le verbe à traiter de ce qui ne le concerne plus. Allez voir ailleurs !
En fait, c’est aboutir au clivage entre philosophie et science. La philosophie relèverait de ce temps qui fait suite à l’iPcarnation du verbe, sorti de sa caverne alors que la science, elle, aurait pour tâche d’étudier les manifestations objectives de ce verbe incarné.
Autrement dit, l’ère de la science serait celle du verbe incarné. Mais cette science devrait laisser le champ libre à la philosophie, qui est Verbe.
Dès lors, la création de l’Etat d’Israël n’apparaît-elle pas, sous cet angle, comme le refus de reconnaître que nous sommes passés dans l’ère du Verbe incarné, c’est-à-dire d’un Verbe qui ne se veut plus esclave, qui a passé le relais à la chair, à la mémoire génétique, à un statu quo des profondeurs ?
Cette libération du Verbe, du fait de cette hypostase incarnée, qui se sacrifie pour que le Verbe s’émancipe, nous fait songer à la fin de l’androgynat, lorsque là déjà, selon nous, il était question de libération, selon une logique hypnologique.
Nous ne contesterons pas, en effet, qu’il y a quelque chose de vain à contraindre le Verbe à ressasser ce qu’il peut sous-traiter en s’adressant à des instances inférieures. Il reste, comme nous le disions, qu’il faut bien que d’aucuns aient connaissance de cet univers subconscient pour que les autres puissent philosopher à leur guise. En réalité, nous pensons qu’il y a un temps pour philosopher et évoluer dans l’universel, et un temps pour réinvestir certains clivages incarnés et parce que tels, objets de science. Il y a un temps pour advenir et un temps pour se souvenir. Il y a un temps pour l’avènement, pour assumer le futur, et un temps pour l’événement, pour gérer le passé.
On ne saurait donc oublier que ce qui sous-tend cette liberté du Verbe ainsi promise, c’est l’existence en nous-mêmes d’une part d’automatismes et de déterminismes. Notre liberté de penser, là où le Verbe est déchaîné / désenchaîné n’est possible que parce que notre corps, notre chair, lieu de l’incarnation, est esclave, lourde d’un savoir qui a changé de nature, qu’il est ce Verbe incarné. On comprend mieux l’idée de sacrifice dans l’Evangile : il faut que le Verbe s’incarne et donc se perde, s’enfouisse, pour que le Verbe se libère : toute liberté a un coût.
Ajoutons que le drame de ceux qui prétendent nous dire ce qu’est le judaïsme ou ce qu’est l’astrologie, à partir de traditions, ne sont le plus souvent porteurs que de bribes de connaissance. Quand le Verbe s’incarne, il ne reste bientôt plus, en surface, qu’une écorce vide, qu’un savoir en déliquescence qui ne relève ni de la philosophie ni de la Science. Il nous semble bien, en effet, que la Tradition est condamnée par l’idée du Verbe incarné, tout en se présentant comme un moyen terme, elle est en effet à mi chemin, synchroniquement et diachroniquement, entre la philosophie et la science. Cette Tradition / transmission est une Philosophie qui se métamorphose en Science, en passant par une forme de cristallisation; elle est une sorte de chrysalide, de cocon, c’est un état intermédiaire, une scorie de l’Histoire qu’il ne faut pas laisser s’interposer.
On peut se demander si le débat entre ceux qui refusent qu’il y ait eu incarnation et ceux qui proclament que les temps de l’incarnation sont advenus, notamment chez Saint Paul, ne se retrouve pas dans l’affrontement entre le juif Sigmund Freud et le Protestant Carl Jung. On sait que Freud refusait l’idée d’Inconscient Collectif cher à son disciple. Mais, ce faisant, il privilégiait l’expérience individuelle sur l’expérience collective, l’acquisition consciente d’un savoir sur l’existence d’un savoir subconscient et se transmettant par d’autres voies que par le livre. Il semblerait qu’il y ait là un blocage de la pensée juive à appréhender le concept hypno, ce qui conduit, notamment, à ne pas pouvoir cerner l’origine et le maintien à travers les siècles des Hébreux / Juifs, en ne voulant l’expliquer par la permanence d’une certaine tradition. Pour en revenir à Freud, il est quand même étonnant qu’il affirme le complexe d’Oedipe comme un phénomène récurrent et remontant à la nuit des Temps sans pour autant admettre que, de ce fait même, il aurait eu le temps de basculer dans l’Inconscient Collectif, ce qui signifierait que si nous sommes agis par le dit complexe, ce n’est pas tant du fait de ce que nous percevons autour de nous que par ce que nous sommes conditionnés à percevoir par notre appartenance à l'espèce humaine. Il y a chez Freud un existentialisme juif qui évacue tout poids du passé, au delà de l’individu. Certes, on n’a pas besoin de l’hypothèse de l’hyno-savoir pour montrer que l’enfant s’intéresse à son entourage familial lequel s’impose à lui, à la différence de ce qui se passe, par exemple, pour le rapport aux astres. Toutefois, nous pensons que le décryptage des liens parentaux ne s’effectuerait pas comme il le fait, sans un hypno-savoir qui nous enseigne à décrypter le noeud familial. Rappelons que pour nous l’hypno-savoir, c’est le fait de ne pas savoir que l’on a accès à un savoir, il y a souvent dénégation de l’hypno-savoir. C’est quelque chose que l’on ne sait pas que l’on sait.
St Paul (alias Saul de Tarse) écrit dans l’Epître aux Romains (VII, 6) : “Mais maintenant , nous avons été dégagés de la loi, étant morts à cette loi sous laquelle nous étions retenus de sorte que nous servons dans un esprit nouveau et non selon la lettre qui a vieilli.” St Paul dénonce cette Loi qui en nous interdisant le péché nous l’enseigne. Il parle de la circoncision des coeurs pour indiquer que le temps est venu où la Loi est gravée en nous, qu’elle n’a plus besoin d’être dite.
Il nous semble que les juifs laïcs s’inscrivent de facto dans une perspective paulinienne, sans le savoir ; ils ne pratiquement pas la Loi, mais ils continuent à se dire juifs, par une sorte de nécessité intérieure qui pourrait s’appeler Foi. Là où ne suivons pas le juif Paul-Saul, c’est qu’au lieu de percevoir le clivage au sein du monde juif, il le situe entre Juifs et non Juifs. Or, si l’on comprend comment la Loi pratiquée de longue date par les Juifs a pu s’incarner et ne plus avoir besoin de la Lettre pour exister, on voit mal comment ceux qui ne sont pas Juifs en ce qu’ils ne sont pas les descendants de ceux qui ont pratiqué cette Loi pourraient l’avoir intériorisée.
Jacques Halbronn
Paris, le 30 juillet 2003
Notes
1 Cité par G. Bernheim, Un rabbin dans la Cité, Paris, Calman-Lévy, 1997, p. 119. Retour
2 Cf. Réponses juives aux défis d’aujourd’hui, Paris, Ed. Textuel, 2003. Retour
3 Cf. L’un est l’autre. Des relations entre hommes et femmes, Paris, O. Jacob, 1986. Retour
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