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HYPNOLOGICA

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Etudes hypnologiques :
pour une nouvelle lecture de l’individu

par Jacques Halbronn

 

Sommaire :

1 - Laïcisation et Individuation
2 - Instrumentalisation et Socialisation
3 - Qu’est ce qui est à lire ?


I

Laïcisation et Individuation

    Le débat actuel sur la laïcité trahit une certaine carence des modèles et un oubli des véritables enjeux. Que penserait Saint Paul de la situation présente à la lumière de ses déclarations ? Nous voudrions montrer, ici, ce que de paulinien peut avoir l’idéologie laïcisante.

   Que nous dit le discours laïque, en effet ? Qu’il faut que l’espace public soit libéré du religieux, lequel ne serait plus qu’une affaire personnelle. Est-ce à dire que le religieux ne fait plus sens et qu’il peut et doit être purement et simplement évacué au point de ne plus jouer de rôle social ?

   Si nous reprenons et appliquons certaines de nos analyses1, nous dirons que l’espérance principale des hommes est d’hypnologiser ses activités conscientes, c’est-à-dire, en quelque sorte, de les envoyer, de les transférer dans une autre dimension, en un autre espace.

   On conçoit donc qu’une telle attente puisse alimenter certaines “folies millénaristes” selon la formule de Gérard Haddad2, puisse conduire, périodiquement, à l’annonce d’une révolution de et dans la Conscience., à savoir l’affirmation que ce qui était nécessaire hier ne le sera plus demain, que le monde continuera, désormais, à fonctionner selon un autre processus.

   Or, si l’on peut contester l’opportunité d’un tel effet d’annonce, on ne saurait pour autant minimiser la signification et la portée de telles espérances au regard de l’aventure et de la condition humaines ou ignorer l’existence de certains boucs émissaires à sacrifier.

   Il n’y a, selon nous, rien d’aberrant, contrairement à ce qu’exprime G. Haddad, à ce que des temps nouveaux passent par une forme d’anéantissement de certaines idoles, que sont la Loi et le Livre. Abraham n’a-t-il pas brisé les statues de ses aïeux ? Il peut certes sembler monstrueux de s’en prendre à des livres, à des bibliothèques - ce que Haddad appelle le biblioclasme - mais il ne faut pas en faire une question de principe, au nom d’une prétendue évidence, d’une sacralité de l’écrit., comme une fin en soi.

   Le livre fait, en effet, partie de tout un arsenal et il conviendrait de le désenclaver plutôt que d’en faire un cas unique. La fonction du livre est de libérer les hommes du poids de la mémoire, qui fait obstacle à la pensée. Que l’on songe au film de François Truffaut, Farenheit 451, qui est précisément consacré au biblioclasme et où des hommes apprennent, chacun, un livre par cœur, et à quel prix.

   L’arsenal auquel le livre appartient est tout simplement celui du champ hypnologique, à savoir tous les supports permettant de ne plus avoir “à y penser”, et qui viennent nous seconder, nous relayer, nous prolonger, nous remplacer et qui vont des machines aux animaux domestiques, des outils aux esclaves. Dimension subalterne qui est aussi celle du subconscient.

   Or, quand (saint) Paul parle de l’avènement d’une nouvelle ère, du passage de la Loi à la Foi, qu’entend-il par là sinon le transfert de l’énoncé de la Loi à un niveau inférieur de la conscience, ce qu’un psychanalyste comme G. Haddad ne devrait pas avoir de mal à saisir ? Quand Freud parle de l’instance du Surmoi, que dit-il sinon que la Loi est intériorisée, qu’elle est en chacun de nous ? Et si elle est en nous, à quoi bon la maintenir à l’extérieur de nous ? Quelle différence, donc, entre les propos de ces deux juifs que sont Paul et Freud ? Nous n’en percevons guère.

   Pour en revenir à la laïcité, nous dirons qu’elle génère un certain vide, une vacuité, du fait précisément que le centre de la société n’est plus occupé, trusté par le religieux. Est-ce à dire que le religieux a disparu ? Point ! Le religieux a été intégré, c’est-à-dire qu’il est plus prégnant que jamais. Il y a en effet un coût à cela.

   Le passage du conscient vers le subconscient, implique un glissement du collectif vers l’individuel, exactement selon le projet laïque. Rappelons approximativement une formule de Clermont-Tonnerre à l’adresse des Juifs, lors de l’Emancipation : “rien en tant que communauté, tout en tant qu’individus.”

   En effet, un tel passage suppose le renforcement du processus individuel et il n’est pas étonnant que laïcité se combine avec un accent mis sur la personne. La modernité passe par une importance accrue accordée à chaque membre du groupe, ce qui est notamment flagrant au niveau du modèle démocratique lequel accompagne volontiers la laïcité.

   Qu’on y réfléchisse, donc ! Le poids du social est ainsi réparti entre chaque membre, on ne va plus du social vers l’individuel mais de l’individuel vers le social. C’est la somme des individus qui constitue alors la société. C’est ce que Paul entend, selon nous, quand il parle de “circoncision des cœurs”. Il n’est plus besoin de pression sociale quand la pression mentale, intérieure, a pris le relais, impliquant la participation de chacun et cela sans que la Loi, le Livre, aient à être brandis.

   On nous fera remarquer qu’il s’agit là d’une contrainte autrement plus lourde, au niveau individuel, que celle du subconscient en comparaison de celle du conscient. Nous l’accordons bien mais il ne s’agit pas de déboucher sur un culte de l’individu lequel n’est pas plus souhaitable que celui de la Loi. Reconnaissons que plus l’individu s’alourdit et plus le collectif se libère, s’allége. Nous avons dans nos travaux3 montré que la femme était plus individualiste que l’homme, que son moi, tant mental que physique, était plus chargé. Et l’on comprend dès lors l’importance croissante accordée à la femme dans nos sociétés modernes, elle qui, notamment, est chargée du Surmoi, de toutes sortes de fonction derappel. La femme qui a vocation à soulager l’homme de son fardeau, à commencer par celui de l’enfantement, qui nous semble autrement signifiant que l’affaire du pénis, chère aux psychanalystes quand ils réfléchissent sur le différentiel masculin / féminin.

   Certes, G. Haddad a-t-il beau jeu de dénoncer les folies millénaristes qui conduisent à des destructions selon lui sacrilèges. Mais, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Une chose est d’affirmer que les temps ne sont pas encore venus, une autre de déclarer qu’ils ne viendront jamais. Après tout, à ce titre là, pourquoi ne pas s’offusquer de l’informatisation, de la numérisation, qui conduisent à détrôner le papier au profit d’une réalité virtuelle ? Soyons sérieux !

   L’information peut changer de support sans pour autant disparaître et le corps humain et singulièrement celui de la femme constitue un support des plus sûrs puisque chaque individu, au bout du compte, est porteur d’information, ce qui conduit à la démultiplication de ce qui auparavant était conscient, placé sur de rares supports, et donc éminemment fragile. Paul lui-même parle de la femme d’une façon qui en choquera plus d’un en la comparant au corps de l’homme, c’est-à-dire à son prolongement, à ce qui fonctionne à son insu mais en quoi il peut se fier. Et c’est cette confiance qui est Foi, ce lâcher prise, qui constitue le progrès. Le monde moderne exige en effet pour l’homme de se reposer sur autrui, sur son environnement car il ne peut plus indéfiniment ne compter que sur lui-même : il lui faut comme Atlas, tenant le ciel sur ses épaules, chercher un Hercule pour prendre sa place. Il y a passage de relais.

   Paul annonce une nouvelle façon d’être juif qui nous semble singulièrement coïncider avec ce juif dit laïque, né de la Révolution Française, lequel n’a nullement renoncé à sa conscience juive et ce malgré le renoncement à des pratiques extérieures. Le discours de Haddad correspond, a contrario, à celui des Pharisiens n’acceptant pas la révolution “technologique” au niveau informationnel. Il n’est nullement question, ici, de suivre Paul dans son prosélytisme à l’égard des non juifs dont on voit mal comment, du moins du temps de Paul, ne se situant pas dans une véritable filiation, ils pourraient être les réceptacles de la Tradition juive séculaire.

   Dans la société laïque actuelle, la dimension religieuse est censée se situer au niveau individuel de façon à libérer l’espace commun. Mais un tel défi convient-il à toutes les religions ? Est-ce que notamment l’Islam est en mesure de le relever ? Cet Islam qui a pratiqué un large prosélytisme n’a pu que fragiliser son processus filiatoire et pourrait ne pas encore pouvoir accéder au stade paulinien, lequel, on vient de le voir, implique un passage du collectif à l’individuel et notamment un rôle accru de la femme dans le tissu social.

   De ce point de vue paulinien, les juifs “de souche”, ont un avantage, une avance appréciables par rapport aux autres religions et on ne sera pas surpris qu’ils souffrent probablement moins de la laïcisation, leur religion étant mieux ancrée au niveau individuel, par delà toute observance traditionnelle.

   Il n’en est que plus regrettable que tant de Juifs, à l’instar d’un G. Haddad, continuent à revendiquer un état qui ne leur correspond plus et ce qui était vrai du temps de Paul l’est encore cent fois plus de nos jours, à la suite de 2000 ans d’Histoire parmi les Nations. Contrairement à ce que dit, après bien d’autres, un Gilles Bernheim4, la survie des juifs en tant qu’ensemble spécifique ne tient pas à leur attachement conscient à une Loi particulière mais à leurs liens subconscients, intériorisés, individualisés, par rapport à celle-ci.

   Quant à la création de l’Etat d’Israël, reconnaissons que cet Etat Juif nous semble fondé sur un certain contre-sens, en tout cas constituer une forme de régression à l’échelle de l’Histoire des Juifs. C’est la revanche, en quelque sorte, du collectif sur l’individuel, c’est la perte de confiance, de foi, qui caractérise le message herzlien5 et qui se confirme par le refus de laïcité de la société israélienne, laquelle raisonne en termes démographiques.

   Le message de Paul convient idéalement à la diasporisation de la présence juive au monde et tout se passe comme s’il avait été entendu, somme toute, probablement parce qu’il reprenait une thématique qui existait également dans les milieux juifs de son temps. Le drame de Paul c’est d’avoir confondu la présence juive parmi les nations avec la judaïsation des nations, qui conduira au christianisme tel qu’on le connaît, à la revendication abusive de la part des nations de l'héritage juif au lieu d’accepter cette présence juive en leur sein, non pas au travers du Livre, des Testaments, le “nouveau” et l’ “ancien”, mais des personnes.

   Car il nous semble que notre propos tend à (re)valoriser l’individu, du fait même qu’il est porteur d’une science subconsciente - que nous appelons hypno-savoir- et cet individu - du moins dans le cas juif - nous semble plus important que la Loi Juive. Brûler les bibliothèques nous semble moins grave que d’exterminer six millions de juifs ! Car chaque juif est livre. Il ne faudrait pas, à propos de l’Holocauste, relativiser la perte représentée au nom de la présence juive au monde par des considérations sur l’importance pour les Juifs de la Loi et surtout du Livre.

   On terminera sur ces réflexions : plus que jamais, il convient de préserver un espace collectif par delà le plan individuel. Nous n’avons nullement ici voulu faire l’apologie de l’individualisme. Il importe au contraire de ménager des espaces de créativité, d’interactivité pour faire pendant au poids croissant de la technologie individuelle. D’où l’importance du modèle laïc qui permet de tenir l’individu à distance, lequel est de plus en plus chargé subconsciemment de tout ce qui a été accumulé par les générations. La liberté n’est pas du côté de l’individu, elle est au niveau de la conscience collective, c’est-à-dire de ce qui se décide entre les hommes libres de la Cité.

Jacques Halbronn
Paris, le 2 août 2003

II

Instrumentalisation et Socialisation

    Il nous intéresse ici de réfléchir sur la genèse des sociétés et notamment sur le passage de l’ère individuelle à l’ère sociale puis au renouveau de l’individuation.6

   Nous avons décrit ailleurs le passage de la femme vers l’homme, qui correspond à un processus de socialisation impliquant l’émergence d’un espace social, d’une vie communautaire, d’une structure collégiale, du fait d’une prise de pouvoir de certains individus sur d’autres, conduisant à leur instrumentalisation, c’est-à-dire à leur perte d’identité, à leur aliénation, leur colonisation, au profit d’une identité centrale qui au départ n’est pas une institution mais un individu, une famille, un clan. D’où le lien que nous posons entre instrumentalisation et socialisation.

   Rappelons que l’intrumentalisation correspond à une annexion, à une appropriation, à un marquage de l’autre, de l’environnement, animal et minéral, notamment. Graver une pierre, c’est la faire nôtre, projeter sur divers objets nos codes, nos signes - ce que l’artiste continue à faire en remplissant une toile, en sculptant un bloc de matière, relève de la même stratégie de contraindre l’autre, en quelque sorte, à nous ressembler, à nous imiter, ce qui a donné toute la technologie. En effet, que l’autre nous imite plus ou moins sciemment ou qu’on le modèle à notre image, cela revient, grosso modo, au même.

   Pourquoi donc cette peur éprouvée par certains de voir les choses disparaître, mourir, être détruites alors que nous savons par ailleurs à laquelle point il y a transmission, dans l’espace comme dans le temps, de ce que nous faisons et disons ? Les historiens, pour leur part, ont conscience de ce qu’il est difficile de remonter aux origines mais aussi de la possibilité de retourner aux sources à partir de ce qui nous est parvenu, sous une forme ou sous une autre. Dans le domaine de l’astrologie, le savoir initial ne nous est plus accessible que par les traces qu’il a laissé par le truchement de ce que nous appelons un hypno-savoir. Vouloir réduire le passé de l’Humanité aux vestiges matériels susceptibles d’être retrouvés nous apparaît, au fond, comme une entreprise assez vaine et ô combien aléatoire. Pour prendre l’exemple de la Bible, nous ne pensons nullement qu’elle nous éclaire sur le passé, sinon à la lumière d’autres recoupements, de diverses transmissions, tant le dit texte peut avoir été trafiqué, élagué, interpolé, contrefait. En tant que juif, nous ne souhaitons, en tout cas pas, percevoir ce que nous sommes au travers de la seule Ecriture. Le cas Nostradamus témoigne de cette fragilité du document supposé originel, quand l’approche n’est pas critique.7

   Cette angoisse de la possible disparition des choses, ressentie par certains, doit être analysée : répétons que nous sommes constamment confrontés avec des documents, des comportements, qui constituent les traces d’un passé plus ancien, voire inaccessible, insoupçonné et qui montre que le passé n’a nullement disparu, qu’il nous domine de toutes sortes de façons. Quelque part, rien ne se perd, rien ne se crée.

   Il nous semble que la femme est davantage portée à éprouver de telles craintes et cela s’explique précisément par le fait qu’elle corresponde à un stade antérieur à l’homme et qui serait pré-social, marqué notamment par l’isolement individuel, par l’absence de prolongement à travers l’autre, hormis de façon directe, d’où l’importance que la femme accorde à la procréation alors que l’homme dispose de bien d’autres moyens pour se perpétuer et se prolonger et qu’en tout état de cause, il ne perçoit pas les enjeux à l’échelle individuelle.8

   La femme a une conscience aiguë, exacerbée, de son Moi et des blessures, narcissiques, pouvant lui être infligées. Souvent, quand elle parle de ce qui peut arriver à l’autre, c’est à elle, en fin de compte, qu’elle songe, sans réaliser souvent que les enjeux ne sont pas les mêmes pour l’homme et pour la femme, pour un être socialisé et pour celui qui ne l’est que superficiellement, en apparence. Il y a là, au fond, la crainte de perdre quelque chose, qui a souvent été associée, par la psychanalyse, avec l’absence du phallus mais il nous semble qu’une telle explication est insuffisante, même si elle est révélatrice de ce dont nous traitons ici. La vraie crainte est celle d’être absorbée par le social, d’où un besoin, une précaution, de s’alourdir au maximum, de renforcer sa résistance, de peur de s’envoler, d’être aspirée, ne comptant finalement que sur soi et faisant difficilement confiance à ce qui n’est pas soi stricto sensu.

   Notre modèle de socialisation est donc fonction de l’existence d’un certain nombre de pôles qui s’étendent et recouvrent ce qui se trouve sur leur chemin. La peur face à l’instrumentalisation qui en découle peut générer une angoisse d’être dévoré par l’autre. qui peut se fixer du fait d’une projection/identification par rapport à certains objets surinvestis, passant éventuellement par une forme de fétichisme. De fait, il y a ceux qui sont au cœur de ces processus et ceux qui en sont les satellites plus ou moins conscients ou plus ou moins consentants.

   Cette instrumentalisation qui aboutit à inscrire au sein d’une même sphère des éléments extrêmement divers mais marqués d’un même sceau, par exemple une même langue, un même costume (qui est à rapprocher de coutume, comme habit d’habitude) n’est pas seulement spatiale mais implique un prolongement dans le temps. En effet, les éléments ainsi mobilisés et mis en orbite appartiennent à des durées différentes. Un monument de pierre est censé survivre à celui qui l’a mis en place. Mais par ailleurs, il y a un lâcher prise qui conduit à ce que le subconscient ne tarde pas à se substituer au conscient et donc échappe peu ou prou à son contrôle, tout en n’existant que du fait de la matrice. Il y a là une sorte de paradoxe : plus les choses m’échappent, plus elles dépendent de moi, en quelque sorte ontologiquement. Car pour pouvoir m’échapper, il aura d’abord fallu qu’elles soient liées à moi, tout comme pour que quelque chose devienne subconscient, il a d’abord fallu que cela soit conscient.

   Mais, comme nous l’annoncions, d’entrée de jeu, l’individuation est désormais revalorisée en ce qu’elle est devenu un support privilégié d’information. Il y a chez les individus des hypno-savoirs et ceux-ci sont sécurisés du fait même qu’ils sont portés par un très grand nombre de personnes. La seule solution pour anéantir certains savoirs consisterait dans le génocide et non pas dans la destruction de tel livre, de telle bibliothèque. La Shoah témoigne de ce qu’un tel projet n’est pas impensable ni impensé mais elle est révélatrice de ce que chaque individu représente, en sa chair, en son patrimoine héréditaire, à un niveau subconscient.

   Le XXIe siècle sera probablement marqué par une capacité accrue de remonter le temps à partir des traces qui se sont perpétué psychiquement. Se constitue une nouvelle archéologie, une anthropo-archéologie, laquelle risque fort, à terme, d’éclipser l’archéologie traditionnelle. Le comportement humain, en effet, ne se comprend pas sans la mise au jour d’hypno-savoirs, qui sont des savoirs enfouis dans le psychisme et qui sont restés intacts, à la différence des traditions qui, pour l’heure, prétendent en tenir lieu et dont on sait à quelle point elles sont peu fiables et insuffisantes. Il est temps que l’anthropologue prenne le relais de l’Historien des documents et monuments, lesquels ne sont que les vestiges d’un savoir passé sur d’autres plans. On comprend mieux dès lors, même si cela doit choquer quelques bonnes âmes, à quel point il est urgent de préserver non pas tant les cultures mais aussi les langues et surtout ceux qui les incarnent et qui ont survécu, du fait d’une filiation rigoureuse, et de classer, notamment, les juifs dans le patrimoine de l’Humanité. Il est urgent de repenser la notion d’individu et de fait les femmes en tant que porteuses d’hypno-savoirs dont on n’a probablement pas su apprécier toute l’importance - et dont elles mêmes ne sont guère conscientes - ne peuvent, à terme, qu’être revalorisées dans leur spécificité, ce qui devrait mettre fin à un mimétisme de mauvais aloi. Non pas cependant, certes, que l’humanité doive se réduire à ces hypno-savoirs qui constituent l’essentiel de son héritage bien davantage que ce qui n’a pas été intégré, que ce qui ne s’est pas littéralement incorporé mais comme nous l’avons écrit dans un précédent texte, si l’homme philosophe et la femme enregistre en son corps9, ce qui fait problème, c’est le statut du livre qui est à repenser : les livres, les messages, les plus importants sont ceux que l’on a oubliés et qui sont désormais constituent nos hypno-savoirs. De nos jours, tout ce qui peut aider à la promotion et la mise en évidence des hypno-savoirs, de ce que l’on pourrait appeler très sommairement des automatismes10, constitue une littérature prioritaire.

   Rappelons que par hypno-savoir nous désignons des plans extrêmement différents, ancrés à des profondeurs fort variables, en fait, tout savoir quel qu’il soit comporterait, selon nous, une dimension hypno, dans son mode de fonctionnement.11 Par certains côtés, on pourrait rapprocher hypno-savoir et ethno-savoir, signifiant par là que les savoirs ne sont pas d’un accès facile quand on les aborde de l’extérieur, ce qui renvoie à la question de l’étranger.12 Il nous semble que les savoirs circulent mieux, contrairement à l’idée généralement admise, dans le temps que dans l’espace.

Jacques Halbronn
Paris, le 3 août 2003

III

Qu’est ce qui est à lire ?

    Traiter de la signification du livre nous semble être l’occasion de préciser, dans tous les sens du terme, notre pensée. Nous aborderons la question sous deux angles : du point de vue de l’anthropologue et du point de vue de l’historien des textes, deux approches qui conduisent, nous semble-t-il à une certaine distanciation voire à une certaine démystification du livre.13

   Nos travaux consacrés aux traditions liées à une certaine littérature (Judaïsme, Astrologie, Prophétisme, Nostradamisme notamment) nous invitent à relativiser l’importance de l’écrit tel qu’il est transmis et tel qu’il nous parvient. Certains ont cru devoir / pouvoir développer une idéologie selon laquelle le Livre serait l’expression d’une sorte de Vérité immanente de l’Humanité, comme une sorte de progéniture, d’enfantement.

   Or, ce Livre, en tant que réalité matérielle, est fonction de bien des aléas, sinon d’avatars et ce qui nous parvient et qu’on appelle Livre est souvent dans un bien mauvais état exigeant des précautions multiples pour le reconstituer sous sa forme initiale et encore faudrait-il s’entendre sur les stades de formation - et de répercussion anthropologique et historique - du Texte . Car sur / de quoi nous renseigne le Livre ?

   Encore faudrait-il distinguer entre les livres, entre ceux qui sont porteurs d’une Tradition et ceux qui en sont, peu ou prou, les commentaires dans la mesure où tout livre dépend, est fonction d’autres livres et s’y réfère implicitement ou explicitement.

   Il ne faudrait donc pas mettre sur le même plan tous les livres et passer ainsi de la Bible, du Tétrabible de Ptolémée et des Centuries de Nostradamus à quelque roman moderne qui n’a guère eu le temps de marquer des générations et des sociétés. Il est des livres plus ou moins matriciels.

   Rappelons que pour nous, tout livre, quel qu’il soit, s’inscrit dans un processus hypnologique, en ce qu’il est support d’une pensée, auxiliaire d’une mémoire, voire pense-bête. Le livre vise à élargir le champ d’influence de celui qui en est l’auteur, ce qui lui confère de facto une certaine autorité. Nous intéresse l’acte de lire à haute voix le texte d’un autre, ce qui nous conduit, quelque part, à l’incorporer, à l’imiter. En ce sens, le livre est un outil mimétique, tout comme d’ailleurs la langue, les mots.14 Toutefois, cette hypnologisation est superficielle, elle est à distinguer d’une hypnologisation plus profonde au niveau du subconscient. Il s’agit plus là d’un techno-savoir ou d’un socio-savoir, que d’un hypno-savoir, stricto sensu, avec ce que cela implique de lâcher prise au niveau du conscient.

   Il est certes des livres “canonisés” qui sont importants et dont il importe peu, a priori, d’étudier la genèse puisqu’ils sont ce qu’ils sont. On peut certes respecter cet état de choses et accorder toute leur importance à de tels ouvrages aussi chargés.

   Cela dit, il s’est constitué une critique biblique qui a désossé les Ecritures, qui les a déconstruites, qui s’est intéressé à leurs sources etc. tout comme il existe une critique du corpus nostradamique ou du corpus astrologique. Est-il utile, demandera-t-on, de remettre en question une certaine clôture de ces sommes, ne faut-il pas respecter un certain arbitraire diachronique qui fait que les choses en sont là où elles en sont et que ce qui était avant ou après la dite clôture ne compte guère ?

   La notion de clôture nous semble tout à fait respectable du point de vue hypnologique qui est le nôtre, en ce qu’elle implique un basculement, à un certain moment, d’un état vers un autre et qui fait qu’ensuite les choses ne seront plus comme avant.

   Cela dit, nous sommes placés en face d’une archéologie complexe, avec de nombreuses strates et la question qui se pose à nous est celle du rapport du signifiant au signifié : autrement dit, à quelle réalité (signifié) renvoie tel Livre (signifiant) ?

   Prenons le cas de l’astrologie, il existe, certes, bel et bien un certain “canon” astrologique qui sert à un grand nombre de praticiens et qui alimente de nombreux avatars variations et autres commentaires. Mais en même temps, ce “canon” correspond-il véritablement à la réalité astrologique ? Pour notre part, nous pensons qu’il y a un sérieux décalage entre le “canon” astrologique et le “vrai” rapport des hommes aux astres, quand bien même reconnaîtrait-on l’existence d’une certaine tradition astrologique ayant une certaine prégnance dans les esprits, dans le cadre de la consultation astrologique.15

   Considérons le cas Nostradamus, dont on célèbre présentement le cinquième centenaire de la naissance, force est de constater qu’il existe en effet un certain canon nostradamique, encore que, comme pour le canon biblique, il y ait des divergences même à ce sujet sur ce qu’on y met et n’y met pas, ce qu’on y accepte et ce qu’on en exclue. Cf. notre étude sur “les canons centuriques”, sur E. H. Le cas Nostradamus diffère sensiblement du cas Astrologie, de par son caractère infiniment plus récent. Aucune société ne s’est, à notre connaissance, organisée autour des Centuries, à la différence de ce qui s’est passé, selon nous, pour l’Astrologie, ce qui change considérablement les perspectives et les enjeux.

   En ce qui concerne les grands livres religieux qui ont généré des pratiques séculaires organisant des sociétés entières, l’importance même de ces livres est aussi ce qui en relativise, paradoxalement, l’importance, dans la mesure où le contenu principal des dits ouvrages s’est hypnologisé, c’est-à-dire subconscientisé. Quand bien se perdraient-ils, ils seraient préservées dans l’hypno-savoir de chaque membre issu, en droite ligne, d’une longue lignée d’observants.

   En fait, les choses sont plus complexes qu’il peut le sembler au premier abord et il convient de distinguer signifiant social et signifié social. Par signifiant social, nous engloberons ici un ensemble de pratiques adoptées par une certaine population, ce qui peut englober les conversions, ce qui peut comprendre certains emprunts textuels. Autant de facteurs qui risquent fort de faire écran entre apparence et réalité.

   Pour ce qui est de savoir ce que sont les Juifs, est-ce que la meilleure façon est d’aller lire l’Ancien Testament ? Nous n’en sommes pas sûrs; c’est un peu comme pour l’astrologie. Il y a plusieurs strates, plus ou moins profondes, soit des réalités hypnologiques diverses et variées, tant synchroniquement que diachroniquement.16

   Nous pensons que le Livre ne saurait faire l’économie d’une approche anthropologique, statistique des populations supposées concernées ou des processus supposés à l’œuvre, ce qui est susceptible de renvoyer à un état antérieur, souvent disparu du dit Livre. On dira que le Livre laisse son empreinte sur les sociétés qui s’organisent autour de lui. On peut même supposer que tout phénomène anthropologique observé a existé antérieurement sous la forme d’un Livre, sous la forme d’un code juridique, inscrit quelque part, dans la mesure même où l’écrit est un chaînon essentiel mais pas pour autant ultime du processus hypnologique. Un cas intéressant concerne l’Homme et la Femme. Quel Livre avec un L majuscule nous en parle ? Et pourtant, un tel ouvrage a du existé, légiférant sur le statut des deux “genres”, bien avant que la différence s’inscrive sur un plan subconscient. Il a bien d’abord fallu que le système soit pensé, formulé, imposé par des consignes, des interdits avant de basculer, bien plus tard, sur le plan d’une transmission génétique, à l’échelle du bagage génétique de chaque membre du groupe concerné. Il y a là un chaînon juridique indispensable, tant il est vrai d’ailleurs que le Livre est avant tout un Livre de Droit, déterminant un mode d’organisation sociale. Le Livre annonce, précède un état ultérieur subconscient. Il est déjà une forme de subconscience en ce qu’il prolonge la pensée, qu’il la répand avant que celle-ci ne s’enracine. Le Livre correspond à un état pré-hypnologique, avec ce que cela peut avoir de provisoire, de temporaire et surtout d’instable.

   Il est possible d’ailleurs qu’il incarne le lien entre Dieu et l’Homme, comme pour Moïse au Mont Sinaï. On comprend que pour nous, le Livre est avant tout un ouvrage à vocation juridique, à fixer des normes à la façon des Tables de la Loi, porteuses des Dix Commandements, c’est selon nous sa première raison d’être et ce n’est que par extension, par mimétisme, qu’il a fini - notamment avec l’invention de l’imprimerie - par couvrir des champs et des registres plus vastes, moins utilitaires, moins intriqués dans la vie sociale et donc dès lors moins susceptibles de passer au niveau subconscient qui, rappelons-le, pour nous est nécessairement collectif et parce que tel individuel, puisque c’est par l’individu que s’exerce la filiation génétique. Ce n’est pas par hasard que l’on désigne sous le nom de livre des documents aussi variés, dans la plus grande promiscuité, produisant ainsi un évident amalgame entre le sacré et le profane, le juridique et le “littéraire”.

   Le Livre a vocation à unifier et à définir un groupe donné, assumant ainsi une fonction totémique. On retrouve cette idée avec le “petit livre rouge” de Mao. Il est en outre rédigé en une certaine langue, en tout cas - sous sa forme la plus archaïque - en recourant à certains signes, qui ne font sens pour le dit groupe. Tout cela contribue à cimenter dans l’espace et le temps une population.

   Le Livre n’en fait pas moins obstacle au niveau scientifique, il est en porte à faux au niveau chronologique, comme ce fut longtemps le cas pour la Bible, confrontée aux données archéologiques, mais demain, c’est avec l’anthropologie que le Livre “sacré” risque bien de se retrouver en délicatesse. Car, qu’on le veuille ou non, les religions continuent à proposer une représentation très lacunaire et ce notamment en ce qui concerne les Juifs et leur origine, leur apparition. En fait, il serait souhaitable, pour les Juifs, de s’émanciper du “Livre” plus encore qu’ils ne l’ont fait jusques ici car même ceux qui ne pratiquent pas n’en restent pas moins marqués par le discours pseudo-historique du Pentateuque. Il serait bon que les Juifs se libèrent du livre et partent de leur “vraie” Histoire pour penser leur être.17

   C’est donc à une lecture de cette Histoire, au travers de l’expérience de la “diaspora” et de la “shoah” qu’il convient de s’atteler, tout comme il importe, selon nous, de considérer le Ciel comme un Livre que les hommes ont appris à encoder et à décoder. Autrement dit, le Livre-papier est mort, en tout cas détrôné. Il faut apprendre à lire sur d’autres supports, génétiques, anthropologiques, historiques, cosmiques. Le Troisième Millénaire verra la fin du règne du Livre au sens où on l’a entendu au cours des siècles passés.

Jacques Halbronn
Paris, le 11 août 2003

Notes

1 Cf. nos études “Tradition et Incarnation” & “(Saint) Paul : entre conversion et filiation”, Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr. Retour

2 Cf. Les folies millénaristes. Les biblioclastes, Paris, Grasset, 1990, Livre de Poche, 2002. Retour

3 Cf. la rubrique Hypnologica, dans l’Encyclopaedia Hermetica, op. cit. Retour

4 Cf. Un rabbin dans la Cité, notamment, Paris, Calmann Lévy, 1997. Retour

5 Cf. notre ouvrage, Le sionisme et ses avatars, au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour

6 Cf. notre étude “Laïcisation et individuation” sur Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr. Retour

7 Cf. nos travaux, sur E. H., rubrique Nostradamica. Retour

8 Cf. nos études sur ce différentiel Homme / femme, sur E. H., op. cit., rubrique Hypnologica. Retour

9 Cf. notre étude sur “les femmes et l’influence astrale”, sur E. H., op. cit. Retour

10 Cf. J. Halbronn, “Eloges des automatismes”, in Eloges de la souffrance, de l’erreur et du péché, Paris, Lierre & Coudrier, 1990. Retour

11 Cf. notre étude sur “le réseau des signifiants en anglais”, sur E. H., rubrique Gallica. Retour

12 Cf. notre étude “psychanalyse de l’étranger”, Hommes & Faits, Faculte-anthropologie.fr. Retour

13 Cf. nos précédentes études sur Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr, rubriques Hypnologica, Judaica, Nostradamica, Astrologica. Retour

14 Cf. notre étude sur les “réseaux de signifiants anglais”, sur E. H., rubrique Gallica. Retour

15 Cf. Clefs pour l’astrologie, Paris, Seghers, 1993 ; L’astrologue face à son client, Paris, Ed. La Grande Conjonction, 1995 et nos travaux sur l’astrologie axiale, sur E. H. Retour

16 Cf. notre étude sur Saint Paul, sur E. H. Retour

17 Cf. le dossier à paraître prochainement dans les Cahiers du CERIJ et le Site Cerij.org. Retour



 

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