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HYPNOLOGICA

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Rhétorique de l’immigré(e)

par Jacques Halbronn

    Toute condition détermine sinon dicte une certaine rhétorique et cette rhétorique émerge chaque fois que cette condition est mise en cause ou interpellée. Nous choisirons pour illustrer notre propos le cas des populations en situation d’immigration plus ou moins prononcée. Le probléme de l’immigration est un phénoméne général qui n’est fonction qu’accessoirement du pays d’origine et sensiblement plus du pays d’accueil.1

   Situation inévitablement marquée, on le conçoit, par le mimétisme mais cela vaut également au niveau de l’emprunt linguistique qui débouche, quand il est relativement massif, sur une sorte d’immigration interne, c’est-à-dire sans avoir à quitter le pays d’origine.2

   Il semble qu’il existe un tropisme de l’immigré, sous ses diverses formes, à remonter au Déluge, à l’origine des choses. Cela se comprend dans la mesure où l’immigré se situe, lui-même, au début d’un parcours et qu’il veut montrer que tout le monde est logé à la même enseigne.

   Combien de fois n’avons-nous entendu ou lu que le français est issu du latin de la part de locuteurs anglophones encombrés par une présence envahissante du français dans la langue anglaise ! Mais après tout, nous dit-on, à l’origine, le français n’était-il pas du latin ? Et quand on a dit cela, on se sent mieux car qui n’est pas endetté, qui ne doit pas quelque chose à quelqu’un, qui n’a pas emprunté ? Quand on parle aux Musulmans de l’empreinte judaïque sur leur religion, ils rétorquent que le judaïsme est bien, lui, aussi, issu de quelque autre religion, et que les Juifs ne sont pas apparus ex nihilo. Et même entre juifs, les juifs immigrés en France ne se gênent pas pour rappeler que les juifs de souche française ont bien dû débarquer eux aussi, quelque jour. Autant d’arguments qui visent à minimiser l’emprunt, à relativiser le processus migratoire en en démontrant la dimension universelle.

   C’est d’ailleurs, probablement, ce qui conduit le christianisme et l’Islam à revendiquer, sans vergogne, une filiation aussi ancienne que possible : respectivement le Christ fils du Dieu d’Israël, les arabes fils d’Abraham, deux personnages bibliques et tout à l’avenant. Je t’emprunte, tu empruntes et ainsi de suite, pas de jaloux ! Je te vole, peut-être, mais toi es-tu sûr de n’avoir jamais volé ? Chacun son tour. Pas la peine d’en faire tout un plat !

   Ce que l’on ne contestera pas, cependant, c’est à quel point l’emprunt est souvent maladroit, partiel, déformant. On connaît ce jeu consistant à répéter une phrase d’une personne à l’autre, la phrase finissant par différer considérablement de ce qu’elle était au départ. Celui qui emprunte le fait mal et d’ailleurs cela lui importe souvent assez peu car il s’agit souvent d’une attente assez superficielle, d’un simulacre de continuité, sans qu’il faille aller y regarder de trop près. Au fond, l’emprunteur ne veut pas qu’on le prenne trop au sérieux.

   Ce n’est d’ailleurs pas tant l’emprunteur qui fait problème que l’historien ou celui qui s’improvise tel. Car l’historien souvent accentue le trait et prend à la lettre ce qui n’était qu’un clin d’oeil. On l’a signalé, notamment à propos des études nostradamiques, ce sont les historiens qui bâtissent un roman et qui fabriquent des faussaires qui ne prétendaient pas fabriquer des faux mais simplement faire référence. Autrement dit, c’est notre lecture du passé qui fausse les perspectives, en conférant à certains acteurs des intentions qui n’étaient pas les leurs. Or, nos immigrés se placent volontiers en situation d’historiens maladroits.

   A ce titre là, il n’y a pas de plagiat si tout le monde est peu ou prou plagiaire et d’ailleurs que ne devons-nous pas déjà à la langue dont nous nous servons ? C’est ma foi vrai ! Il est fascinant de voir à quel point tout s’aplanit, se nivelle, se ressemble, vu de Sirius ! Que de télescopages ! Quelle jolie façon d’écraser le temps !

   Avec une telle philosophie, nous nous trouvons entraînés dans un continuum qui ne connaît plus de clivages chronologiques ou géographiques. C’est d’ailleurs selon une telle logique que l’on place ensemble toutes les populations usant d’une même langue ou de langues de la même famille, ce qui a donné l’expression sémitique puis antisémitique. Mais de même que les Chrétiens se sont aperçu qu’ils ne pouvaient se dire juifs, voici les arabes qui se rendent compte que l’antisémitisme ne les concerne pas, d’où la préférence désormais pour judéophobie ou antisionisme qui évite certaines confusions. Dans les deux cas, l’amalgame avec les Juifs ne marche pas. Comme quoi le mimétisme a ses limites. Mais cela n’empêche pas certains d’affirmer que les juifs sont issus du monde arabe et que s’ils revendiquent la Palestine au même titre que les arabes, c’est qu’il s’agit du berceau commun aux deux populations qui, en fait, ne feraient qu’une. Ce continuum dans l’espace-temps est évidemment commode pour ceux dont les connaissances en “histoire-géo” sont médiocres : plus de frontières à tracer, plus de périodes à délimiter et dont il faudrait se souvenir. Tout a / aurait toujours été là de tout temps et en tout lieu et d’ailleurs Adam n’est-il pas le père de tous les hommes ? Au fond, il n’y aurait pas de progrès, pas d’emprunt puisque tout aurait été déjà là dès le commencement, depuis l’origine des temps, comme on dit. Donc, rien n’aurait bougé et tout serait resté intact ; on est dans l’immuable, l’inusable. Là encore pas besoin d’une laborieuse archéologie, d’une approche critique des documents qui permettrait à certains de poser au savant. On est bien en pleine démagogie! Les savants au poteau! On peut aussi bien brûler les bibliothèques.

   Une telle rhétorique ne fait pas la part de la durée et confond le signifié et le signifiant. Celui qui emprunte le fait souvent bien mal et on pourrait multiplier à l’envi les erreurs d’interprétation relevant d’une telle transmission profane - dans tous les sens du terme c’est-à-dire aussi qui profane - et disons-le souvent sauvage. Comment celui qui emprunte saurait-il qu’il mène à bien l’opération et dans quelle mesure le veut-il vraiment ? Il y a là deux points d’interrogation et nous dirons que le vrai problème est là: non pas d’emprunter mais d’avoir mal emprunté, ce qui va presque toujours de pair. Une imitation est vouée sinon condamnée à être une “mauvaise” imitation. C’est ainsi que l’emprunteur se trahit et même le voleur qui - si on l’interroge - se trahira par la méconnaissance de ce qu’il a ainsi dérobé.

   Pour en revenir à la linguistique puisque l’on emprunte surtout des mots, des textes, des formules, celui qui utilise un mot qui vient d’ailleurs n’en aura qu’un maniement maladroit et étroit, et somme toute fort limité à tel ou tel cas de figure, bref, il y aura appauvrissement, déperdition. On imagine donc les dégâts causés par l’emprunt quant à la dévaluation des choses, surtout si l’on bascule dans le syncrétisme qui tend à brouiller les pistes et les représentations. Qu’est ce que Dieu, par exemple, après tant d’avatars, qu’est ce que le Juif, après tant de brassages ? Ne serait-il donc pas urgent de réparer les dégâts commis par des assimilations, dans tous les sens du terme, par trop précipitées ? Il importe de replacer chaque chose dans son contexte d’origine et de constater à quel point certains se sont égaré dans leur appréhension de ce dont disposait le voisin auquel on aura emprunté. En effet, à terme, la copie se mélangera avec l’original et si la copie est mauvaise, l’ensemble ne fera plus guère sens, l’ivraie et le bon grain étant mêlés. En d’autres termes, si je mélange le bon et le mauvais, qu’est-ce que cela donne ? La soupe s’en trouve gâtée. Et finalement, comme dans le jugement de Salomon, il en est qui préfèrent que tout le monde y perde, plutôt que de laisser à l’autre ce qui lui appartient.

   Comment n’aborderait-on pas ici le cas des femmes dont nous avons écrit à d’autres occasions3 qu’il s’apparentait à celui des immigrés, à moins que ce ne soit plutôt l’inverse ? Les femmes ont une grande capacité d’adaptation et toute adaptation n’est-elle pas une adéquation sinon une imitation d’un environnement donné ? Mais ne confond-elle pas parfois communication et communion ? Parfois adopter les mots d’autrui sont une façon d’être à lui ou de se l’approprier et peu importe au demeurant ce que ces mots signifient vraiment. Souvent celui qui emprunte s’autorise en contrepartie à leur agrémenter à sa guise. Là encore, la femme a tendance à remonter au Déluge pour minimiser tout ce qui pourrait la distinguer de l’homme. Car en montrant que l’autre est comme moi, ce qu’il fait m’est ipso facto accessible sinon mien. Au nom de l’égalité, on justifie l’emprunt qui ne consisterait au fond qu’à récupérer son propre bien ou en tout cas le bien de tous et dont l’autre revendiquerait abusivement la paternité et le privilège.

   Paradoxe donc que celui d’une personne qui se situe dans la nouveauté et qui cherché à s’appuyer sur ce qu’il y a de plus ancien! On conçoit qu’il puisse exister un rapport assez perverse à l’Histoire de la part de certaines populations, qui passe par un certain négationisme. C’est ainsi que nier la Shoa est avant tout motivé par un refus d’accorder aux juifs un poids historique trop fort face à des populations dont la substance historique serait plus ténue, c’est une tentative de nivellement des différences. Au fond, il y a là une revanche des nations jeunes sur les nations anciennes, presque un conflit de génération.

   Or, qu’est -ce qu’une vieille nation comme la France si on la compare aux Etats Unis ou à Israël ou aux pays issus de la colonisation ? Pourquoi, a contrario, parle-t-on d’un pays jeune ou neuf ? Il va de soi que la condition d’un immigré varie selon ce critère d’ancienneté. Il est plus difficile de rejoindre un vieux peuple qu’une nation à peine née, qui vient de se fixer. Là encore l’immigré va nous tenir de longs discours sur le fait que le pays dans lequel il s’est installé n’est pas si vieux que cela, qu’il a connu bien des vagues d’immigration, et de signaler les pourcentages de la population immigrée. C’est tout juste s’il admet qu’il pourrait exister un certain noyau dur. Il est clair que plus un pays est neuf et plus il est facile de s’y intégrer et moins l’immigration est forte dans un pays, plus la tâche serait difficile. Mais encore ?

   Car en apparence, le problème n’est-il pas le même : il y a une langue à apprendre pour communiquer, une géographie à connaître pour y circuler ? C’est bien que les choses sont un peu plus complexes qu’il pourrait le sembler au premier abord. Nous dirons que dans de vieux pays, c’est-à-dire quand des générations se sont succédé autour d’une même langue, d’une même société, il a pu se constituer une sorte d’hérédité, éventuellement la transmission de caractères acquis par la filiation, c’est-à-dire “par le sang” et qu’à cela l’immigré n’a pas accès en passant uniquement par les livres qui n’en sont qu’une expression partielle. En revanche, dans un pays jeune, un tel processus “héréditaire” n’a pas eu le temps de se mettre en place et par conséquent le décalage et l’inégalité seront moins flagrantes puisque personne n’est plus “avancé” que les autres, n’y dispose d’un plus fort bagage. Dit plus simplement, dans un vieux pays, l’étranger est plus facilement repéré et a bien du monde à se fondre dans la masse car on le reconnaît à certains détails qui lui échappent et sur laquelle il n’a pas de pleine maîtrise, que ce soit dans la façon de parler mais aussi d’écrire car c’est parfois au niveau de l’écrit que l’étranger est détecté mais aussi dans divers comportements, mimiques, gestuelle etc dont il ne s’est pas débarrassé ou qu’il n’a pas su adopter ou qu’il pratique avec quelque gaucherie. Il est bien des pays où quand quelqu’un a dit deux mots qu’il est déjà étiqueté étranger ou autochtone. On pourrait parler de la présence d’anticorps qui repèrent très vite l’intrus, c’est-à-dire celui qui sera à terme peu ou prou imprévisible, surprenant, ou qui ne saura pas prévoir l’évolution d’une situation dans laquelle il se trouve, manquant assurément d’aisance, étonnant et étonné permanents.

   Il est en revanche des pays où l’on entre comme dans un moulin, où l’hétérogénéité est telle que n’importe qui ou presque peut se faire passer pour autochtone, tant ce caractère reste superficiel et imitable. L’immigré qui passe d’un pays d’immigration jeune à un pays vieux risque bien des désillusions et d’ailleurs la condition d’étranger varie considérablement d’un pays à l’autre, de ce fait. Il existe, selon nous, des critères pour apprécier le poids des traditions et des automatismes - l’importance de la langue maternelle en est un - au sein d’une société donnée et le pourcentage des immigrés n’est qu’un de ces éléments dans la mesure où tout dépend de la place qui leur est accordée non point tant par la population mais par le système. Car les processus d’intégration et de recherche sont en partie inconscients. Un étranger n’est pas rejeté parce que l’on sait qu’il est étranger mais parce que cela ressort de son comportement et dès lors s’il est rejeté, c’est d’abord parce que le dit comportement pose problème sur un plan fonctionnel, du fait d’un manque de fluidité, du fait de retards, de ralentissements, d’obstacles générés par les facultés de la personne considérée, il ne satisfait pas vraiment aux exigences “normales” et risque ainsi d’entraver la bonne marche de l’entreprise, créant notamment des dépenses d’énergie supplémentaires, une baisse d’efficience etc Il ne s’agit pas là d’un racisme qui serait fondé sur tel ou tel a priori mais d’une ségrégation a posteriori visant celui qui apparaît structurellement comme un corps étranger, qui gène le processus normal des choses. Cela vaudra donc aussi bien pour un autochtone fou, malade ou vieux que pour un étranger. La société, avec plus ou moins d’efficience, évacue les facteurs de dysfonctionnements quels qu’ils soient.

   Parmi les problèmes posés par la présence d’étrangers “a posteriori”, c’est-à-dire de ceux qui sont détectés comme tels sur le tas, celui de l’écoute et de la concentration. Les sociétés ont développé des processus hiérarchiques sophistiqués, qui permettent que les choses s’effectuent promptement. Or, l’étranger est souvent imperméable à certains automatismes d’autorité - il n’obéit pas comme il faut pas plus d’ailleurs qu’il ne sait se faire obéir selon les codes en vigueur dans la société considérée. Au fond, l’étranger réfléchit trop, n’a pas les bons réflexes, est un peu “lourd” et dépense ainsi trop d’énergie, ce qui tend à terme à l’épuiser et à lasser ceux qui travaillent avec lui. Un exemple classique est la fatigue provoquée par l’écoute d’un propos dans une langue mal maîtrisée ou pour un étranger la dépense nerveuse pour maintenir une certaine concentration quand certains relais automatisés ne sont pas en oeuvre dans son cerveau. En fait, l’étranger fonctionne souvent très en deçà du niveau de l’autochtone, envisage un nombre de combinatoires plus faible et cependant s’épuise plus vite, pour produire un résultat plus médiocre, souvent bâclé selon les critères en vigueur du fait que les données du problème à résoudre ont été simplifiées ou mal appréhendées dans leur globalité; en définitive, la présence de l’étranger est une menace pour la productivité, sauf sur certains créneaux qui sont plus ou moins indifférents à certains aspects de la communication. Le problème de l’immigré, c’est son temps de réaction qui est trop long, même s’il ne s’agit que de quelques secondes de différence - il n’est que de voir comment les gens se plaignent d’un ordinateur trop lent. En fait, le vrai problème n’est même pas là, il tient à un manque d’anticipation, à ce qu’il ne voit pas les choses venir; n’a pas su anticiper, capter certains signes avant coureurs, et qu’il n’a pas à l’avance envisagé les solutions possibles, ce qui le contraint à improviser in extremis. C’est déjà dans la rapidité du débit de parole que l’on se rend compte de la qualité de l’appartenance de quelqu’un au groupe dans la langue duquel quelqu’un s’exprime.

   La façon dont il s’exprime dans une langue qui lui est étrangère est également caractéristique, que ce soit à l’oral ou à l’écrit: nous connaissons tous d’ailleurs cette sensation dès lors que nous nous exprimons en une langue étrangère: nous employons des mots sans avoir en tête tous les risques d’erreur possibles, tant sur le plan phonique que sur le plan sémantique, d’où pour notre auditeur un certain malaise, sans parler des problèmes d’euphonie dans l’articulation des suites de mots. En d’autres termes, dans la bouche ou sous la plume d’un étranger, une langue ne se présente pas sous son meilleur jour et ses défauts ressortent de façon assez criante puisqu’ils ne sont pas compensés par un certain modus operandi qui les atténuerait. C’est pourquoi lorsque l’on déclare que telle personne étrangère parle “bien” telle langue, c’est une appréciation qu’il importe de relativiser et qui est assez minimaliste et qui d’ailleurs dépend du niveau de langue pratiqué dans une société donnée. Dans un pays “neuf”, c’est-à-dire où les choses ne se sont pas vraiment cristallisé, le poids des automatismes et la qualité générale des modes de fonctionnement seront plus médiocres, moins bien maîtrisés, donc plus accessibles à un nouveau venu - à un “nouveau riche”. Dans un “vieux” pays, le rattrapage risque d’être beaucoup plus aléatoire et improbable.

   Vigilance nécessaire donc du membre d’une société, qui implique en fait bien des automatismes, faute de quoi on s’épuise et on épuise autrui assez vite si bien qu’ à force l’immigré finit par perdre confiance en lui et en autrui, parce que les choses ne se passent pas comme il s’y attendait, il se trouve vite désarçonné. En fait, avec l’immigré, il faut se méfier tant de faire preuve d’humour que de politesse car il prend tout pour argent comptant. Il ne sait pas décoder ce qu’il y a derrière les apparences, il se croit agressé quand ce n’est pas le cas et qu’on se moque ou que l’on ironise et il se croit accepté quand cela ne l’est pas non plus et que l’on cherche simplement à rester cordial et courtois ; il y a là un manque de secondarité. Ce qui lui manque d’ailleurs, c’est l’aptitude à rectifier, à recadrer une information incomplète ou éventuellement mal comprise ou mal transmise, en faisant preuve d’un certain sens commun; on ne comprend pas l’autre à demi-mot. On devine mal les gens, ce qu’ils ont dans la tête, on manque de perspicacité et probablement souvent de présence d’esprit. En fait, l’immigré vit dans un certain flou et dans l’approximation et cela peut caractériser / contaminer toute une société, on s’habitue ainsi à vivre dans l’à peu près, dans l’imprécision, l’autre étant perçu non pas comme un semblable mais comme un être assez imprévisible. Quand en outre, la langue utilisée dans la société en question est largement aliénée par une autre langue, la langue elle-même devient le miroir d’une certaine confusion, dans la mesure où le sens des mots employés au lieu de s’inscrire dans un schéma cohérent s’appréhende au coup par coup et sans repères solides.

   Chacun a fait l’expérience du décalage dans la perception peut avoir de lui, selon qu’il s’agit d’un groupe local ou d’un groupe immigré. Dans le groupe local, les choses sont tout de suite claires, on ne peut pas mentir, chacun sait à qui il a à faire de sorte que les rapports entre les membres vont d’eux-mêmes et obéissent à une certaine hiérarchie socioculturelle qui se reconstitue en toute occasion. On ne perd pas de temps à découvrir qui est l’autre, on a les repéres nécessaires pour le situer. A contrario, quand on arrive dans un groupe d’immigré, tout devient beaucoup plus compliqué, on perd un temps fou à faire connaissance et rien ne va plus de soi, il n’y a plus d’automatismes ou les seuls qui existent sont ceux du pays d’origine quand plusieurs immigrés viennent du même lieu. Dès lors, ce sont les critères du dit pays qui se substituent à ceux du pays d’accueil !4

   Ce que nous avons appelé le racisme ou la xénophobie a posteriori correspond en fait à la prise de conscience d’une différence plus profonde car irréductible. Les personnes ainsi rejetées le sont pour leurs carences individuelles mais statistiquement l’ensemble de ces personnes tend à concerner une majorité d’étrangers, ce qui vient en fait confirmer la justesse du rejet a priori. Un des cas, semble-t-il où le racisme a priori est le plus contestable et le plus contre productif concerne les Juifs qui souffrent très peu d’un racisme a posteriori. Quand une société rejette a priori des éléments efficaces, elle se saborde. Quand une société ne rejette pas a posteriori des éléments défectueux, elle est malade.

   Pour recourir à une comparaison d’ordre linguistique, la capacité à repérer un mot étranger varie considérablement d’une langue à l’autre. Il est des langues qui mettent en italique les mots étrangers et d’autres qui ne sont même plus en mesure de les considérer comme tels, du fait même de la quantité de mots isolés et n’appartenant pas à des réseaux de signifiants, qui ne relèvent pas d’une étymologie transparente. Pour filer la comparaison, les sociétés où les individus sont isolés, nombreux à ne pas avoir de familles, où les ramifications familiales ou autres sont pauvres, pas de longue date, où les cloisonnements sont multiples, seront mal équipées pour détecter les étrangers et donc seront plus accueillantes, parfois à leur corps défendant, que des sociétés davantage organisées et articulées et où l’individu isolé est un cas à part, où l’idiosyncrasie est un stigmate, où la sociabilité est collégiale et non discontinue.

   L’immigré est bien plus dans un processus de vouloir que d’être, tout comme la femme. Vouloir implique un objectif un tant soit peu précis à atteindre, ce qui génère inévitablement un certain mimétisme. Vouloir coûte que coûte. L’autochtone serait plus dans le pouvoir, dans l’entretien et l’épanouissement d’un potentiel. L’immigré est là où il se trouve du fait d’un choix, d’une volonté. Il y a là en soi un paradoxe que de vouloir être ce qu’on n’est pas puisque quelque part comment savoir ce qu’est cet être qui lui est précisément étranger et qu’il n’appréhende que par des représentations inévitablement superficielles ? D’où une tension, voire un conflit, un clivage, une contradiction, un tiraillement plus ou moins pénibles entre ce qu’il veut et les résistances plus ou moins subconscientes de son être ainsi malmené, bafoué. Vouloir est un viol de l’être, c’est aussi quelque part un vol. Il y a vol dans volonté et probablement violence que l’on s’inflige ou qu’on inflige à l’autre en le contraignant à nous accepter puisque l’immigré a à se faire adopter par l’autre, à faire admettre sa présence en tant que corps étranger.

   En fait, il n’est pas d’acte plus irrationnel, plus aléatoire, que celui de choisir. Il suffit de vouloir, dit-on. Mais à quel prix pour la société ? L’étranger n’est-il pas un faux-monnayeur ? C’est pourquoi il importe d’une certaine façon de prendre l’immigré comme un repoussoir. Il ne s’agit nullement de le rejeter mais de ne pas prendre modèle sur lui. Si, lui, est prêt à monter dans la galère du vouloir, grand bien lui fasse mais qu’il ne nous transmette pas ses “valeurs” et sa rhétorique ! On ne peut guère empêcher quelqu’un de nous imiter jusqu’au moment cependant où la confusion règne et où on prend la copie pour l’original. Avec la femme immigrée, le problème peut se gérer assez aisément dans la mesure même où elle est perçue comme femme et en tant que telle elle porte les stigmates d’une condition mimétique, vouée à s’associer à un homme et à le représenter. En revanche, l’homme immigré introduit une bien plus grande ambiguïté dans le tissu social dans la mesure même où en tant qu’homme il peut se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Souvent, il faut l’avouer, l’immigré fait semblant et se satisfait de simulacres, de préliminaires qui n’aboutissent qu’à un résultat insuffisant mais qui lui convient au niveau de ses fantasmes d’intégration et d’insertion ; un tel processus peut être vécu à plusieurs. Rappelons aussi que l’immigré peut être intégré en tant que tel, c’est-à-dire en tant qu’étranger restant étranger mais toléré à ce titre ; il est toutes sortes d’intégration, au masculin et au féminin ! Celle de l’étranger est le plus souvent de type féminin, c’est-à-dire mimétique5, en précisant que si une population apparaît comme peu intégrable, sinon au rabais, ce n’est pas tant en raison de ses origines mais de par sa composition : si l'élément féminin est dominant, l’intégration sera mieux assurée et l’on peut dire que l’intégration de l’étranger se fait par les femmes, soit celle qu’il rencontre dans le pays d’accueil, soit celle qui l’accompagne et qui saura mieux se fondre dans le paysage, sans avoir d’états d’âme par rapport au passé. Il semble ainsi que les femmes “beures” sont mieux acceptées que les hommes “beurs”, qui se mettent souvent en porte à faux avec la société française, exprimant ainsi un certain désarroi par rapport à leurs racines. Il est possible que le problème de la présence musulmane tienne au fait que les femmes restent trop sous la coupe des hommes, ce qui empêche ces derniers de profiter pleinement de leur expérience d’acclimatation.

   On peut ainsi se demander, au risque de choquer, s’il ne faut pas repenser les politiques d’immigration6 en envisageant la possibilité d’une polygamie, corollaire de l’exogamie, dans la mesure où la femme est bien plus facilement assimilable que l’homme et bien mieux repérable en tant que telle. Les sociétés pratiquant la polygamie sont plus homogènes et pallient le déficit masculin lié à la guerre, sans pour autant recourir à l’arrivée d’éléments allogènes masculins. D’ailleurs, longtemps, la naturalisation fut bien plus facile, juridiquement, pour une femme étrangère que pour un homme étranger. Apologie de la polygamie, en effet, qui soulignerait mieux que par tout autre signe la différence entre l’homme et la femme. Polygamie qui, au demeurant, permettrait à plus de femmes de satisfaire leur propre volonté d’être avec un certain homme car, a priori, celui qui est désiré peut l’être de plusieurs. L’homme polygame, c’est-à-dire élu par plusieurs femmes, n’aurait pas à trancher entre elles et trouverait un modus vivendi avec les membres de son “harem”. On sait par ailleurs qu’un homme peut faire des enfants à plusieurs femmes quasi simultanément, alors que la réciproque n’est pas vraie, sans parler du fait que la période où la femme peut participer à un acte de procréation est plus brève que chez l’homme.

   Celui qui est dans l’être doit laisser venir à lui celui qui est dans le vouloir être et qui est prêt à se laisser imprégner par cet être ainsi désiré. La rencontre entre l’homme autochtone et la femme immigrée passe plus ou moins inévitablement par la procréation.

   C’est-à-dire que l’acte d’immigration implique une rencontre intime avec le modèle et non une juxtaposition. Certes, l’homme immigré peut-il vivre avec une femme “locale” mais cela risque fort de conduire à ce que cette femme, de par sa programmation, entrera plus dans le monde de cet homme que l’inverse, sauf à nier toute différence entre psychismes masculin et féminin. D’ailleurs, là encore, le code de la nationalité prévoyait; en France, qu’une Française épousant un étranger devenait étrangère.

   On voit donc à quel point l’homme immigré n’est pas la femme immigrée même s’il tend à se conformer, dans son comportement, à celui d’une femme. Si la femme est en proie à certaines tensions du fait de certains décalages liés aux différents milieux qu’elle traverse, elle est mieux capable que l’homme de gérer les dits décalages tandis que l’homme a un plus fort besoin d’unité, laquelle est sensiblement menacée par l’aventure de l’émigration / immigration.

Jacques Halbronn
Paris, le 11 novembre 2003

Notes

1 Cf. cependant notre étude “Les juifs et l’immigration”, sur Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr. Retour

2 Cf. nos études sur Encyclopaedia Hermetica, rubrique Gallica. Retour

3 Cf. “la femme caméléon”, par exemple, sur E. H. Retour

4 Cf. notre étude “Eloges des automatismes”, in A. Rose, J. Halbronn, A. Kieser, Eloges de la souffrance, de l’erreur et du péché, Paris, Lierre & Coudrier, 1990. Retour

5 Cf. notre texte “l’arbre et l’oiseau”, sur E. H., rubrique Hypnologica. Retour

6 Cf. Patrick Weil. Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Grasset, 2002. Retour



 

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