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HYPNOLOGICA

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Les femmes et la communication molle

par Jacques Halbronn

    On parle de sciences dures et de sciences molles, il vaudrait mieux parler, selon nous, de communication dure et de communication molle, ce qui constituerait une sorte de socio-épistémologie. Sans une cité fonctionnant sur un certain registre, peut-il y avoir science ?

   Par communication molle, nous entendrons une écoute molle de l’autre, comme si ce qu’il disait ne le concernait que lui, que c’était son affaire, comme si sa prise de parole n’engageait que lui. Ce qui peut conduire et justifier une attention limitée voire une certaine indifférence et pourquoi pas une instrumentalisation du propos de l’autre. En fait, nous avons montré dans nos études de sociolinguistique1 que parler n’était pas comprendre; en fait, ce ne sont pas vraiment les mêmes fonctions qui sont en jeu dans ces deux actes. Parler est une affaire individuelle, où la personne utilise ses mots et traite de ce qu’elle sait alors que comprendre est un rapport au collectif qui exige de s’ouvrir à tout ce qui se passe autour de soi. La communication molle privilégie le parler, la communication dure le comprendre.

   Tout cela est évidemment présenté sous le jour le plus flatteur : on laisse l’autre s’exprimer, on ne lui coupe pas la parole, au moins. En fait, écouter l’autre, c’est, dans cette optique, d’abord le laisser s’exprimer, ce que permet l’écoute molle. Le truc, c’est de poser des questions sur ce qu’il n’a pas (encore) dit et non pas sur ce qu’il a dit et qui mériterait débat. C’est une communication primaire et non pas secondaire - au sens caractérologique du terme - comme l’est la communication dure.

   Les règles de la communication molle n’impliquent pas de réagir sur le fond du propos mais de rebondir sur un mot, par association d’idées. “Ce que tu me dit me fait penser à...”, “à propos...”, ce qui permet de montrer qu’on a bien écouté, puisque l’on peut répéter ou reprendre une formule utilisée par l’autre, quand bien même cela ne serait pas dans le même sens ou dans le même contexte. On est là en face d’une pseudo communication dure. Cet échec est lié au fait que les interlocuteurs ont du mal à développer leurs idées, ce qui ne donne pas prise à l’autre. Une idée qui ne parvient pas à se déployer, c’est comme un sexe qui n’arrive pas à l’érection et qui ne pourra donc pénétrer l’autre en laquelle l’autre ne pourra se reconnaître, qu’il ne tendra pas à s’approprier.

   En revanche, la communication dure couvre un champ sensiblement plus restreint mais permettant de conduire un certain travail de réflexion en commun, collégiale. La philosophie recouvre assez bien ce lieu de communication ouvert à tous les interlocuteurs non pas pour que chacun raconte sa vie mais pour converger vers une même problématique. Rappelons qu’autrefois, le terme “philosophie” avait une acception sensiblement plus large que de nos jours et recouvrait les matières scientifiques.

   En fait, les sciences molles sont tentées de se focaliser sur l’individu et non sur le groupe, et pas davantage sur la réalité objective, celle de la Nature. Or, la communication molle, elle aussi, est une affaire essentiellement individuelle, où chacun veut avant tout s’exprimer, à son tour, à tour de rôle, plutôt que communiquer pour faire avancer la réflexion commune, à moins que l’on ne considère les deux verbes - s’exprimer et communiquer - comme synonymes.

   Dans la communication dure, il n’y a pas de temps de parole égal pour tous, il est question de faire émerger in fine une parole dominante, qui s’impose, non sans débat ni combat. Sans écoute dure de l’autre, comment parviendrait-on à analyser ses arguments soit pour y adhérer soit pour les contester ? Ce qui fait probablement la force des sociétés masculines, c’est qu’elles font apparaître une élite, un fer de lance alors que les sociétés féminines sont égalitaire, donc molles et vouées à une certaine médiocrité.

   On nous accordera que la communication molle exige moins d’efforts que la communication dure et est accessible aux étrangers, aux enfants, en fait à tout un chacun; elle n’est pas élitiste, elle n’implique nullement un gagnant ou un perdant comme la communication dure, puisqu’il n’y a pas compétition, pas falsifiabilité. La devise de la communication dure : Que le meilleur gagne, l’emporte !

   La communication dure englobe en fait aussi bien le débat scientifique que le débat politique et l’on sait à quel point démocratie et progrès scientifique tendent à cohabiter. Une société accoutumée à la communication dure saura identifier, reconnaître ses meilleurs éléments, ses thèmes les plus porteurs dans tous les domaines, elle aura à sa tête ceux qui savent le mieux faire valoir leurs arguments ou ceux qui savent le mieux faciliter la convergence, le consensus alors que dans les société à communication molle, le pouvoir est beaucoup plus arbitraire et illégitime en ce qu’il y règne un certain cynisme; en fait, il est plus opaque et relève plus du hasard que de la nécessité.

   Autrement dit, une société a besoin de personnes sachant s’imposer dans un débat et elle en a besoin dans tous les domaines, faute de quoi elle ne saura pas exploiter ses ressources et mettre à sa tête ses éléments les plus féconds et surtout les plus fécondants, étant bien entendu que toute domination peut et doit être périodiquement remise ne question. Une telle société se doit de pratiquer la communication dure.

   Paradoxalement, les sociétés les moins bien gérées sont celles où les gens refusent l’affrontement et prônent un mode de communication “mou”, qui n’est pas assez efficient d’un point de vue darwinien lequel implique la survie des plus forts. On peut se demander si le retard pris par certaines sociétés considérées comme en retard ou en déclin n’est pas fonction d’une dialectique dur / mou.2 Le remède dans ce cas consisterait à durcir le débat, le rendre plus ouvert, plus dynamique. Il importe que chacun des membres de la dite société ait le sentiment de poursuivre le même intérêt commun en faisant émerger les meilleurs, ceux qui représenteront efficacement celle-ci.

   Il nous semble en effet souhaitable que toute société sache se polariser autour d’un message, d’un personnage dominants mais si personne ne parvient à s’imposer “naturellement” et si les critères du choix ne sont pas pertinents ou ne font pas l’objet d’un certain consensus, les énergies ne pourront que se disperser et l’on basculera dans la communication molle, marquée par une certaine impuissance, privée de tout véritable débat qui soit en prise avec un quelconque processus sélectif. La tête du corps social est alors totalement indépendante du dit corps social et les discussions et les échanges tournent à vide, on ne s’écoute plus que poliment et distraitement, si possible avec des temps de parole exactement répartis entre les interlocuteurs, ce qui ne permet guère aux meilleurs de s’imposer.

   La communication dure est celle de la loi du plus fort, elle passe par la joute (oratoire), par le combat. Sans “tournoi” comment détecter le meilleur ? En fait la communication dure est dans le qualitatif tandis que la molle est dans le quantitatif, c’est à dire qu’elle vise à la participation d’un maximum de personnes mais sur une base minimale. La communication molle, c’est un peu la philosophie du jardin d’enfants, il faut que personne ne reste en arrière, car il y a un bagage qui est le lot de chacun à acquérir. A la limite, il n’y a pas d’inconvénient à ce que l’on se copie, à ce que l’on imite, l’important étant de suivre. Mais passé ce stade imitatif, il convient d’accepter de s’initier à la communication dure, où il y a un gagnant et un perdant, un premier et un second. n’est-ce pas là l’expression d’une dualité, à la fois synchronique et diachronique, entre le masculin et le féminin ?

   La société française avait développé, notamment depuis le XVIIIe siècle, et ce bien avant la Révolution, un mode de communication dure, où l’affrontement des idées et des personnes est accepté et où il faut apprendre à s’exprimer et à convaincre : “ce qui se conçoit bien s’énonce clairement” et qui n’a pas de pitié pour ceux qui ne “font pas le poids” ; il semble cependant que cette tendance est en train de s’atténuer et que la communication molle marque des points, que les conversations sont de plus en plus insignifiantes et d’ordre purement factuel, truffé d’évidences et de lieux communs, ce qui conduit à favoriser une médiocrité générale. C’est le temps des copains. Au lieu de trancher, on cherche des compromis, ne parvenant qu’à des solutions bancales qui ne mènent nulle part, on accumule au lieu d’élaguer, on préfère la cohabitation à la sélection.

   Cette crise tient d’ailleurs au fait que personne ne parvenant à s’imposer, qu’on n’arrive pas à se départager, les gens finissent par penser qu’il n’y a pas de solution au problème, qu’il faut se contenter du statu quo quitte à prôner une alternance, une répartition du gâteau entre les principaux protagonistes. A la limite, on préférera tirer au sort que de procéder à des élections / sélections en bonne et due forme.

   Il y a aussi le fait que nombreux sont ceux qui entendent mal ce qui est dit et ne savent pas prendre la mesure de la qualité du propos tenu et qui, finalement restent indifférents, du fait d’un certain manque de sensibilité aux propos de l’autre, à l’argumentation développée; ceux là sont faiblement réceptifs et dissimulent cette carence en réagissant sur des aspects souvent secondaires de ce qu’ils ont pu entendre, passant à côté du vrai problème posé.

   La communication molle est faiblement interactive, elle bascule aisément vers la société de consommation, elle débouche sur une forme de passivité face au discours de l’autre - on préfère regarder la télévision que de discuter, aller au restaurant plutôt que de préparer à manger - l’autre n’est plus qu’un objet, un spectacle qui se déroule devant nos yeux et qui au mieux nous amuse, nous distrait3 alors que la communication dure implique de s’engager, de réagir, d’exister face à l’autre, de payer de sa personne, de préférer l’artisanal à l’industriel, d’essuyer les plâtres, de faire des expériences, de sortir des sentiers battus, pour qu’il puisse y avoir mouvement, émulation au collectif.

   La communication molle, c’est chacun pour soi, on n’entre pas en l’autre, tandis que la communication dure serait un pour tous et tous pour un car celui qui l’emporte a intégré ce qui était exprimé par ses concurrents et s’est positionné par rapport à eux. En fait, les hommes qui pratiquent la communication molle auraient des tendances homosexuelles.

   La communication molle tend à faire du surplace ; si un consensus s’établit, il risque fort de perdurer indéfiniment alors que la communication dure implique toujours une remise en question des positions acquises.

   Il est à craindre que les sociétés qui ne parviennent pas à dégager les éléments les plus dynamiques sont vouées à la décadence. En effet, un élément dynamique dynamise les autres dès lors qu’on le met en position de le faire, qu’on lui confie des responsabilités. Inversement, une société qui opère de mauvais choix s’affaiblit et se décrédibilise, ce qui conduit au départ, à l’émigration de ceux qui ne trouvent pas une situation à leur mesure.

   Il faut apprendre à se mesurer à l’autre et ne pas entrer dans un même moule comme des enfants singeant des adultes sans se rendre compte de la nécessité de la compétition, non pas celle qui s’inscrit dans un même moule, mais celle qui fait évoluer le moule et qui implique un dépassement, forge une avant garde, implique l’émergence d’une élite qui sorte du rang et qui prenne une certaine avance.4

   Il n’y aurait donc selon nous pas d’issue pour une société incapable de gérer la confrontation en vue de faire surgir et se révéler ses ressources humaines les plus prometteuses, de reconnaître ceux qui doivent la diriger, c’est à dire lui assigner une direction. La conception féminine tend vers un nivellement par le bas, la conception masculine vers un nivellement par le haut. On sait que les études dites littéraires, considérées comme relevant de la science molle sont très prisées des femmes et les études scientifiques, appartenant à la science dure, plutôt par les hommes mais en réalité c’est un cercle vicieux car la présence des femmes en force sur un certain créneau est un facteur de stagnation, dans le domaine des sciences humaines et des sciences sociales, pouvant conduire à un rejet du dit créneau, à terme, par les hommes.5 En fait, contrairement à ce que l’on veut croire, le clivage entre hommes et femmes aurait plutôt tendance à se creuser plutôt qu’à se résorber, c’est en fait dans la différence du mode de communication qu’il s’exacerbe. Tout ce qui concerne l’éducation, l’apprentissage des langues, de la lecture, de la morale, appartient à ce premier stade éducatif souvent laissé aux soins des femmes. Nous pensons que certaines sciences pourraient se “durcir”, si l’on modifiait la population qui gravite autour d’elles, si l’on en améliore le recrutement mais elles peuvent aussi s’amollir quand le processus sélectif est en dysfonctionnement, que le niveau de compétence des membres est de plus en plus faible, du fait d’exigences de plus en plus floues sur ce qui leur est demandé en termes de communication, du fait d’un déclin du sens critique, les membres étant de moins en moins disposés à ce qu’on les interpelle, à ce qu’on leur demande des comptes, des explications. En ce sens, paradoxalement, la communication molle serait fonction d’un certain durcissement de l’égo et la communication dure de son assouplissement. La communication dure implique en effet une expansion de l’égo, c’est le contraire d’une sclérose, et la communication molle sa rétraction, son repli, et finalement un certain raidissement. Raideur et dureté ne sont pas ici synonymes, pas plus que rigidité ne l’est de rigueur.

   La communication dure est de type collégial, choral, ceux qui n’ont pas su s’imposer rentrent dans le rang, un peu à la manière de ces spermatozoïdes qui n’ont pu féconder l’ovule. Les hommes marchent alors comme un seul homme derrière leur chef, ils font corps. En revanche, la communication molle ne produit pas de fusion et on ne risque pas de se laisser entraîner dans un dépassement de soi, on veut garder l’autre à distance, on ne le laisse pas interférer, s’ingérer, se substituer à nous, quitte à tomber dans la redondance qui n’est que répétition, juxtaposition. Or, il importe de s’emparer du discours de l’autre, de le faire nôtre, générant ainsi ipso facto un processus collectif qui n’appartient plus à personne et qui, en même temps, devient la chose de tous, la res publica. Dès lors que la communication dépasse le cadre de l’individu, le discours se décante et dès lors accède à une formulation qui à terme pourra être qualifiée de scientifique. On voit donc que la communication molle ne peut conduire qu’à de la science molle, entachée de subjectivité, marquée par ce regard qui perçoit sans entendre, par cette parole qui ne fait que répéter et se répéter, tandis que la communication dure débouche sur de la science dure, atteignant l’objectivité, c’est à dire dépassant la fascination pour le sujet, pour ce moi dont Blaise Pascal disait qu’il “était haïssable”, et ce en faveur d’un objet qui a décroché d’avec le sujet. A partir du moment où je dépossède l’autre de sa parole, que quelque part je l’instrumentalise, celle-ci peut, ainsi transcendée, devenir un lieu de focalisation pour un groupe, c’est ce qui explique que tout commentaire de texte, choisi arbitrairement, comme les Centuries de Nostradamus, peut accéder à l’universel.

   Celui qui apprend à se connaître, selon la devise platonicienne, prend conscience de ce qui le relie et le fait ressembler à l’autre: plus on approfondit sa propre psyché et sa propre pensée et moins on a l’illusion de son irréductibilité à celles de l’autre. La femme se connaît-elle elle-même, avons-nous demandé dans de précédentes études. Nous pensons qu’elle est étrangère à elle-même et qu’elle ne se perçoit qu’en surface, dans une idiosyncrasie trompeuse. La communication molle a du mal à relier les informations entre elles et ne peut donc conduire qu’au désordre. Autrement dit, pour en revenir à la devise du “Connais-toi toi-même”, il est clair que la connaissance et la maîtrise d’un sujet favorise singulièrement la qualité de la compréhension et de la communication et débouche sur une fécondation, sur un enfantement - pour reprendre l’image du coït - ce que par définition ne permet pas la communication molle où chacun reste à l’extérieur de l’autre; on est là dans une pyscho-épistémologie. Il est bien connu que paradoxalement plus on s’étudie, mentalement et intellectuellement et plus cela a à voir avec l’autre.

Jacques Halbronn
Paris, le 27 janvier 2003

Notes

1 Cf. rubrique Gallica, dans l’Encyclopaedia Hermetica, Site Ramkat.free.fr. Retour

2 Cf. Michael Loewy, Que s’est-il passé ? L’Islam, l’Occident et la modernité, Paris, Gallimard; 2002. Retour

3 Cf. notre étude sur “le regard de la femme”, sur E. H. Retour

4 Cf. notre étude sur la “féminisation du monde”, sur E. H., rubrique Hypnologica. Retour

5 Cf. nos études sur les femmes et l’astrologie, sur E. H. Retour



 

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