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HYPNOLOGICA

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Psychosociologie et Anthropologie de la sexuation

par Jacques Halbronn

    Quelles sont les raisons de la confusion qui règne dans la recherche autour de la sexuation ? Il semble que les modèles fassent défaut, qu’il n’y ait pas une vraie volonté de comprendre le système, de lui donner du sens. Le couple serait mort, on n’y croirait plus et l’on s’échine le plus souvent pour s’en convaincre à démonter les arguments apportés par les uns et les autres comme si dénoncer les erreurs suffisait à mettre en évidence l’inanité du problème posé. On pense à un autre débat, autour de l’idée de Dieu, et qui se réduit volontiers à relever la médiocre qualité des arguments. Bref, au lieu de produire un modèle qui rende compte d’un phénomène millénaire, la sexuation, on se contente de mener une guerilla, qui ne résout rien. Dans cette étude, nous essaierons d’apporter un nouvel éclairage pour cerner les véritables enjeux anthropologiques de la distinction mâle/femelle, alors que se tient à Paris un Séminaire sur ce thème au Collège de la Cité des Sciences. Successivement, nous aborderons la question sous l’angle psychosociologique et anthropologique.

Sommaire :

1 - Animus et anima chez l’homme et la femme
2 - Le féminin comme agent de mutation et d’évolution des espèces


1

Animus et anima chez l’homme et la femme

    Dans un ouvrage resté inédit - L’Utopie féministe. Essai sur la fonctionnalité - nous avions tenté, il y a quelques années, de nous servir de la formulation jungienne de l’animus et de l’anima en essayant d’expliciter ce qui pouvait être de l’ordre de l’anima en l’homme et de l’animus en la femme. Avec le recul, nous entendons ici, à la lumière de nos plus récentes réflexions1 revisiter et prolonger nos analyses de l’époque, qui recoupaient en partie celles de John Gray, l’auteur de la série Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus. Notre thèse s’articulait sur une dialectique de la parole et du sexe, mettant l’accent sur le fait que l’animus de l’homme se plaçait sur le plan du sexe et celui de la femme sur le plan de la parole et vice versa pour l’anima, en notant au passage que Gray n’avait abordé que la question de l’animus de la femme et de l’anima de l’homme.

   On admettra que la femme est condamnée à être relativement passive sur le plan sexuel, qu’elle dépend en tout cas fortement du désir de l’homme - désir dont au demeurant l’homme n’est pas nécessairement le maître. C’est ce désir qui est aussi une envie qui va et qui vient qui serait qualifié d’animus. Or, chez la femme, ne pourrait-on établir un parallèle entre ce qui vient d’être dit quant à l’animus masculin avec son désir de communiquer, de s’exprimer, de participer à la conversation et qui aurait quelque chose d’également assez compulsif ?

   L’anima en revanche ne se situerait pas sur le registre de l’envie mais de l’intégration, de la pénétration d’autrui acceptée. L’anima de la femme lui permettrait de se soumettre au désir physique, affectif, de l’homme et l’anima de l’homme lui permettrait de supporter le besoin périodique de la femme de se raconter, de faire des réflexions avec une certaine franchise.

   Cette disponibilité - anima du corps de la femme à l’égard d’autrui peut se manifester socialement et pas seulement dans le couple par le fait de suivre la mode, de conformer son aspect à un certain besoin qu’a la société d’imposer de nouvelles normes à toute une partie de la population. En revanche, chez l’homme, cette aptitude - anima à se conformer aux nouvelles consignes se situerait plutôt sur le plan intellectuel, du discours collectif. En d’autres termes, les hommes n’apprécient que médiocrement les effets de mode, qui leur imposeraient de modifier leur habillement, leur maquillage, leur coupe ou leur couleur de cheveux sans parler des canons de beauté qui peuvent peser sur leur alimentation, sur leur pratique du sport etc, tandis que les femmes résisteraient à l’emprise de la société sur le renouvellement des discours au nom de telle mode intellectuelle, sous la forme d’une sorte non pas de prêt à porter mais de prêt à penser.

   Une telle présentation des choses devrait aider à l’intercompréhension entre hommes et femmes. L’homme élucidera mieux le comportement d’une femme s’il transpose son comportement sexuel à lui sur son comportement mental, à elle. La femme sait qu’elle peut trouver du plaisir à être avec un homme dans un rapport physique mais encore faut-il que l’homme soit disposé à cela et qu’il ne soit pas bloqué pour quelque raison que ce soit. Autrement dit, cette quête du plaisir par l’homme chez la femme exige une certaine patience non seulement parce que lors de la relation, il faudra le laisser peu ou prou conduire les ébats mais aussi parce qu’elle devra attendre que l’homme soit en condition de passer à l’acte, c’est-à-dire ait envie de faire l’amour, comme l’on dit.

   Mais le processus n’est guère différent, sur un autre plan, dans les relations homme/femme, dès lors que l’on ne se cantonne pas au rapport sexuel. Nous avons, à plusieurs reprises, dans nos études, cru pouvoir observer que la femme donnait parfois l’impression de ne pas s’appartenir, c’est-à-dire de dépendre d’envies qui allaient et venaient, sans qu’elle semble en avoir la maîtrise, ce que nous venons de décrire comme caractérisant l’animus. Il y aurait, comme le dit John Gray, une impulsion chez la femme à partager avec son partenaire ce qu’elle a “sur le coeur” tout comme - ce qu’en revanche il ne précise pas - il y aurait chez l’homme une impulsion à fusionner physiquement avec sa partenaire. Gray conseille à l’homme de laisser sa femme “vider son sac” sans trop se formaliser ni dramatiser, en étant surtout à l’écoute et il semble que ce conseil soit calqué sur la façon dont laisser l’homme s’épancher sur un autre plan, plus animal.

   En fait, notre animus, tant celui de l’homme que de la femme offre un caractère plutôt asocial, il correspond à la dimension mal adaptable de notre moi, aux aspérités de notre personnalité, à l’inverse de notre anima qui nous rend relativement docile et malléable tant envers la société que de notre partenaire attitré.

   Un tel modèle permet notamment de comprendre que le conformisme de la femme reste en surface, on donne des gages de grégarité, de sociabilité, mais qui ne concernent que le physique, sous ses diverses acceptions; il ne faudrait pas s’y tromper, alors que par ailleurs la femme tient à son franc parler, ce qui parfois la dessert. A contrario, si les hommes ont une sexualité qui parfois fait problème et risque même de les mettre en porte à faux par rapport à la morale, en revanche, ils sont plus facilement aptes à se contraindre intellectuellement dans le respect de certains mots d’ordre, à accepter que tel propos ne soit plus de mise et qu’il faille en adopter un autre - on pense notamment aux ajustements requis dans le domaine de la science ou dans celui de la politique quand une nouvelle ligne de conduite est à l’honneur. L’anima qui est ici en oeuvre est fonction de phénomènes de renouvellement périodique que les hommes et les femmes assument d’une façon qui leur est spécifique et quelque part, on s’en doute, complémentaire.

   Il importe, en tout cas, de ne pas inverser les rôles: la femme doit renoncer à revendiquer ce qui relève de l’animus masculin et l’homme pour ce qui relève de l’animus féminin et vice versa pour l’anima. Or, ce n’est pas toujours le cas et chaque sexe peut être tenté de mordre, d’empiéter, sur le territoire de l’autre, ce qui peut être cause de frustrations plus ou moins pénibles avec les réactions et autres représailles qui peuvent en découler.

   C’est ainsi qu’un homme ne devra pas s’attendre à ce que sa compagne soit aussi réceptive intellectuellement qu’elle a pu l’être physiquement car précisément, le domaine n’est pas le même et ce que la femme acceptait de bonne grâce dans le registre de l’animus masculin, elle n’est plus vraiment disposée à le supporter dans le registre de l’animus féminin et vice versa. Il semble bien qu’il faille respecter un certain équilibre, ce qui n’est pas possible si l’anima de l’un ou de l’autre des partenaires n’est pas assez réceptif face à l’animus ou quand l’anima se comporte comme un animus, à contre temps.

   Les choses ne sont pas aussi simples qu’on pourrait le croire car la société a son mot à dire. Nous avons dit précédemment que l’animus faisait de la résistance et quelque part préserve notre individualité face à la pression sociale, ce qui n’est pas le cas de notre anima qui nous pousse à l’intégration. Par conséquent, l’animus n’est pas de tout repos et lui aussi provoque des résistances, voire des comportements répressifs, de par une certaine tendance à refuser de se plier à la norme en vigueur, étant bien entendu que l’animus de l’homme ne se manifeste pas comme celui de la femme.

   C’est ce qui confère son caractère paradoxal à la relation de couple. La femme sait pertinemment que son animus a un champ d’application restreint, tout comme l’homme en est conscient. Hors de ce champ, qui est celui de l’intimité, l’animus est en liberté surveillée et doit adopter un profil bas! Celui qui ne contrôle pas son animus en société saura-t-il vraiment profiter de sa vie privée ? Toujours est-il que le comportement des partenaires peut changer dès lors que la relation ne se situe plus franchement dans l’intimité et c’est alors que l’animus risque d’être quelque peu refoulé et brimé. Un partenaire pourra s’étonner du changement d’attitude de l’autre, quand on bascule de la sphère privée vers la sphère publique ; il y a des choses qui ne passeront plus, qu’on ne tolère plus quand on n’est pas en tête à tête ou quand on aborde un domaine plus professionnel. La dimension surmoïque se manifeste alors mais n’est-ce pas aussi une bonne chose d’aider l’autre à mieux gérer son animus hors du cocon de l’intimité ? C’est ainsi que la femme peut être tentée de réprimer l’animus de l’homme au nom des valeurs sociales - elle ne veut pas qu’on l’embrasse en public par exemple - et d’oublier que dans le cadre du couple les choses sont susceptibles de se passer différemment. Il y a un temps pour chaque chose. C’est à elle de réveiller son anima de façon à accueillir l’animus de son partenaire, elle doit changer de registre sinon elle sera perçue comme répressive, comme déprimante.

   Ce n’est probablement que peu à peu que les frontières se mettent en place entre ce qui relève de la vie du couple, en son intimité et ce qui relève des exigences de la société auxquelles par ailleurs il importe de se conformer. La question qui se pose est celle de l’interface entre ces différents plans dans la mesure où il peut arriver que le couple ne se situe plus vraiment dans le cadre du couple, par exemple quand il s’ouvre à des tiers sans parler des cas où il est confronté à un certain nombre d’actes exigés par la société et qui s’accommodent mal des caprices de l’animus de l’un ou de l’autre. Il y a des moments où la femme doit savoir tenir sa langue, doit assimiler ce qu’on lui dit et il y a des moments où l’homme doit renoncer à satisfaire son animus avec les autres femmes.

   On nous objectera peut-être que dans certaines de nos études, nous avions insisté sur le mimétisme féminin, sur l’aptitude des femmes à reproduire certains propos, à les répéter en diverses occasions2 mais nous disions que c’était là un simulacre pour dissimuler un refus, un rejet, en tout cas une réticence. Entendre l’autre ne consiste pas à le dupliquer littéralement, sans nécessairement comprendre, machinalement. Or, c’est souvent le maximum que l’on puisse attendre d’une femme face à la société dans le domaine mental où elle est doté d’un animus et non pas d’un anima, comme l’homme. On dira même que la répétition est plus un acte physique que proprement mental, vu que cela ne fait guère intervenir l’entendement. Or, cette façon de se conformer à des gestes, à une discipline de présence est plutôt pénible pour les hommes ; ils ont besoin d’une imprégnation plus forte dans leur vie socioprofessionnelle et ce du fait de leur anima. C’est que notre anima a également ses attentes; est en quête d’une certaine authenticité de la part d’autrui, de ce qu’il a à lui offrir. On a tous besoin de donner et de recevoir.

   Le couple, selon nous, est le moyen pour la femme de s’acclimater aux valeurs masculines et pour l’homme aux valeurs féminines. La femme, dans le couple, doit apprendre à négocier, à écouter, à trouver un terrain d’entente, à ne pas se figer dans le fait accompli, comme elle tend bien souvent à le faire par ailleurs tandis que l’homme, dans le couple, doit apprendre à aller au bout d’une décision, jusqu’à l’irréversible, à passer de l’alea à l’alea jacta est - franchissement du Rubicon - lui qui souvent se complaît dans le virtuel, dans le débat d’idées, qui est toujours prêt à reconsidérer ses analyses, qui envisage plusieurs cas de figure et craint de s’enfermer dans un choix définitif. C’est dire que la vie de couple peut aider l’homme et la femme à dépasser leurs limites respectives. La femme préfère être la première dans son petit domaine que de devoir partager le pouvoir tandis que l’homme souffre d’être marginalisé et d’en être réduit à ne plus avoir à s’occuper que de ses affaires. Or, grâce à son partenaire, une femme peut prendre goût au choc des arguments, acceptera de reconnaître, ne serait-ce que provisoirement, la supériorité d’un autre point de vue que le sien - que le meilleur gagne ! - et l’homme appréciera d’assumer les conséquences ultimes de ses choix, le respect de la parole donnée ; il y a là des différences d’échelle. La femme voit ainsi son verbe s’alléger, elle qui vit souvent des relations verticales, avec des gens qui ne sont pas ses égaux (enfants, patients, employés) et qui attendent des réponses claires et nettes, elle devra s’habituer au “nous” et non pas seulement au “toi” et au “moi” dans un rapport sujet-objet. L’homme va, au contraire, vivre dans une plus grande pesanteur, il n’est plus, au sein d’un couple, membre d’un ensemble, il doit être présent physiquement, sexuellement sans pouvoir déléguer, lui qui est dans l’horizontalité, entre pairs (collègues, copains, citoyens). Le plan physique est féminin, le plan moral est masculin, à chacun d’apprivoiser l’autre en le faisant participer généreusement et patiemment de son monde. Il reste que l’homme propose et la femme dispose; la femme apparaît comme la dernière instance, celle qui donne forme à la matière, qui décide de ce qui se fait et ne se fait pas alors que l’homme serait plutôt celui qui détermine ce qui se dit et ne se dit pas ; en ce sens, l’homme est Dieu, le Verbe, et la femme est l’humanité incarnée, elle est Jésus. L’homme est le gardien du Surmoi de la femme et la femme le gardien du Surmoi de l’homme. L’homme respecte plus l’esprit, la femme plus la lettre. Le couple est le lieu par excellence de l’apprentissage de l’autre et de la responsabilisation personnelle.

   Il y a donc un code d’éthique du couple à établir, une sorte de ballet, de chassé-croisé, une forme de courtoisie, de savoir vivre à respecter, où l’homme et la femme ont chacun leur rôle à jouer et qui passe par un échange de bons procédés, une sorte de troc - de monnaie d’échange - où ce que je donne n’est pas du même ordre que ce que je reçois.3 Mais l’enjeu reste basiquement le même pour les deux partenaires, échapper à la solitude, morale et intellectuelle chez la femme, physique et affective chez l’homme. Il nous semble que les hommes sont mieux préparés dans l’ensemble pour séduire les femmes que l’inverse : ils ont appris à faire l’amour en sorte que la femme y prenne un certain plaisir ; aux femmes de savoir ne pas monologuer quand elles sont avec un homme, comme un homme qui se masturberait, de savoir le toucher dans leur façon de communiquer. Une femme qui vit une vie de couple épanouissante est ouverte à la discussion, qui est nécessairement l’exposé de ses doutes - au sens cartésien du terme - elle est à l’écoute de l’autre, de ses arguments. On comprend ainsi que souvent les femmes puissent déclarer qu’elles sont très bien toutes seules mais à quel prix ? Au prix d’une communication étriquée, d’une difficulté à argumenter, d’une désespérance à convaincre et finalement d’un repli sur soi, sur ses positions, et donc d’une certaine marginalisation. La présence d’un homme dans la vie d’une femme est une garantie contre la sclérose du mental, de la réflexion voire de la conscience, à condition bien entendu qu’elle ne se ferme pas à son partenaire, et qu’elle ne cesse pas d’être irriguée par lui. C’est dire que selon nous, les femmes ont plus à gagner dans la réussite de leur couple que les hommes, puisque cela peut être un tremplin social précieux. Car, l’homme n’a pas besoin de parler avec une femme, il peut lui suffire de la regarder, c’est pourquoi dans certaines sociétés, les femmes sont voilées ; la ville, le quartier, les commerces de proximité, les voisins, le lieu de travail, les transports en commun, sont des lieux qui multiplient de telles occasions de contact n’exigeant aucune conversation élaborée. En fait, si la femme par le couple gagne en sophistication, l’homme a surtout besoin de simplicité ; leurs routes se croisent mais ils ne poursuivent pas les mêmes buts. Il est clair qu’un homme qui n’est pas capable d’une certaine exigence de qualité sur le plan intellectuel apportera peu à une femme, car il lui manquera les outils pour aider celle-ci à dépasser sa condition individuelle. Quant à la femme, elle doit aider l’homme à ne pas rester sur les cimes de la virtualité et à vivre une expérience à une échelle modeste, celle de la famille, du quotidien, de l’intimité, où “le roi est nu”. Situation quelque peu ambiguë où l’homme limite son horizon au moment même où la femme étend ses perspectives et dont il conviendra d’apprendre à gérer les contradictions et les tensions.

   Il faut se méfier des illusions de l’indexicalité qui conduit chacun à employer les mots à sa guise et à son niveau. Quand la femme parle de “communication”, elle entend l’expression au sens d’une information que l’on transmet, d’un “communiqué” de presse. En fait, un tel rapport à l’autre est gage d’une certaine solitude car il n’y a pas de véritable participation : “c’est mon opinion et je la partage”, dit-on ironiquement. Une telle affirmation de l’individualité est isolante. Quant à la solitude de l’homme, elle est d’un autre type, c’est celle du maître qui se fait remplacer par autrui et qui n’a pas de contact physique direct avec une certaine forme de réalité, en raison même de la diversité des applications qui le conduisent à n’en mener à terme aucune, contraint qu’il est de déléguer. L’homme descend en la femme et par la femme ; ses enfants sont ses descendants - Jésus se dit fils de Dieu - en français, la filiation fait songer au fil que l’on déroule - il descend comme une source, une semence, qui s’écoule dans le lit (vagin) du ruisseau tandis que la femme “monte”, elle remonte au travers de l’homme, vers les causes, les principes, c’est-à-dire ce qui est en premier, dépassant ainsi le stade des préoccupations individuelles. La femme est prise dans l’engrenage des choix existentiels, dans une réalité irréversible et contraignante alors que l’homme parvient davantage à préserver une certaine liberté de mouvement et de manoeuvre. L’homme est plus capable que la femme de faire comme si de rien n’était, c’est-à-dire de relativiser ce qui s’est passé en comparaison de ce qui aurait pu ou du se passer, de prendre de la hauteur de s’élever - que faut-il entendre par quelqu’un de bien élevé ? - par rapport au poids des contingences dans lesquelles nous tendons à nous enfermer, bref de repenser, de regarder autrement le monde, de le décanter, de le ramener à ses virtualités. Faute de quoi, la femme risque de jouer indéfiniment le même disque rayé; c’est à l’homme à aider la femme à “changer de disque”, pour pouvoir s’adapter à de nouvelles situations/missions. Et c’est cela que la femme doit attendre de l’homme, tout en sachant, par ailleurs, que cette faculté de survoler le monde sans s’y incarner pleinement - c’est ce qui oppose le judaïsme au christianisme4 - fait songer à un Prométhée éternellement supplicié car ne pouvant décider de sa mort, perpétuellement remise à plus tard.

   Il nous apparaît que la femme tende à faire passer un certain vécu avant le maintien du système ; peu lui importe de désarticuler, de saboter tout un fonctionnement sociétal dès lors que l’on s’occupe du problème auquel elle est directement confrontée, sensible. En ce sens, il nous semble que la femme soit attirée par les solutions extrémistes de gauche ou de droite, des “il n’y a qu’à” plus ou moins irresponsables. On comprend mieux en ce sens le phénomène du Front National, lequel selon nous, serait l’expression d’une féminisation de la société, un parti qui serait en phase avec un certain type d’argumentation qui part d’une réalité certes très concrète, voire dramatique mais ne concernant qu’un aspect particulier de la société pour aboutir à des formulations insupportables au niveau du bon fonctionnement de la dite société, conduisant à un nivellement par le bas ou par le haut. La France devient d’ailleurs ingérable en raison de revendications corporatistes, lesquelles peuvent conduire à des grèves déclenchées par un petit groupe de gens aux dépens de l’ensemble de la société. Le sens de l’Etat se perd, chacun confond son intérêt particulier avec l’intérêt général. Il faut laisser la parole aux femmes pour s’apercevoir à quel point elles ont peu le sens de la chose publique; leur prise de parole relève complètement de l’animus, c’est un cri du coeur resté à l’état sauvage. La femme confond d’ailleurs l’attitude qu’il faut avoir envers de jeunes enfants et celle que l’on doit avoir envers des populations en mal d’intégration ou en crise ; ce qui vaut pour les uns ne vaut pas nécessairement pour les autres. La femme n’est-elle pas dans un rapport conflictuel avec la société, obnubilée par son moi et ce qui est perçu, enregistré par celui-ci, ce qui limite sérieusement son adaptation - un moi qui notamment a des “envies” qui pèsent plus lourd que tout le reste du monde, un moi qui est de fait le centre du monde.5

   Que l’on soit dans les hautes sphères ou impliqué au niveau des réalités les plus primaires, il y a risque de solitude et sentiment d’incompréhension. Le couple, à des degrés divers, serait donc la rencontre de deux solitudes - à condition que chacun en ait conscience et ne soit pas dans le déni de son état - conférant au dit couple sa raison d’être, encore que ces solitudes soient masquées par le fait qu’elles sont le corollaire d’une certaine sociabilité, ce qui permet aux intéressés de nier leur solitude - de jouer sur les mots selon un système de défense et de brouillage bien rodé - ce qui conduit à des discours maniaco-dépressifs du genre tout va très bien ou tout va très mal, selon les humeurs et le point de vue d’où l’on se place. Les gens ne sont pas “seuls” dans l’absolu, ils sont dans une certaine solitude, toujours relative. On peut se sentir seul dans la foule, on peut se sentir seul en voyant cent clients par jour.

   En tout état de cause, si le couple ne transforme pas les partenaires, ne met pas fin à leurs limitations, il ne sert de rien, ce qui nous conduit à penser que l’expérience est d’autant plus intéressante qu’elle constitue un défi pour au moins l’un des partenaires, ce qui exclut une certaine facilité. Un couple qui dure est celui qui aura connu des recommencements, où l’homme a su revenir à l’essentiel et balayer les scories comme on nettoie ses vêtements sales ; de temps à autre, il faut faire une grande lessive et prendre des habits neufs ou en tout bien repassés, alors qu’ils étaient froissés, sans avoir nécessairement à changer de partenaire. C’est quand la femme refuse cette révolution, ce renouveau ou quand l’homme ne parvient pas à la faire évoluer, à l’empêcher de ressasser indéfiniment certains événements, que le couple sera en échec et ne pourra plus aller de l’avant. Savoir revenir à ce qui fonde le couple et ne pas en rester aux inévitables incidents de parcours, remédier à une certaine usure, telle est la clef de sa durée. Le paradoxe, c’est que la femme a peur de ce qui peut arriver car elle craint de ne pas avoir la force mentale de s’en dégager tandis que l’homme est d’autant plus disposé à aller le plus loin possible qu’il sait qu’il saura toujours trouver moyen de se renouveler et de se libérer. Le problème de nos jours tient probablement au fait que les hommes sont trop responsables et se comportent comme des femmes. Or, ce qu’on leur demande- même si cela peut sembler cynique - est de se donner d’autant plus à fond qu’ils savent qu’ils pourront s’en sortir d’une façon ou d’une autre. Car, en s’abandonnant pleinement à ce qui s’offre à eux, ils donnent à la femme la chance de pouvoir les garder, quand bien même au départ seraient-ils de mauvaise foi, étant trop intelligents pour se laisser prendre aux illusions de la fatalité et du destin.

   La dialectique animus/anima telle que nous l’avons redéfinie n’est pas sans rapport, probablement, avec une problématique psychosomatique, associant le psychisme au corps dont nous avons montré l’interaction et correspondant à deux modes de communication indissociables.6 On nous demandera d’où vient un tel modèle, quelle en est la raison d’être : nous sommes là dans le champ de l’anthropologie du couple. Entendons ainsi qu’un tel modèle fut à l’origine délibérément constitué et appliqué alors qu’à présent nous nous contentons d’en respecter au mieux les règles du jeu sans guère pouvoir les changer. Le couple, paradoxalement, nous apparaît comme le meilleur moyen de dépasser sa condition d’homme ou de femme. Or, la crise actuelle du couple ne saurait nous rendre très optimiste quant à l’éventualité d’un tel dépassement au niveau sociétal. On veut fondre les genres et en fait on les sépare, brûlant ainsi les étapes car l’intégration ne peut que se faire que par la coexistence rapprochée et prolongée. On a le même problème avec l’immigration: ce n’est pas par l’apartheid voulu ou subi que l’on favorise l’intégration.7 En fait, tout se passe comme si c’est alors que l’on a perdu certaines clefs de l’intégration sociale que l’on prétend que les problèmes dans ce domaine ne se posent même pas/plus et que celle-ci est en quelque sorte automatique, se contentant du voeu pieux et de la méthode Coué. Ce n’est en tout cas pas l’abus de télévision8 qui contribuera à “masculiniser” les populations puisque, apparemment, c’est le modèle masculin qui est revendiqué par tout le monde, ce qui évite de s’interroger sur les caractéristiques du modèle féminin, sous étudié et sous investi et en même temps de plus en plus prégnant, en pratique, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. Ainsi, notre société est-elle de plus en plus schizophrène : elle affirme la fin des différences et en même temps elle les creuse, l’égalité étant de plus en plus de l’ordre du fantasme identitaire, l’appartenance devenant une affaire individuelle, n’impliquant pas une véritable interaction, ce qui implique de repenser les notions de (pseudo) intégration à un niveau de plus en plus minimal et superficiel - bien souvent plus passive qu’active : on regarde, on consomme avec les autres alors qu’au niveau de l’expression, les décalages restent marqués. Nous vivons dans une société où la fausse monnaie chasse la bonne, où l’on change d’identité ou de vote (secret) comme de chemise, où le comportement marginal, de celui qui vit par procuration, tend à devenir majoritaire.

   En conclusion, il importe que dans le couple, chacun ait appris à être à l’écoute des besoins et des demandes de l’autre, tant sur le plan physique que mental. Une femme qui voudrait et ne pourrait fonctionner avec son partenaire que sur l’un de ces plans ne serait pas épanouie. A la femme d’apprendre à l’homme à mettre son animus au service de son plaisir physique et il faudrait plutôt dire aux femmes d’apprendre aux hommes dans la mesure où l’on arrive dans le couple avec une expérience acquise auprès d’autres personnes. Aux hommes d’apprendre aux femmes à mettre leur animus au service de leur plaisir intellectuel, que la façon dont une femme s’exprime ne soit pas une épreuve pénible pour son partenaire pas plus qu’elle ne saurait l’être- on l’a dit - pour la femme face au désir d’épanchement physique de l’homme. Tout comme il y a des hommes qui ne savent pas faire l’amour, il y a des femmes qui ne savent pas faire la conversation, qui y sont par trop maladroites et brusques et qui, disons-le, n’ont pas été à bonne école. On voit que la question du couple est fonction de tout ce que la vie nous a appris quant à notre rapport à l’autre et qu’elle exige un certain savoir faire et un certain savoir vivre. En ce sens, il n’est pas nécessaire pour un homme de coucher avec une femme pour déterminer si elle a la bonne attitude mentale à son égard, s’il prend plaisir ou non à s’entretenir avec elle, ce qui n’est pas le cas pour une femme qui va devoir découvrir comment un homme se comporte au lit, avant de savoir si la relation sera épanouissante ou en tout cas supportable, si l’animus de l’homme est suffisamment raffiné et délicat. Faute de quoi, les relations Homme / femme ne peuvent être que celles d’amis ou d’amants et en cela déséquilibrées et bancales. Souvent, il faut s’en faire une raison, ce que nous avons enseigné à notre partenaire lui servira lors de nouvelles rencontres ; tout couple ne serait alors que la résultante de toutes les expériences relationnelles vécues jusqu’à sa formation. Encore une fois, ne confondons pas les genres: lorsque l’homme fait l’amour à une femme, il n’accomplit pas un acte citoyen - sauf de façon très ponctuelle, deux ou trois fois dans sa vie, ce qui est proportionnellement négligeable: faire l’amour doit être avant tout un plaisir, un jeu pour l’homme tout en sachant que pour la femme, il y a d’autres enjeux plus lourds autour du sexe, et notamment le risque que la femme puisse tomber enceinte, faire une fausse couche, mettre sa vie en péril ou en tout cas sa santé. De même, quand une femme discute avec un homme, cela doit rester de l’ordre du divertissement. Elle ne doit pas trop se prendre au sérieux, elle doit “entrer” dans la pensée de l’homme comme lui entre dans son corps et non l’inverse, et ce avec une certaine délicatesse. Apparemment, cette aptitude de la femme à savoir de bien ou mal traiter, de se comporter de façon plaisante avec son partenaire varie sensiblement selon les cultures. Il y a un Kama Soutra de la conversation comme il en est du sexe. En ce sens, nous ne suivrons pas John Gray quand il conseille aux hommes de prendre leur mal en patience et de laisser les femmes se masturber mentalement en leur présence; le XXIe siècle doit exiger des femmes occidentales qu’elles soient mieux en phase qu’elles ne le sont généralement. Si le XXe siècle a appris aux hommes à respecter le plaisir de la femme tout en assouvissant le leur, il est peut-être temps que le nouveau siècle enseigne aux femmes à faire de même, dans la manifestation de leurs propres pulsions verbales au sein du couple. L’homme a appris à maîtriser son désir physique, la femme reste trop souvent dans la compulsivité verbale, qui certes parfois comporte une certaine part de sincérité et de franchise mais qui ne prend pas en compte la réaction, la sensibilité de l’autre. Gray se contente de conseiller aux hommes de supporter un moment difficile comme autrefois on disait aux femmes de penser à autre chose quand on leur faisait l’amour. Les femmes ont un certain retard à rattraper, le tact étant le pendant du toucher (tactile).

   Si l’intervention féminine est trop pesante, si elle est inutilement conflictuelle, cela perd de son charme, la femme doit trouver le ton juste pour que la discussion reste agréable - ce qui ne l’empêche pas d’être excitante et motivante - il y a un juste milieu à trouver - en sachant que pour l’homme, il y a d’autres enjeux, plus sérieux et qu’il ne peut pas avoir la même décontraction qu’elle, à moins de basculer dans la schizophrénie. Le couple est certes un espace d’intimité mais il est aussi en prise avec le monde extérieur qu’on ne saurait oublier. L’’animus a donc ici une fonction distrayante - au sens de Pascal - et quelque peu irresponsable, il permet la détente, il doit soulager l’autre du poids de ses engagements en tournant la vie en dérision, il transmute le travail - au sens étymologique du terme- en plaisir. L’animus est un bouffon et vivre son animus, c’est être le fou du roi.

   Le premier volet de cette étude nous aura fourni des éléments de réflexion qu’il nous faut désormais prolonger et mettre en perspective, à une toute autre échelle, qui ne se réduit pas, cette fois, au distinguo à l’échelle par trop limitée de l’Humanité mais à celle du Vivant.

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Le féminin comme agent de mutation
et d’évolution des espèces

    Le Collège de la Cité des Sciences tient d’avril à juin 2004 un séminaire intitulé “Masculin/féminin. La Loi du genre”, placé sous la direction d’une femme, Françoise Héritier. Quelles réflexions nous inspirent la première séance du dit séminaire ?

   D’entrée de jeu, Françoise Héritier, professeur honoraire au Collège de France, nous explique que selon elle, les hommes ont voulu donner du sens au monde qui les entourait et bien entendu à cette constante qu’était la sexuation, sur laquelle ils auraient greffé toute une série de dualités. Et il est vrai que l’homme s’est largement construit en instrumentalisant son environnement. Ce que nous explique pas cependant F. Héritier, c’est le pourquoi de cette sexuation.

   F. Héritier insiste à juste titre sur le fait que les choses auraient pu se passer autrement. Mais est-ce à dire que les choses puissent changer à l’avenir alors que l’on sait que de nos jours il n’y a pas/plus de transmission des caractères acquis comme celle-ci a pu exister dans le passé. Car visiblement, F. Héritier est concernée par l’avenir de la femme, elle salue certaines avancées quant à l’égalité, et pas seulement par son passé, ce qui est aussi quelque peu un mélange des genres et tend à brouiller son image d’anthropologue, matinée d’idéologie féministe.

   En réalité, F. Héritier ne fait ainsi qu’illustrer la vocation des femmes à la déviance et c’est d’ailleurs la dite vocation qui explique leur position subalterne, celle, en quelque sorte, d’anges déchus. Qu’entendons-nous ici par déviance ? Disons d’entrée de jeu, que la déviance est un phénomène normal, inévitable, propre à la vie. Le passage de l’essence à l’existence ne saurait échapper à la déviance car toute expression/manifestation n’est-elle pas déviance, dérive, dérivation ? L’existence dérive de l’essence, elle conduit l’être à se montrer sous un jour qui ne saurait être le sien, qui n’est au plus qu’un visage parmi des milliers et donc ne peut être qu’un miroir déformant.

   La guerre des sexes existe même si l’on en a oublié les enjeux et qu’on ne sait plus très bien de quoi il convient de se méfier chez les femmes. Elle consiste, pour les femmes, à faire sortir le monde de ses gonds, à le déboussoler, à lui faire peu à peu perdre ou renoncer à ses repères.

   Au vrai, la femme n’a pas le choix, sa tâche étant d’appliquer les principes à un monde complexe; il faut bien que les dits principes s’adaptent et cela ne se fera qu’au prix d’une certaine déviance, en raison du hiatus existant entre l’essence et l’existence, entre la théorie et la pratique, certains philosophes n’ayant pas résisté à la tentation de refuser de reconnaître ce qui les séparait radicalement et adoptant une forme de monisme. Cf. notre étude sur Encyclopaedia Hermetica, “animus et anima chez l’homme et la femme”

   Cette aptitude à accommoder les principes aux “faits”, non sans recourir à quelque solution de continuité, rend la femme dangereuse, en fait une paria. Non pas que sa tâche ne soit utile mais elle n’en est pas moins quelque part détestable, compromettante, et attise une certaine mauvaise conscience.

   L’homme comme la femme sont dans le dépassement, à ce détail près que l’homme cherche à dépasser les pesanteurs et les ambiguïtés du réel pour remonter vers les paradigmes alors que la femme s’efforce de dépasser l’essence pour échapper à l’indécision. La femme aime que des décisions soient prises, quel que soit le prix ontologique à payer : l’étymologie de la décision, c’est la chute (latin, cadere).

   En ce sens, la femme est bien Eve la tentatrice de la Genèse, celle qui veut dévoyer l’homme, le faire sortir de sa route. Rien n’est plus jubilatoire pour une femme que de faire en sorte que les choses ne se déroulent pas comme prévu ; nous dirons qu’elle se complaît dans le sabotage des structures, dans une sorte de déraillement ontologique. On ne saurait donc s’étonner que cela passe par le déni de sa propre différence, le désir de montrer que les choses peuvent changer, bouger et ce non point de façon cyclique mais linéaire : ce qui était n’est plus, ne reviendra plus, dit-elle.

   C’est dire que le débat sur le masculin et le féminin est biaisé d’entrée de jeu dans la mesure où pour la femme, il s’agit précisément, en s’appuyant sur quelques particularités, quelques exceptions, d’affirmer que l’on aurait tort de distinguer sur le plan moral, intellectuel, social, politique, l’homme de la femme. Or, quand on passe de la théorie à la pratique, il y a toujours des surprises, des artefacts, des cas particuliers, des anomalies, des coïncidences, des rencontres, des monstruosités, que l’on peut être tenté de monter en épingle, tant le réel est décalé parfois par rapport à ce qu’il est d’une façon générale.

   Le second exposé de cette première séance s’intitulait “Du mâle comme parasite”, il fut donné par le biologiste Pierre-Henri Gouyon, ce qui était l’occasion de s’interroger sur le rôle du masculin et pas seulement pour l’espèce humaine. Il semble que l’on n’ait pas compris que le mâle conduit la femelle à se vider d’une partie d’elle-même, de façon à ce qu’elle échappe à la sclérose, pratiquant une sorte de purge. Que cette purge, cette vidange, puissent être qualifiées de parasitaires est révélateur d’une certaine dérive. Par cette purge, on allège le processus d’incarnation, de concrétisation, on provoque une remontée.

   A quel jeu joue la femme ? A détourner le virtuel - signalons cette similitude avec l’adjectif viril -, à le déniaiser, à le déflorer pour qu’il n’y ait plus de résistance au niveau de l’application, qu’on puisse avoir les mains libres.

   Combien d’hommes n’ont pas été amenés à renoncer à leurs principes en rencontrant des femmes ? Qu’ils aient pu éprouver à l’occasion un certain sentiment de liberté est fort probable. Il y a de la liberté à échapper à sa programmation, à ses appartenances originelles comme il y en à échapper aux pièges et aux mirages de l’existentialité. On voit que chacun peut employer les mots à sa guise, dans des sens radicalement opposés.

   Quand un homme quitte une femme, la répudie, il reprend, comme on dit, sa liberté, renoue avec ses racines, ses potentialités alors que la femme n’affirme sa liberté que dans la formation du couple et ce d’autant plus que le couple en question est atypique et hors normes, improbable. Une union qui ne comporterait pas sa part d’inattendu et d’invraisemblable ne contribuerait pas à la déviance du monde. A chaque femme, en effet, revient de provoquer ce que nous avons appelé un déraillement ontologique ; ce n’est qu’à ce prix là que la vision féminine du monde parviendra à s’imposer. Il nous semble donc que la multiplication des divorces ne soit nullement une victoire pour les femmes dans la mesure où cela signifie que les hommes ne sont plus disposés à s’enfermer dans une réalité existentielle dont la femme serait la garante. La relation homme-femme tend à se réduire à la seule procréation qui correspond à une tâche essentielle. La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas Fils, dont Verdi a fait l’opéra la Traviata, celle qui est sortie de la voie (via) ou les Dames du Bois de Boulogne, film de Robert Bresson, illustrent ces alliances fatales, passant par un certain reniement de l’homme.

   Notre propos n’est nullement ici de contester la légitimité du rôle imparti à la femme. Les hommes, en effet, ne sauraient rester indéfiniment dans l’essence et pour cela il faut bien certains accommodements, certaines trahisons. La femme a la lourde charge de ce genre d’opérations. On comprendra qu’on ne saurait en tout état de cause partager le pouvoir avec elle et a fortiori lui abandonner le pouvoir, ni se laisser entraîner, dévoyer, tel Ulysse, par le chant des sirènes. Qu’en outre, il soit bon que de temps à autre, l’homme flatté dans son libre-arbitre, s’accorde le droit d’échapper aux lois, aux normes et que la femme l’encourage à montrer que l’amour est plus fort que tout, nul ne saurait en douter : il y a là une sorte d’ivresse, d’ubris (ébriété). On commence par un rapport sexuel qui respecte tout à fait la normalité des choses et de fil en aiguille on se lance dans des perspectives beaucoup plus hasardeuses qui risquent de faire perdre à l’homme ses appartenances, le conduisant à un certain déracinement, ce qui est le cas de nombre de mariages “mixtes”.

   Etonnant dialogue/échange entre l’homme et la femme où l’homme tend à aider la femme à prendre du champ par rapport à son passé existentiel, à briser le glacis dans lequel elle est prisonnière et où la femme est amenée à couper l’homme de ses racines, de son essence, de sa virtualité, le poussant ainsi à s’engager de façon créatrice.

   Il y a probablement trop d’hommes dans notre société. Les femmes devraient être les plus nombreuses, un seul homme pouvant féconder un très grand nombre de femmes, la femme étant limitée par la durée de la grossesse mais est-ce bien là le critère à considérer ? Rappelons, en passant, que nous vivons sous le régime de la démocratie qui donne le pouvoir au plus grand nombre, ce qui tend à maintenir le nombre d’hommes au plus haut niveau, dès lors que depuis 1944, en France, le vote a été accordé aux femmes. On connaît en Israël les préoccupations démographiques des Juifs, liées à des considérations démocratiques. Nous pensons, pour notre part, que le pouvoir doit être celui d’une minorité comme ce fut longtemps le cas avec la noblesse et le clergé, sous un régime monarchique. Il importe que le XXIe siècle invente un nouveau mode d’organisation sociale que le suffrage universel. Les guerres ont permis de réduire la population masculine mais cette perte a été délibérément compensée, après la Première Guerre Mondiale, par une politique d’immigration ou de colonisation conduisant à terme à une immigration.

   Pour en revenir à ce que nous disions au début de cette étude, nous ne pensons pas, à la différence de F. Héritier, que la sexuation soit une sorte de constante qui aurait été imposée aux hommes sans très bien qu’ils sachent pourquoi et à laquelle ils auraient attribué une signification qui n’était pas sienne. Nous pensons, tout au contraire, que la sexuation est fondée sur un certain besoin de complémentarité où il s’agit à la fois de maintenir des repères fixes, en se protégeant contre les pesanteurs du réel et à la fois de se ménager une certaine liberté de manoeuvre face à une certaine rigidité des structures. Il est impératif que cette division du travail soit maintenue. Toute idée de dépassement d’un tel clivage conduirait soit à une trop grande emprise du virtuel, largement marquée par les médias - qui expriment une tonalité masculine, ce qui va encore une fois à l’encontre de la thèse d’une progression du féminin - ou au contraire à un mélange dommageable des genres, générateur à terme de décadence et dont l’astrologie moderne est l’exemple le plus remarquable d’un pseudo-savoir, d’une dissolution des modèles au profit de représentations alambiquées et inconsistantes de par un refus de la dialectique entre le général masculin et le particulier féminin.

   Avec la femme, on est plus dans le reconnaître que dans le connaître, le principal étant de ne pas confondre A avec B. Si je sais distinguer les hommes des femmes, tout est bien, cela suffit. Je n’ai pas à savoir ce qu’est le bleu ou le jaune mais simplement à identifier telle couleur par rapport à telle autre, par tel détail plus ou moins déterminant. Pour les femmes, il n’y a pas risque de confusion entre le masculin et le féminin dès lorsqu’on ne confond pas l’homme et la femme. Tant que l’on sait les reconnaître, il n’y a pas péril en la demeure, quand bien même le contenu aurait changé du tout au tout ou qu’il serait grosso modo le même. Ainsi, les hommes sont des hommes, et les femmes sont des femmes, ce qui suffit à gérer les rapports sexuels fondés sur des combinatoires impliquant une complémentarité organique : on ne va pas plus loin, comme l’a bien expliqué P. H. Gouyon, à propos des plantes. De là à dire que tout le reste est sans importance.

   En apparence, la dialectique contenant/contenu ressemble à celle qui concerne essence et existence. Dans les deux cas, il y a un pole fixe: contenant et essence et un pole aléatoire contenu et existence. Mais l’essence ne saurait se réduire à un contenant, elle entretient un lien organique avec l’existence, ce qui n’est pas le cas du rapport du contenant au contenu. Une bouteille n’a matériellement qu’un rapport très vague avec les liquides qu’on y met. En ce sens, la femme n’est pas simplement un contenant pour l’enfant, puisque l’on retrouve chez l’un des éléments de l’autre et en ce sens la procréation ne nous apparaît pas comme un acte spécifiquement féminin. Cela dit, on n’assigne pas n’importe quel contenu à n’importe quel contenant mais dès lors que l’on sait quel contenu convient à tel contenant, ou vice versa, on ne va pas chercher plus loin, c’est le principal.

   Mais justement, quel est le contenu auquel convient la femme et qui n’est ni de même nature que le contenant mais qui n’est pas non plus tout à fait n’importe quoi ? Il est étrange, avouons-le, que le plus souvent on ait bien du mal à répondre à une telle question, en dehors précisément de ce mauvais exemple de l’enfant qui n’appartient pas à ce cas de figure et qui relève plus du rapport essence/existence. Mais ne s’agit-il pas au fond, du point de vue de la femme, de n’importe quel contenu du moment qu’il est contenu, ce qui est une approche empirique du problème : du moment que ça rentre, ça le (se) fait, ça va.

   Incontestablement, il y a un contenu qui convient à la femme, c’est la parole. On n’a jamais pu prouver que la femme ne pouvait pas lire un texte, prononcer une phrase, qu’elle en comprenne ou non le sens étant une autre affaire. Mais cette parole, elle peut aussi bien être “contenue”, véhiculée, par l’homme, ce n’est pas cela, apparemment, qui les distingue. Mais si le contenu est indifférent, est-ce que ce n’est pas le seul contenant qui importe ? Celui qui parle, parle de ce qui le concerne, le contenant dès lors nous renseignerait sur le sens du contenu. Est-ce pourtant que la musique figurant sur une cassette me renseigne sur la “nature” de celle-ci ? Guère, puisque cette musique peut changer, on peut en effet en enregistrer une autre sur la même cassette. Mais peut-on maintenir cette comparaison entre la femme et la cassette ?9 Et pourquoi cela ne vaudrait pas également pour les hommes, en quoi ce qu’ils font et disent serait-il plus lié à ce qu’ils sont que pour les femmes ? Il nous semble en tout cas que la femme s’identifie - dans tous les sens du terme- à et par ce qu’elle dit et cela vaut aussi bien, à ses yeux, en tant qu’appartenant à l’ensemble femmes qu’en tant qu’individu. Autrement dit, si une femme dit quelque chose, cela devient ipso facto du féminin et vice versa pour l’homme. Cette parole n’est-elle pas d’ailleurs l’expression d’un vécu, de quelque chose qui nous arrive, qui nous est arrivé, ne comporte-t-elle donc pas une dimension existentielle, qui n’en fait pas un simple contenu, et si le contenu change n’est-ce pas, tout simplement, parce que la vie change ?

   Et cependant, le monde tourne, en dépit de ce distinguo jugé insupportable entre l’homme et la femme quand il ne concerne pas le processus de fécondation. Certains diront qu’il pourrait tourner mieux si on laissait les femmes faire. Il n’empêche que l’on n’en sait rien. Et comment les choses se passent-elles dans notre monde qui ne tourne pas si mal que ça ? Tout se passe comme si la parole féminine importait moins, était moins valorisée que la parole masculine. Non pas certes que chaque homme, pris en particulier, soit l’expression du génie masculin mais que le génie émane plus volontiers de l’ensemble des hommes que de celui des femmes, c’est un fait statistique qui dépasse les cas individuels aussi brillants ou aussi décevants seraient-ils.

   Parler de l’individu est une approche chère aux femmes car l’individu, c’est un peu n’importe quoi, et on le distingue par tel ou tel détail, telle particularité extérieure, plus que par l’analyse de ce qu’il dit ou de ce qu’il fait et qui ne lui serait pas propre. Pour les femmes, nous sommes tous des individus, reconnaissables et donc quelque part égaux dès lors que nous disposons sensiblement des mêmes facultés basiques. Nous sommes donc tous logés à la même enseigne et pourtant, comme on dit, il y en a qui sont plus égaux que d’autres.

   Il nous semble que la femme se situe dans le champ existentiel et dans celui du contenu, dont on a dit à quel point ils étaient aléatoires et dans un rapport somme toute assez vague avec le champ essentiel et celui du contenant. Qui contesterait qu’il y ait un hiatus entre ces dimensions et que pour le gérer, il faille qu’une espèce se coupe en deux, en quelque sorte, pour se perpétuer et se maintenir ? Cela dit, il est possible que les mutations puissent être le fait des femmes, lesquelles par les expériences et les mélanges qu’elles tentent, peuvent conduire à des modifications intéressantes, de temps à autre. La femme déviante, n’ayant qu’un lien fragile avec l’humanité, perméable à tout ce qui se passe, serait en ce sens une mutante, elle essuierait les plâtres de la monstruosité, elle serait dans l’expérimentation sur elle-même à moins qu’elle ne soit sujet d’expérience. En ce sens, on pourrait dire qu’elle est l’avenir de l’homme, notamment au niveau de la biotechnologie. Ainsi, en conclusion, les femmes seraient-elles créatrices de par ce qu’elles font d’elles-mêmes, par ce qu’elles deviennent, elles constitueraient une sorte de laboratoire de l’humain, où défileraient les combinatoires les plus étranges et les moins viables. D’où la présence des femmes à la pointe du changement en ce qui concerne le destin de l’Humanité. Les deux derniers siècles auront permis ainsi d’expérimenter de nouvelles formules mais apparemment sans grand succès mais il ne faut pas désespérer. Il n’en reste pas moins que la femme représente, sous cet angle, l’aventure - c’est un être foncièrement aventureux et qui pourrait sans trop de scrupule, conduire l’humanité à la catastrophe si on lui laissait la bride sur le cou. La femme a vocation à être dans la rupture, dans le décalage, dans le hiatus, dans les mélanges contre nature et il nous semble que nous touchons là une des clefs du féminin et pas seulement en ce qui concerne l’Humanité, à savoir son rôle dans la mutation et l’évolution des espèces bien plus qu’à leur maintien. Mais alors que l’humanité masculine est marquée par la vie et la réussite, l’humanité féminine est surtout marquée par l’échec, par des créations mort nées et stériles. Car si les créations de l’homme sont généralement assimilables, intégrables, celles de la femme sont le plus souvent à mettre à la poubelle de l’évolution. Comment dès lors s’étonner que la femme soit insatisfaite par rapport aux progrès de l’Humanité dès lors qu’elle n’y participe pas? En effet, pour elle, le seul progrès qui compte, c’est de faire apparaître une Humanité nouvelle, mutante, ce que nous pourrions appeler une humanité expérimentale, s’essayant à divers métissages, hybridations, alliages/alliances; son fantasme, c’est d’accoucher d’un être radicalement différent, doté de pouvoirs inconnus des hommes, comme on a pu le voir récemment dans certains films de science fiction. Préférant inventer que découvrir, préférant s’inventer que se découvrir, ce qui intéresse la femme, ce n’est pas que l’Humanité fabrique des avions mais que son corps lui permette de voler, quitte à se croiser avec des oiseaux ou avec des dieux voire avec des machines10, on songe au sphinx tétramorphique. Ce n’est d’ailleurs pas tant la femme qui est mutante qu’éventuellement sa progéniture mais la femme - et plus largement la femelle - pourrait être le moteur, le siège de la mutation, de l’évolution des espèces. D’ailleurs, la femme, telle qu’elle est - et jusqu’à nouvel ordre - ne porte-t-elle pas, en son propre corps, son “outil de travail” alors que les hommes fabriquent des outils qu’ils peuvent prendre et laisser, à l’exception toutefois notable de leur “appareil” génital, ce qui nous fait dire qu’en faisant l’amour, l’homme entre dans un processus féminin, se féminise. C’est probablement pourquoi les femmes accordent une certaine importance à l’entretien de leur corps et, par projection du corps de l’autre, et qu’elles sont plus centrées sur elles-mêmes, d’où l’angoisse et le traumatisme de la ménopause qui implique un certain décentrage. Le développement de la technologie pourrait être perçu comme une menace, comme un contournement du féminin. Rappelons, a contrario, le personnage du mentat dans le roman de Frank Herbert, Dune, sorte d’ordinateur humain, ne recourant pas à une machine externe mais devenant lui-même machine.

   Voilà donc le modèle que nous proposons à la réflexion de nos contemporains. Certes, l’enfantement pour la femme est-il déterminant mais il ne l’est pas en vue d’une simple reproduction de ce qui existe déjà, mais en vue d’une alchimie qui jusqu’à présent n’a pas donné grand chose, c’est une autre voie qui s’ouvrait à l’Humanité et qui semble avoir avorté, dont les vestiges sont peut-être tous ces monstres des diverses mythologies, grecque, égyptienne, aztèque et autres. Mais il n’est pas impossible que le Troisième Millénaire ne soit le théâtre d’une revanche de ce qui a pu sembler une impasse, et ce qui expliquerait une perte de pouvoir du parti féminin et une soumission au parti masculin, avec deux conceptions très différentes du progrès ; mais avec la biotechnologie, la maîtrise des codes génétiques, peut-être l’autre voie prendra-t-elle sa revanche, conduisant d’ailleurs à une certaine forme d’eugénisme, par la sélection des individus doués de nouveaux pouvoirs et l’élimination, éventuellement, de ceux qui ne correspondent pas à un progrès. La voie masculine, quant à elle, consiste à instrumentaliser l’environnement, quitte à créer des liens très forts avec celui-ci mais il s’agit là plutôt du plan minéral - on pense aux astres - aux Eléments (Feu, Terre, Air, Eau) alors que la voie féminine passerait avant tout par les liens avec le vivant, l’animal, avec lequel un processus génératif peut s’enclencher. La femme serait l’interface entre l’homme et l’animal non humain. La mise en place de liens nouveaux, sous une forme ou sous une autre, est, en tout état de cause, un vecteur crucial de mutation et l’on peut d’ailleurs se demander si la création de l’Homme, au sens de la Genèse, ne serait pas plutôt le récit d’une mutation plutôt qu’un processus ex nihilo. Il est possible que l’humanité telle que nous la connaissons soit le résultat d’un certain croisement entre deux types de créatures par le truchement de cet athanor - fourneau alchimique - qu’est l’utérus de la femme.

   Au travers de ce modèle, nous sommes mieux à même de comprendre le comportement de la femme - est ce que cela tient au cerveau droit et au cerveau gauche et est-ce que la femme se comprend elle-même ? - qui consiste à relier ce qui est séparé et ce qui, a priori, n’a rien à voir et que nous avons qualifié d’expérimental, marqué par un certain tâtonnement. Le problème, c’est que nous ne sommes pas certains que tout cela soit encore d’actualité et que l’Humanité puisse progresser en empruntant une telle voie génétique, comme elle a pu le faire par le passé, lorsque les caractères acquis pouvaient se transmettre. Il semble que la capacité de l’Humanité à se transformer de l’intérieur soit tout de même très limitée. S’il en était ainsi, la femme témoignerait d’une humanité archaïque, encore vouée à la mutation et dont une certaine littérature fantastique entretiendrait la nostalgie sans parler de la ferveur des femmes pour l’astrologie - science que l’on qualifierait ici de féminine11 - pourrait être due au souvenir d’une contribution féminine à la mutation humaine, mutation au demeurant contestée par la science “masculine”. Du développement de la recherche génétique dépendra, selon nous, largement le destin et le sort de la femme au XXIe siècle, l’homme, en tout état de cause, s’efforçant avant tout de maintenir l’Humanité à l’abri de certains égarements et ne voulant plus jouer les apprentis sorciers. La présence d’un être motivé - la femme - à faire naître, émerger des phénomènes inédits, inouïs, dans l’histoire à venir de l’Humanité, n’est pas nécessairement rassurante.

   Le récent film de Marc Lévin, Brooklyn Babylon campe de façon significative les amours d’une jeune juive américaine avec un noir éthiopien et finissant par avoir un enfant de lui. On a là un exemple de transgression exogamique à un niveau individuel. On peut supposer que le principe d’origine de cette transgression sexuelle devait consister à observer le résultat de telles amours et si le fruit semblait intéressant, alors on demandait à des centaines de femmes de subir le même sort et ce éventuellement avec un seul et même étalon masculin. Est-ce que les femmes aujourd’hui sont prêtes à jouer ce rôle expérimental qui va bien au delà du seul fait d’enfanter ; il y a là une dimension scientifique qui dépasse largement la représentation actuelle de l’acte de procréation. Il est remarquable que le rôle de la femme dans l’évolution de l’espèce ne soit à aucun moment abordé ni même envisagé comme hypothèse dans le récent ouvrage de P. H. Gouyon, J. P. Henry et J. Arnould, Les Avatars du gène. La théorie néodarwinienne de l’évolution (Paris, Belin, 1997), à propos de la dialectique fixité/évolution. Insistons sur le fait que les problémes d’immigration ne sont pas non plus abordés au travers de la femme.12 La véritable justification de l’immigrés était littéralement liée à un apport de sang neuf dans une perspective eugénique, cela impliquait des croisements avec des femmes indigènes et pas simplement une assimilation langagière ; la femme est un laboratoire, un cobaye, ayant vocation à tenter toutes sortes de croisements, sinon il y a sclérose dès lors que son rôle se contente de perpétuer l’espèce telle qu’elle est. En ce sens, paradoxalement, on peut reprocher aux femmes de trop entrer dans une logique masculine de fixation de l’espèce. Cela fait dire aux auteurs des Avatars que “l’espèce humaine (..) N’offre au biologiste qu’un piètre matériel d’études en particulier parce qu’il est impossible de pratiquer des croisements expérimentaux et dirigés.” (p. 79) On peut certes expérimenter en laboratoire avec la fécondation in vitro mais les femmes nous semblent sous employés en la matière ; psychologiquement, la femme reste, nous l’avons dit, un être ayant des pulsions de déviance, ce qui tend à la marginaliser ; cet aspect n’est nullement pris en considération par Françoise Héritier dans Masculin/Féminin II. Dissoudre la hiérarchie, (Paris, Odile Jacob, 2003). Pourtant, en tant que population ouverte vers la nouveauté, vers le dépassement incessant de la norme, on conçoit que la femme ne puisse être considérée comme un être fiable, stable - c’est le revers de la médaille. D’ailleurs, les congés de maternité qui rappellent cette fonction dérangeante ancestrale continuent à comporter une certaine charge symbolique.

   Reproduisons ici quelques lignes de la prose de F. Héritier :

   “Si la fécondité est le lieu central de la domination du mâle, il s’ensuit que la prise par les femmes du contrôle de leur propre fécondité revient pour elles à sortir du lieu de la domination.” (p. 248)

   Nous pensons bien au contraire que c’est en assumant mieux et autrement ce rôle qui n’est certainement pas de reproduction à l’identique mais d’invention, dans tous les sens du terme, que la femme retrouvera un statut à part entière.

   “Mais cela ne veut pas dire même si ce rapport existe de toute éternité dans le passé qu’il le restera de toute éternité dans l’avenir si les conditions dont dépend sa mise en place ne sont plus les mêmes.” (p.. 128)

   Une telle déclaration est assez caractéristique de l’inconscient collectif féminin, en ce qu’elle exprime assez ingénument cette idée de changement qui effectivement nous apparaît comme un moteur essentiel du féminin, bien au delà de la seule femme (femelle de l’homme). Mais nous ferons remarquer qu’il n’est pas certain que l’humanité soit encore capable de modifier sa programmation comme elle a su le faire par le passé et d’ailleurs, cette impuissance n’est-elle pas justement due au fait que les femmes n’ont plus joué leur rôle dans l’évolution de l’espèce ? Qu’arrive-t-il, demanderons-nous, quand une population ne bénéficie plus d’un bagage génétique qui lui soit propre ou que celui-ci soit s’est stérilisé, soit ne peut plus s’appliquer ? Elle en est réduite à se situer au niveau de l’acquisition du bagage que la société veut bien lui donner et ce faisant elle n’est plus héritière, elle ne bénéficie plus de dons (innés) particuliers, ce qui constitue un très lourd handicap qui risque, à terme, de lui être fatal si l’on admet que le struggle for life n’est pas achevé. Comme l’expliquent les auteurs des Avatars du gène (cf. supra), la surpopulation a pour finalité la sélection. C’est tout de même un paradoxe que de voir les femmes se démarquer du processus de fécondation qui, selon nous, constitua leur mission historique majeure pour désormais ne plus croire qu’aux bienfaits de l’éducation et de la formation. Il ne s’agit pas, en effet, pour les femmes de devenir des hommes mais de faire en sorte que l’Humanité continue à progresser et à se dépasser biologiquement et génétiquement; le mimétisme n’est nullement dans le génie des femmes. Comment une telle démission, en effet, n’aurait-elle pas eu d’effet sur la condition de la femme ? Le grand problème, en ce début de troisième millénaire, c’est que nous avons des populations qui ne savent pas à quoi elles servent fondamentalement et dont on ne sait pas à quoi elles servent. Il y a bel et bien un problème de mode d’emploi perdu ! Il faudrait créer une discipline qui aurait pour objet de redécouvrir ces modes d’emploi. Curieusement, nous avons rencontré une même désinvolture dans la détermination du mode d’emploi, à propos du regard porté par nos contemporains sur Nostradamus13 comme s’il s’agissait d’une sorte de virus s’étendant aux domaines les plus divers. La question juive également est largement une affaire de mode d’emploi.14 Seules les machines, pour l’heure, semblent encore ne pas avoir perdu leur mode d’emploi, encore que l’art du XXe siècle ait souvent tenté de le faire oublier. Proposons en attendant de recourir au sigle SMEC (sans mode d’emploi connu) - ce qui fait quelque peu songer à OVNI (Objet volant non identifié, en anglais UFO, Unidentified flying object) pour désigner tout objet dont on ignore peu ou prou le champ des applications.

   Le modèle anthropologique que nous proposons ici consistant à associer la femme à la théorie darwinienne ou néo-darwinienne, vient compléter un précédent modèle que nous avions formulé il y a une vingtaine d’années15 et qui visait à expliquer comment certaines pratiques culturelles conscientes pouvaient progressivement se transmettre génétiquement. (modèle connu sous le nom de Müller-Halbronn) et qui avait l’avantage de ne plus situer l’astrologie comme relevant d’une influence astrale subie mais au contraire instrumentalisée. En associant nos deux modèles, on comprend mieux comment tel type d’être humain a pu se répandre à l’ensemble de la planète du fait de la fonction féminine de croisement et pas seulement de simple reproduction et par là même16 on peut observer que les notions d’intégration et de brassage ne sont plus actuellement perçues prioritairement comme passant par les mariages mixtes et l’exogamie mais se réduisent à des problématiques de culture individuelle, avec maintien d’un certain cloisonnement familial et tribal, qui tend à fixer/figer les différences. On voit mieux ce qu’il y a de catastrophique dans la démission et la dévalorisation de la fonction procréatrice et innovatrice des femmes.

Jacques Halbronn
Paris, le 30 avril 2004

Notes

1 Parues dans l’Encyclopaedia Hermetica rubrique Hypnologica et sur le Site Hommes-et-faits. Retour

2 Cf. “La crise du langage. L’aveugle et le paralytique”, sur Encyclopaedia Hermetica. Retour

3 Cf. la dialectique animus / anima. Retour

4 Cf. notre étude sur ce sujet, sur E. H. Retour

5 Cf. notre étude “la femme s’appartient-elle ?”, rubrique Hypnologica, Encyclopaedia Hermetica. Retour

6 Cf. A. Ancelin Schutzenberger & G. Devroede, Ces enfants malades de leurs parents, Paris, Payot, 2003. Retour

7 Cf. nos études sur ce sujet et notamment concernant les musulmans en France. Retour

8 Cf. S. Clerget, Ils n’ont d’yeux que pour elle. Les enfants et la télé, Paris, Fayard, 2002. Retour

9 Cf. nos études sur Encyclopaedia Hermetica, rubrique Hypnologica. Retour

10 Cf. les films Immortel (Ad Vitam) d’Enki Bilal, Matrix, X Files, Rosemary’s Baby de Roman Polanski etc. Retour

11 Cf. nos études sur Encyclopaedia Hermetica, rubrique Hypnologica. Retour

12 Cf. nos travaux sur ce sujet, rubrique Judaica et Hypnologica, sur Encyclopaedia Hermetica. Retour

13 Cf. nos études sur Espace Nostradamus. Retour

14 Cf. nos travaux, sur Encyclopaedia Hermetica, rubrique Judaica. Retour

15 Cf. “La pensée astrologique”, in S. Hutin et J. Halbronn, Histoire de l’astrologie, Paris, Artefact, 1986 et S. Fuzeau-Braesch, Astrologie : la preuve par deux, Paris, R. Laffont, 1992, pp. 157 et seq. Retour

16 Cf. nos travaux sur les problèmes d’immigration. Retour



 

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