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Pour une anthropologie de la phobie |
Quel rapport les sciences sociales doivent-elles entretenir avec la modernité ? Il nous semble que cette modernité fasse problème et ce à deux niveaux: d’une part, celui de la modernité scientifique, de l’autre à celui de la modernité des savoirs, c’est à dire quant à ce que les divers savoirs existants sont devenus, ici et maintenant.
En d’autres termes, même si dans l’absolu la Science peut et doit être rétroactive, rétrospective, étant entendu que ce qu’on observe aujourd’hui vaut aussi globalement pour hier, nous pensons que les sciences sociales n’ont guère à tenir compte d’un tel aggiornamento, d’une telle mise à jour. D’où l’importance de l’Histoire des Sciences pour les dites sciences sociales.
Car ce qui intéresse les sciences sociales, c’est avant tout ce que les hommes ont cru et non pas ce qu’ils auraient du savoir, de notre point de vue actuel. Ce qui importe, à notre sens, c’est le niveau de connaissance dont telle société disposait à telle époque et par rapport auquel elle s’est articulée, organisée.
Comment retrouver ce niveau constitutif, fondateur ? Nous proposerons de prendre pour repère ce que nous, encore de nos jours, nous percevons spontanément. C’est ainsi que même si nous savons que la Terre tourne autour du soleil, l’impression inverse peut encore tout à fait prévaloir, à savoir le sentiment que c’est l’univers qui tourne autour de la Terre, centre du monde.
Au fond, nous intéressent, au regard des sciences sociales, les apparences, lesquelles ne bougent guère et non les choses en soi et dont la connaissance est susceptible d’évoluer. Au niveau socio-cosmique, nous importe ce que les Anciens savaient ou percevaient du ciel, des planètes, des étoiles et cela ne saurait interférer avec ce que nous en savons de nos jours ; il ne s’agit pas de corriger les fautes de nos ancêtres mais bien plutôt de les assumer.
Il existe une seconde voie tout aussi stérile que celle que nous venons de décrire, c’est celle qui se fierait aux traditions supposées nous parler du passé mais qui sont fortement vouées à subir des évolutions, des interpolations. Là encore, ce qui nous intéresse, c’est ce qui était et non pas ce que l’on en dit. C’est ainsi que pour les études nostradamiques, ce qui nous occupe, ce n’est pas ce que les Centuries ont fini par être mais bien ce qu’elles étaient en leur commencement, sous leur forme initiale qu’il n’est certes pas aisé de restituer. Nous nous méfions, d’une façon générale - on l’aura compris - des représentations actuelles du passé, sous quelque forme que cela soit, dès lors qu’elles sont empreintes de naïveté et qu’elles ne se soucient pas d’anachronisme.
C’est pourtant la conjonction de l’approche scientifique et du discours traditionnel qui peut contribuer à fournir une réponse. Prenons le cas de ce qu’on appelle le genre par opposition au sexe ; autrefois, on parlait de sexe social. Nous avons d’une part la perception que telle personne est un homme, telle autre une femme et d’autre part nous véhiculons un discours plus ou moins élaboré sur ce que c’est qu’être un homme ou une femme. On se heurte alors au cas des homosexuels, lesquels ne correspondent pas à la relation établie traditionnellement entre ces deux niveaux cognitifs : les faits et leur interprétation supposée. Il y aurait là un hiatus, un chaînon manquant où pourraient se situer les sciences sociales.1
L’explication qui pourrait, en effet, être proposée au phénomène de l’homosexualité voire de la transexualité, serait la suivante : il existerait un niveau de conscience supplémentaire, greffé sur les réalités de l’observation et qui impliquerait un certain arbitraire, un certain code. Ainsi, chez certaines personnes, le code ne correspondrait pas au substrat normal, à savoir que le sexe et le genre ne coïncideraient pas. Prenons un autre exemple, celui des Juifs. En général, les Juifs savent qu’ils sont... Juifs. Mais est-ce à dire, pour autant, que tous les supposés Juifs, ceux qui naissent de parents juifs, le soient et que parmi ceux qui ne sont pas supposés l’être il n’en est qui le soient tout de même ? Les choses ne sont jamais simples.
Comme nous l’avons exposé en de précédentes études (sur Encyclopaedia Hermetica), le fait que nous en sachions plus de nos jours sur les hommes et les femmes, d’un point de vue biologique, ne nous autorise nullement à repenser le discours social sur les hommes et les femmes, dans la mesure où ce discours ne faisait qu’instrumentaliser un certain ordre - apparent - des choses. Comme dans le cas des homosexuels ou des Juifs, nous serions en présence de structures mentales autonomes par rapport à une quelconque réalité scientifique en soi tout comme d’ailleurs par rapport à des définitions aussi vénérables soient-elles et qui prétendent nous révéler les codes ainsi mis en place.
Autrement dit, l’on ne passe pas si aisément du signifiant au signifié. Pour les sciences sociales, le signifié de la femme importe peu ou du moins ce qui importe, c’est le signifié social, c’est à dire ce qu’elle est supposée être du point de vue du système social. Il n’est nullement question ici d’affirmer que l’on fait fi de la réalité apparente car c’est par rapport à elle que l’assignation peut s’ancrer dans la durée, ce qui ne serait pas le cas s’il s’agissait de pures conventions, à l’échelle individuelle ou d’une génération. Dans le cas de l’astrologie2 pour ceux qui, comme nous, lui accordent un certain intérêt, l’interprétation, la signification, associées à tel astre exigent que cette attribution s’articule sur une perception des astres, tels qu’ils apparaissent, sinon tels qu’ils sont en soi.
Autrement dit, la perception du support matériel de la signification est incontournable. C’est en cela que les homosexuels font problème, pas tant pour eux-mêmes que pour ceux qui les côtoient et qui réagissent à eux selon leur identité corporelle partant du principe que celle-ci coïncide automatiquement avec leur identité sociale.
Mais répétons-le, cette coïncidence n’est pas assurée, car il s’agit bien de coordonner deux plans, celui des sciences dures et celui des sciences dites molles dont les objets, en tout état de cause, ne sauraient se réduire à ce que les sciences dures en disent.
Il nous semble nécessaire, ce faisant, d’aborder la problématique de l’attirance et du rejet car c’est probablement au travers de ces phobies qui affectent notre rapport à certaines populations repérables que nous pourrions appréhender des clivages très anciens et très signifiants.
Cela ne veut pas dire pour autant que ce qui est dit sur les Juifs ou sur les femmes doive nécessairement être pris pour argent comptant car là aussi il peut y avoir eu décrochage, découplage. C’est ainsi qu’une chose est le sentiment, la pulsion de rejet, une autre la justification qui en est proposée et ce n’est pas parce que les arguments fournis sont irrecevables que le tropisme, lui-même, ne serait point fondé, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Il convient pour l’anthropologue de prendre acte, avec la plus grande attention et vigilance, des processus sociaux impliquant des attitudes radicales positives ou négatives tout en considérant les discours, les mythes, comme la trace d’une certaine vérité sociale, d’une herméneutique sociale, dont il ne suffit pas de faire la critique, au nom de la Science et qui recoupe peu ou prou le champ de la Tradition (orale ou écrite), d’une certaine littérature, se situant à un autre niveau que les deux autres plans décrits, lequel plan ne coïncide pas non plus systématiquement avec celui des sciences sociales, alors qu’il peut s’ajuster assez bien sur celui des apparences physiques.
En résumé, les sciences sociales ne peuvent ni s’appuyer sur les sciences dures dans leur manifestation la plus récente mais sur une certaine phénoménologie de la perception du monde au quotidien, qui suffit à activer nos programmations. Ce qui fait problème n’est pas la méconnaissance de ce qu’est l’objet en soi mais la non perception ou l’absence, la disparition, l’éclipse de l’objet, ce n’est pas le devenir possible de l’objet mais son être là qui compte. En ce sens, le regard que je jette sur la femme, en tant qu’homme, ne varie pas vraiment d’une société à une autre, d’une époque à une autre, si ce n’est en raison d’interdits, d’interférences, tels que l’inceste ou telle ou telle coutume.
Sous le terme de culture, il ne faudrait donc pas confondre la conception structuraliste qui pose un regard filtrant sur la nature et les pratiques coutumières qui introduisent diverses variantes et variations lesquelles peuvent aller ou tenter d’aller à l’encontre des réalités structurelles profondes. On pourrait dire que la conception structuraliste se situe entre une infrastructure correspondant à la réalité sous-jacente dont la science dure rend compte et une superstructure correspondant à des normes sociétales posées consciemment.
Or, il semble bien que ce plan structurel soit constamment menacé par les deux autres plans qui cherchent à l’annexer, à le récupérer, à exercer leur empire sur lui. En effet, dans notre monde actuel, nous avons d’une part des religions, des morales et de l’autre des savoirs scientifiques. Or, les sciences sociales se situent dans un ailleurs.
L’intellectuel, le moral et le sensible
Un champ particulièrement caractéristique est celui de la sexuation, lequel relève de trois plans distincts :
1 - le plan biologique, génétique
2 - le plan religieux, juridique
3 - le plan social, subconscient.
Dans nos rapports sexués, nous sentons qu’il existe ces trois dimensions : nous savons ce que la biologie nous dit sur la sexuation; nous savons ce qui est dit sur les hommes et les femmes, au niveau d’une certaine sagesse populaire, de certains préjugés, du Surmoi et puis nous accédons également à une autre conscience quelque peu décalée, ce qui peut fort bien conduire - et presque inévitablement - à une certaine schizophrénie. On a pu le voir avec le débat sur la parité en politique : chassez le naturel, dit-on, il revient au galop. Mais ici ce qu’on appelle naturel est en fait une seconde nature, et c’est cette seconde nature qui concerne le structuralisme.
En fait, le plan structural, au sens où nous l’avons défini plus haut, nous apparaît lorsqu’il y a conflit, décalage entre plusieurs pulsions, intellectuelle (je sais ce qu’il en est), morale (je sais ce qui se fait) et structurelle (je sais ce que je ressens). On pourrait ainsi qualifier ce plan de sensible en le distinguant du plan intellectuel et du plan moral. C’est ce ressenti qui, selon nous, nous introduit dans le champ des sciences sociales. Le paradoxe, c’est que ce ressenti est une affaire avant tout individuelle, qui ne renvoie à aucun savoir externe, ce qui nous renvoie à Descartes et au sujet. Mais en même temps, cette expérience individuelle est le fait d’un bagage collectif, ce qui implique une forme d’hérédité, de transmission d’un processus d’auto-structuration des sociétés humaines et préhumaines. Le structuralisme n’est pas simplement une méthode, il présuppose un processus préalable de structuration opéré par les sociétés sur elles-mêmes. Nous ne savons pas si Claude Lévi-Strauss a employé dans son travail - nous ne l’avons pas trouvé en tout cas dans l’ouvrage de Denis Bertholet, qui lui est consacré (Plon, 2003) - le concept d’instrumentalisation, qui nous semble cependant crucial pour cerner et légitimer le structuralisme. En effet, le fait d’instrumentaliser signifie bien, pour nous, une attitude qui passe avant tout par une volonté de se servir d’un objet sans se préoccuper de sa réalité intrinsèque en dehors de sa repérabilité, sa faculté signalisante. C’est cette signalibilité qui désigne l’objet comme viable pour un processus structurant ou plutôt autostructurant. En ce sens, ce n’est pas en étudiant l’objet en lui-même que je saurai s’il a été instrumentalisé, mais bien dans ses relations avec d’autres objets formant réseau avec lui, d’où l’importance, pour nous, des emprunts, des influences, des mimétismes. Certes, si un objet a été sculpté, peint, je saurai qu’il a servi aux hommes. En revanche, si l’objet est resté hors du champ d’action immédiat des hommes, comme c’est le cas des astres, il ne porte évidemment pas de trace de son instrumentalisation, sauf dans le cas des voyages dans l’espace, relevant d’une haute technologie qui n’entre guère dans notre créneau. Il serait ainsi terriblement limitatif de se cantonner aux objets travaillés par les hommes et bien plus important, nous semble-t-il, de s’attacher à des objets qui, dans l’Antiquité, échappaient à ses interventions mais pas à ses instrumentalisations, lesquelles laissent les objets intacts, du moins en apparence, ce qui est notamment le cas du corps humain. Comment savoir ce qui a été instrumentalisé dans le passé lointain de l’Humanité ? On peut certes s’appuyer sur une mémoire, sur des mythes et l’on peut se demander, d’ailleurs, si la fonction première du mythe, cher à Lévi-Strauss, n’est pas de nous éveiller aux instrumentalisations opérées par les hommes sur leur environnement, sans que celui-ci, répétons-le, ait été autrement affecté par cette transcendance, cette transfiguration. Le rejet de l’astrologie par les sciences sociales témoigne du chemin qui reste à parcourir. Il est clair que si les astres avaient été non pas seulement nommés mais transformés par les hommes, on accorderait davantage d’importance à ce champ. Le fait, a contrario, que l’on en soit encore à nier l’influence astrale en s’appuyant sur les seules vertus observables des astres et non sur la signification qui leur a été assignée par les hommes, montre que le structuralisme lévi-straussien n’a pas su fournir les modèles appropriés et se voit débordé et parasité par un discours scientiste. On devrait en dire autant de toute la mythologie constituée autour des Juifs et qui reflète vraisemblablement certaines structures profondes de nos sociétés.
Mais il semble que l’anthropologie structurale ait mal résisté aux sirènes d’un ajustement illusoire à la modernité scientifique et ait mal assumé son nécessaire archaïsme. C’est ainsi qu’une François Héritier, qui succéda à Lévi-Strauss s’appuie sur les nouvelles découvertes scientifiques, en génétique, pour proposer de repenser le rapport masculin/féminin comme si les sciences sociales, en insistant sur le fait que ce rapport s’était établi initialement sur certaines apparences, certaines erreurs, comme s’il fallait le repenser à la lumière de nouvelles connaissances alors qu’il s’agit d’en découvrir la signification profonde. Or, selon nous, le progrès des sciences sociales ne passe absolument pas par une amélioration de la connaissance de l’objet instrumentalisé mais par une amélioration du rapport de l’individu à lui-même à ce qu’il éprouve en profondeur, par la résorption du décalage entre ce qu’il éprouve et les discours en vigueur qui l’aliènent. En ce sens, l’anthropologue doit payer de sa personne, dans la mesure où il est en lui-même un terrain d’exploration, en tant que porteur de tout un héritage qui ne peut que se manifester en lui, étant entendu que chaque anthropologue est marqué par certains mythes plutôt que par d’autres, en précisant que le rejet de l’autre est probablement une donnée majeure de l’anthropologie, d’où la nécessité de fonder une anthropologie de la phobie : misogynie, judéophobie, xénophobie, tant il est vrai que nous fonctionnons en termes d’attirance et de rejet. Il importe de dédiaboliser les phobies sociales en ce qu’elles sont le révélateurs d’une certaine organisation profonde des sociétés (d’où l’importance de nos études sur les diverses phobies, sur Encyclopaedia Hermetica, rubriques Hypnologica et Judaica); il nous faut en revanche leur conférer une signification positive, s’inscrivant dans le fonctionnement normal des dites sociétés. La thèse d’Elizabeth Teissier s’inscrivait bien en ce sens dans le champ des sciences sociales par son sous-titre fascination et rejet.3 En effet, qui dit instrumentalisation d’un objet implique un rapport dialectique avec celui-ci, de présence et d’absence, qui dit dualité sociale, dans le temps et dans l’espace, implique un changement, un revirement, un refoulement, conduisant à brûler ce qu’on avait adoré - ce qui implique une certaine structure sociale du Temps pour résoudre ces changements d’attitude - générant des tensions, des contradictions qui sont au coeur même de la dynamique sociale.
L’épistémologie des sciences sociales est singuliêre ; on a vu qu’elle ne saurait en aucune façon s’ajuster sur celle de la science moderne encore qu’il y ait historiquement un point d’intersection dans un passé éloigné. On a vu aussi que cette approche ne saurait davantage prendre à la lettre les textes prônant une certaine morale, une orthopraxie, une orthodoxie même si elle doit y rechercher la manifestation de tropismes, de phobies. Il nous semble que ce domaine exige un talent particulier, dont semblent assez bien dotés les chercheurs d’ascendance juive (Marx, Freud, Durkheim, Marcel Mauss, Lévi-Strauss et quelques autres), une certaine aptitude à remonter le temps, à explorer les couches profondes sur lesquelles s’articulent nos sociétés, à un niveau collectif. En ce sens, nous dirons que les juifs relient le monde à un stade archaïque, qui clôture la phase darwinienne de l’Humanité, que nous caractériserons par une transformation des hommes par rapport à un environnement - phase d’instrumentalisation - avant de passer à une phase propre à la techno-science et à l’instrumentation. Le génie juif, selon nous, se manifeste prioritairement dans le champ des sciences sociales et l’on pourrait parler dans ce sens d’une science juive. Rien d’étonnant, si l’on admet que les juifs sont les descendants, les vestiges d’un certain âge de l’Humanité, à la fois révolu et toujours éminemment prégnant, la mémoire vivante de l’Humanité, et en ce sens comme une sorte de livre ouver, bien plus important que n’est la Bible.4 A contrario, dans les cultures, comme c’est le cas du monde arabe aujourd’hui, qui ne se préoccupent pas ou peu de sciences de l’Homme, les Juifs n’occupent pas la même place.
Jacques Halbronn
Paris, le 7 juin 2004
Notes
1 Cf. D’un sexe à l’autre par B. Saladin d’Anglure, Séminaire Masculin/féminin : la loi du genre, Collège de la Cité (des sciences et de l’industrie), juin 2004. Retour
2 Cf. Structuralisme et Astrologie, sur Encyclopaedia Hermetica, rubrique Astrologica. Retour
3 Cf. L’homme d’aujourd’hui et les astres. Fascination et rejet, Paris, Plon, 2001. Retour
4 Cf. notre article, Les Juifs comme mémoire de l’Humanité Encyclopaedia Hermetica, rubrique Judaica. Retour
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