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HYPNOLOGICA

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La carence polysémique de l’étranger

par Jacques Halbronn

    Le problème de savoir si une personne est ou non étrangère à un groupe donné est une affaire individuelle, qui se traite au cas par cas, même s’il existe des probabilités en un sens ou dans l’autre, sur la base de certains critères de provenance ou d’ascendance.

   Nous poserons comme principe de ne pas avoir d’a priori lié aux origines de la personne considéré. Mais cela va dans les deux sens: aucun critère d’appartenance ne garantit qu’une personne ne puisse être considérée comme étrangère, et certainement pas sa nationalité. Une personne n’étant pas de nationalité française, par exemple, ne sera pas classée ipso facto comme étrangère. Et il en est de même pour l’appartenance religieuse ou ethnique qui ne suffisent ni à inclure ni à exclure d’office une personne par rapport à un groupe donné.

   Cela dit, au niveau statistique, on peut aboutir à des probabilités mais ce ne sont que des probabilités qui ne sauraient influer sur notre évaluation d’un individu donné, et ce, encore une fois, dans un sens positif ou négatif. Les récents débats sur la laïcité visaient, précisément, à ce qu’un individu ne soit pas plombé par son appartenance à tel groupe jugé globalement comme étranger ou comme inassimilable.

   Avant d’aborder l’exposé de nos critères d’évaluation, on remarquera une certaine tendance qui veut que les individus mettent en avant les critères favorables à leur appartenance au groupe à intégrer, les considérant comme imparables, irréfutables et sans appel et, en revanche, minimisent, relativisent, discutent les critères défavorables. Ce qui est de bonne guerre.

   On observera également le paradoxe suivant, à savoir que plus une personne est étrangère à un groupe, moins elle sera en mesure de l’appréhender individu par individu et s’en tiendra à des généralités. Autrement dit, cette personne aura des préjugés qui lui donneront l’impression, l’illusion, de savoir à quoi s’en tenir sur le cas de l’individu considéré.

   Quels sont donc les critères, les repères, permettant de décider si un individu est ou non membre d’un groupe donné à part entière ? Nous soulignons l’expression “à part entière” car il existe toute une série de faux semblants ou d’appartenances partielles. C’est ainsi qu’une personne déclarera s’identifier pleinement avec le groupe mais jusqu’à quel point ? Nous avons déjà signalé, dans une autre étude consacrée aux Maghrébins (sur Encyclopaedia Hermetica) que quelqu’un qui déclarerait qu’il ne se sent pas concerné par tel enjeu historique propre au groupe dont il prétend faire partie se placerait ipso facto à la marge. On peut aussi s’être habitué à vivre, à travailler, au sein d’une certaine société sans cesser de lui être étranger ou de se sentir peu ou prou étranger ou qu’on le lui fasse sentir. C’est le cas des travailleurs immigrés qui ont un bagage minimum pour vivre dans la société d’accueil et qui sont tolérés par elle en tant qu’étrangers. Autrement dit, chaque société a ses étrangers qui présentent entre eux un certain nombre de points communs plus qu’ils ne sont assimilés ou assimilables à la dite société d’accueil stricto sensu.

   Un des traits propres à l’appartenance, c’est la reconnaissance mutuelle. Demander à quelqu’un s’il est français, par exemple, c’est déjà la présomption que celui qui pose une telle question ne l’est pas, que celui à qui la question est posée le soit ou non. Il y a là en effet une interrogation qui est révélatrice chez celui qui l’exprime, d’un doute, d’un manque de repères, de recoupements. Cette personne en interrogation ne parvient pas à conclure à partir des données dont elle dispose, probablement en raison d’un certain facteur qui l’interpelle et qu’elle n’arrive pas bien à intégrer dans son analyse. Tout cela est signe d’un manque d’assurance, d’une médiocre sûreté de jugement qui s’accompagne d’ailleurs souvent, en corollaire, d’une expression orale et/ou écrite laissant quelque peu à désirer pour ceux qui s’y connaissent et s’y reconnaissent. Insistons sur le fait que l’étranger quand il commet une erreur n’en est pas conscient alors que le membre du groupe corrige immédiatement ou se reprend aussitôt si on lui fait signe que quelque chose ne va pas, ce qui est pour nous l’occasion d’insister sur le facteur rapidité, tant dans l’expression orale que dans la compréhension de ce qui est dit. L’étranger tend à fonctionner au ralenti et d’ailleurs c’est cette lenteur- souvent signe de faibles automatismes, de décodages imprécis, qui risque de l’exclure, de le marginaliser ou en tout cas de le singulariser. Difficulté à se faire comprendre et entendre, difficulté à saisir immédiatement de quoi il retourne, erreurs d’appréciation, de jugement, retard à saisir les véritables rapports de force, en bref une efficacité, une perception des choses approximative.

   Ce qui fait que l’étranger n’a pas les qualités requises d’un citoyen, c’est le fait que ses critères d’estimation ne sont pas adéquats. Comment pourrait-il en effet peser à sa juste valeur, en connaisseur, la façon dont une personne s’exprime, se sert des mots de la langue dominante, se comporte selon les règles relationnelles en vigueur et ce non pas en termes minimaux de ça va ou ça ne va pas mais en termes d’excellence c’est mieux ou encore mieux ou c’est moins bien ? Or, ce qu’on attend d’un citoyen, c’est qu’il soit capable de choisir en connaissance de cause celui qui est le plus doué, celui qui a le mieux intégré les valeurs du groupe en question. Ce qu’il faut éviter dans une société, c’est de laisser les meilleurs hors des fonctions publiques, c’est le dysfonctionnement du recrutement interne. Rien n’est pire que quelqu’un à qui il faut tout expliquer et qui a ainsi toutes les chances de se faire manipuler par ceux qui sélectionnent les informations à lui communiquer, à lui transmettre et qui n’a pas de moyens de contrôle, de recoupement. Comment d’ailleurs quelqu’un qui est en apprentissage, comme c’est le cas, a priori, de l’étranger, pourrait-il disposer d’un bagage suffisant pour jauger les individus qui lui sont présentés ? Mais, répétons-le, on juge l’arbre à ses fruits : ce qui nous importe ici c’est le résultat plus que le point de départ, ce n’est pas être étranger ou l’avoir été mais l’être resté.

   Nous avons déjà esquissé dans de précédentes études (rubrique Hypnologica de l’Encyclopaedia Hermetica) un certain nombre de tests comme celui qui consiste à trouver des équivalents, à identifier des synonymes, ce qui permet de cerner l’individualité d’autrui. Plus une personne a un vocabulaire limité, un mode de communication pauvre et moins elle sera en mesure de respecter et d’appréhender la spécificité individuelle de chacun. En ce sens l’étranger serait hypernormatif, et vivrait mal hors des sentiers battus, quand bien même lui-même serait parfois difficile à suivre. Mais quelle différence entre celui qui acquiert une certaine originalité de par sa maîtrise de la langue et de la culture dominantes et celui dont l’originalité est le fait de l’ignorance et de la méconnaissance !

   Entendons-nous bien: notre approche est inductive et non déductive : nous n’étiquetons pas quelqu’un a priori comme étranger, du fait que nous saurions que cette personne est étrangère, nous déterminons qu’Un Tel est étranger de par son comportement et ce quel que soit son pedigree officiel et qui peut être dû à une contrefaçon ou le résultat d’une escroquerie ou d’une malversation, le fruit de la corruption ou de certaines apparences. Pour quelque raison, une personne peut ne pas être de nationalité française et ne pas être pour autant jugée étrangère et vice versa. Nous ne laissons à personne le soin de nous dire qui est ou n’est pas étranger, tant il s’agit là d’une évidence que nous souhaitons pouvoir constater par nous-même et non par le jeu de quelque consigne.

   Pour en revenir aux critères d’étrangeté, nous mettrons en avant le manque de polysémie. Le rapport de celui que nous qualifierons d’étranger au monde qui lui est étranger, objectivement et/ou subjectivement, est marqué par une vaine attente d’univocité, c’est-à-dire qu’il n’a pas une pleine conscience de tous les tenants et aboutissants de ce qu’il fait, de ce qu’il dit, de ce qu’on fait et de ce qu’on dit en sa présence, c’est ce que nous avons appelé la carence synonymique, c’est-à-dire de perception des équivalences. Pour emprunter une image au jeu d’échecs, c’est comme si un joueur n’avait pas conscience de toutes les possibilités de mouvement des pièces qu’il manie, qu’il en jaugeait mal toutes les implications, toutes les interrelations. On dira - mais ce n’est qu’une comparaison - que l’étranger est à l’instar d’ un mauvais joueur d’échecs qui ne sent pas tous les coups qui s’offrent sur l’échiquier tant pour lui que pour son adversaire, et qui, en conséquence, ne saura pas apprécier à sa juste valeur le déploiement des pièces chez un bon joueur d’échecs si ce n’est au niveau superficiel et parfois aléatoire des prises de pièces et de l’issue finale d’une partie.

   Certes, on nous objectera que l’on ne peut s’empêcher de généraliser et d’avoir des préjugés concernant tel individu dès lors que l’on sait d’où il vient, quelles sont ses origines. Mais qui sont ceux qui sont les plus enclins de recourir à de tels procédés sinon précisément les étrangers, faute précisément d’être en mesure de jauger chaque individu pour sa valeur propre ? On pourrait parler de tricherie dans ce cas, quand pour masquer son impuissance à bien cerner les individus rencontrés, on recourt à des “trucs”, à des raccourcis, permettant de se faire quand même une idée de l’autre, que ce soit par son signe zodiacal ou sa religion. Souvent les gens qui n’ont pas accès à la spécificité individuelle se verront contraints à recourir à des critères non pertinents même s’ils correspondent à une certaine réalité factuelle mais mal interprétée ou des plus injustement réductrices. On voit donc que l’étranger se trahit par les procédés mêmes auxquels il est tenté de faire appel pour occulter une certaine myopie dans son rapport à autrui.

   Répétons-le : il faut absolument juger par nous-mêmes et sans aucune interférence de l’appartenance de l’autre au groupe qui est le nôtre, celui que nous sommes supposés le mieux pratiquer. Une personne sourde par exemple sera considérée comme étrangère si son rapport avec le groupe est hypothéqué par son handicap et il en est évidemment de même d’un malade mental ou d’un jeune enfant, aussi français, légalement, seraient-ils. Qu’on ne nous parle donc pas de xénophobie sous le prétexte que nous rejetterions les étrangers. En effet, pour nous le seul étranger est celui qui se comporte comme tel.

   Rien n’est plus pathétique, avouons-le, qu’une personne qui sur ce point refuse de voir les choses en face et continue à se leurrer ou qui traite les autres de xénophobes, victimes de leurs préjugés au lieu de se rendre compte à quel point elle reste décalée par rapport au milieu auquel elle prétend appartenir et par rapport auquel en réalité elle ne cesse de détoner.

   Répétons-le, on peut être habitué à vivre ou à côtoyer des gens sans appartenir stricto sensu au même monde. Les médias favorisent un tel sentiment de familiarité mais cette accoutumance ne met pas fin, ipso facto, à un sentiment d’étrangeté. Les animaux domestiques nous fréquentent, ils ne sont pas pour autant comme nous et nous ne saurions les traiter comme si ce n’était pas le cas.

   L’étranger a sa place dans la Cité, même s’il ne saurait être assimilé à un citoyen, ne jouons pas sur les mots! Au demeurant, il faudrait que l’on comprenne que la meilleure intégration se fait à la génération suivante, à condition toutefois qu’il y ait eu mixité, croisement entre autochtones et nouveaux venus. Ne surestimons pas les progrès qui peuvent s’opérer à l’échelle individuelle et qui sont souvent illusoires et aléatoires. Rappelons qu’il est plus facile d’être émetteur que récepteur : un disque émet, il ne reçoit pas : on peut apprendre un texte par coeur et ne rien comprendre alors qu’on vous dit la même chose d’une autre façon. L’étranger est vite déconcerté, décontenancé, dès lors qu’on ne recoupe, ne rejoint pas son maigre savoir lequel donne parfois le change, par des propos convenus à des personnes peu averties et souvent elles-mêmes étrangères. D’où ce constat: en se retrouvant entre étrangers, les étrangers se persuadent mutuellement de ne pas l’être alors qu’en vérité ils accumulent les fausses notes et déforment le modèle, tout en prétendant s’y conformer. S’ils sont attirés par telle société, la dite société serait, pour sa part, plutôt encline, et à juste titre, à les rejeter: un amour non partagé. C’est tout le problème des emprunteurs, des imitateurs, ils croient se conférer des droits du fait de leur fascination pour leur modèle, c’est le cas, par exemple, des musulmans qui arguent et se targuent de leur attachement au judaïsme pour se substituer à lui.

   En ce sens, le structuralisme vient renforcer nos positions, à savoir que la culture n’est pas universelle, que le passage d’une aire culturelle à une autre n’est nullement aisé, même s’il peut exister certains invariants car ceux-ci sont diversement combinés. Le fait d’être noir, juif ou musulman n’est pas en soi un élément constitutif de l’étrangeté car il n’est qu’un élément d’un ensemble plus vaste qu’est l’individualité. Il est des noirs étrangers à une société donnée et d’autres qui en font partie intégrante et ces deux populations noires présenteront de nombreuses différences l’une par rapport à l’autre, tout comme des Juifs peuvent être aussi bien étrangers que ne pas l’être et cela est relatif aux divers facteurs en présence. En fait, le structuralisme peut fort bien rendre compte de l’individualité. Ajoutons que le structuralisme n’exclue nullement l’existence d’invariants à l’échelle de l’humanité toute entière - du fait des brassages - notamment au niveau de la sexuation voire d’un certain nombre de tropismes, mais ces prétendus invariants sont eux-mêmes la cristallisation de conventions extrêmement anciennes. A partir de ces invariants, divers systèmes peuvent se mettre en place et ainsi de suite dans une sorte de fuite en avant, liée à la combinaison toujours variable des paramètres d’un espace à l’autre, d’un temps à un autre : il y a une archéologie du savoir, selon la formule de Michel Foucault, avec des couches successives.

   Parfois, pour se venger d’un échec à s’intégrer, certains “étrangers” prennent un malin plaisir à faire ressortir des critères qu’ils considèrent ayant joué contre eux et à saboter la perception individualisante comme ce noir qui a été renvoyé d’une entreprise et déclare que cela s’est fait parce qu’il est noir alors que l’entreprise a un personnel composé presque exclusivement de noirs. Les maghrébins qui sont souvent en situation d’échecs veulent l’expliquer par le fait qu’ils sont maghrébins au lieu de reconnaître leurs limites et limitations à l’intégration; ils prendront un malin plaisir à signaler que telle personne est juive dans l’espoir que cela déclenche de l’antisémitisme et que l’on renonce à respecter la personne en question dans son individualité, il pense ainsi télescoper, escamoter, la dimension individuelle d’autrui pour le réduire à un de ses multiples paramètres identitaires.

   Certes, face à une personne jugée décalée, dans sa conduite, par rapport au groupe, on peut être tenté d’expliquer ce décalage du fait de telle ou telle particularité “objective” mais il s’agit là d’une démarche bien peu rigoureuse et qui ne résiste pas à l’analyse dans la mesure même où d’autres personnes ayant la même particularité ne posent pas problème pour autant. L’approche raciste est analytique, elle parle des composantes définies à l’avance pour tenter de (mal) cerner un cas particulier tandis que l’approche individualisante est synthétique, elle parle d’un cas concret pour remonter vers les modèles.

   En conclusion, ce qui disqualifie certains individus et les place dans la catégorie “étrangers”, c’est leur carence polysémique, celle-ci se manifestant dans un rapport de pénurie, d’économie, à l’autre, qui fait qu’une personne ne soit pas représentative, qu’elle ne soit pas consciente, qu’elle ne se représente pas l’ensemble des enjeux en présence, elle est imprévoyante et imprévisible, c’est une sorte d’électron libre. Or, les sociétés ont vocation à désigner ceux qui ont la plus forte polysémie, c’est-à-dire ceux qui maîtrisent le mieux les problèmes en instance, en tous leurs aspects et conséquences, reléguant à la marge ceux qui n’ont qu’une vue partielle et partiale de la situation, que ce soit par ignorance ou par indifférence. En cela, le jeu d’échecs est-il un excellent révélateur d’un potentiel polysémique de chacun.

   Ajoutons que dans une société où l’on s’interroge sur la santé des entreprises comme de la santé du corps, où l’on parle d’excès pondéral, de problèmes immunitaires, il persiste ainsi des tabous qui devraient nous interdire de réfléchir à certains dysfonctionnements, à certaines erreurs de régime, et non plus seulement au niveau alimentaire mais en celui d’Ancien Régime. Or, la présence de personnes étrangères, au sens où nous l’avons entendu ici, au cas par cas - ce que des tests anonymes permettent de faire apparaître - est une menace grave qui peut aboutir à ce que les sociétés perdent confiance en leur aptitude à se gérer correctement, ce qui conduit soit à la dictature, soit au chaos et à l’anarchie.

Jacques Halbronn
Paris, le 11 juin 2004



 

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