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HYPNOLOGICA

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De la laïcité régulation à la laïcité intégration

par Jacques Halbronn

   Un débat a eu lieu le 24 novembre 2002, au Centre Communautaire de Paris, autour du thème “la laïcité rempart contre le communautarisme” avec la participation de Jean Daniel, de Dominique Schnapper, de Philippe Lazar, et de Serge Jakobowitz.

   Dans un précédent texte sur les “pièges de la représentativité”, nous avions mis en garde contre certains tours de passe-passe et le débat en question nous a confirmé quant à la nécessité de ne pas tout mélanger quand on parle de laïcité.

   Avant d’aborder la question de la laïcité, il conviendrait de recadrer ce concept dans une perspective anthropologique. A quoi sert la laïcité et de quel processus relève-t-elle ? Il nous semble que les sociétés doivent mettre au point des systèmes de régulation interne, permettant de gérer les clivages pouvant intervenir en leur sein.

   L’instauration de la laïcité, tant en Angleterre, avec John Locke, qu’en France, à la Révolution, visait avant tout à permettre aux citoyens appartenant à des confessions différentes de cohabiter en paix. On pourrait parler d’un mécanisme centripète visant à contrebalancer les inévitables tendances centrifuges susceptibles de se manifester dans toute société. En l’occurrence, sous la Révolution, les Juifs de France furent considérés comme des citoyens à part entière, au nom du principe de laïcité. Car, en l’absence d’un tel principe, on aboutissait à générer des citoyens de seconde zone, des sortes de quasi-citoyens.

   On peut dire, en réalité, que la laïcité a toujours existé sous une forme ou sous une autre dans la mesure où elle évite les scissions ou des exils de toutes sortes dès lors qu’un Etat se refuse à gérer un certain pluralisme, comme ce fut le cas en 1685 avec la Révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV. Du fait du refus de la laïcité, les Protestants français ont du ainsi quitter le Royaume de France tout comme les Juifs furent contraints de partir d’Espagne, en 1492. Ces populations s'efforcèrent souvent de perpétuer ailleurs leur culture d’origine.

   Mais, précisément, les dites populations durent affronter un nouveau défi à savoir comment s’intégrer dans de nouvelles sociétés ? Or, ce cas de figure, même s’il est le corollaire de la question de la régulation sociale, laquelle s'opère par la laïcité ou par diverses formes d’apartheid ou de bannissement, ne saurait, à notre sens, être confondu avec celui-ci. La régulation et l’intégration sont deux choses différentes et précisément, c’est cette distinction qui est de nos jours occultée.

   On ne saurait en effet, sous le même terme de laïcité, amalgamer ces deux enjeux que sont les exigences de régulation interne et d’intégration d'éléments externes, même si ce qui les rapproche est l’idée de tolérance.

   Prenons le cas juif : la laïcité, fille de la Révolution Française, visait les Juifs de France, cela consistait à conférer à tous ceux qui participaient d’une même langue, d’un même territoire un même statut. Il ne s’agissait pas, ce faisant, d’intégrer des populations étrangères. L’accent était mis sur les différences religieuses comme étant les seules variations admises au sein d’une même culture nationale.

   En ce sens, selon notre terminologie, une religion ne serait pas une culture mais s’inscrirait au sein de telle ou telle culture, ce qui signifie qu’une religion peut être marquée par plusieurs cultures, dans la mesure où elle est suivie dans des espaces différents. On parle certes couramment de “culture juive” ou de “culture musulmane”, mais il serait préférable de parler de “culture hébraïque” ou de “culture arabe”, réciproquement. Il importe en tout cas d’introduire un distinguo.

   Ainsi, la problématique de laïcité ne visait nullement, au départ, un quelconque projet d’intégration d’éléments étrangers. Les Juifs de France à la fin du XVIIIe siècle ne constituaient pas en effet un élément “étranger”, ce qui ne signifie pas qu’il n’était pas spécifique. Là encore, il convient de maîtriser la terminologie et le refus de le faire, notamment de la part d’une partie de la communauté juive de France - n’est pas innocent car certains ont intérêt à brouiller les cartes, à fausser les repères.

   Rappelons que dans le passé les guerres de religion furent fréquemment des guerres civiles, c’est-à-dire opposant entre eux des citoyens d’un même pays. Les catholiques et les protestants qui se déchiraient étaient tous des Français de souche, souvent comportant en leur rang une partie de l’aristocratie, comme ce fut le cas d’Henri IV avant sa conversion (“Paris vaut bien une messe”). L’édit de Nantes de 1598 engagea un processus que l’on pourrait appeler de laïcité, en tout cas de régulation et d’harmonisation de la population française.

   Or, de nos jours, on tend à employer le terme de laïcité avec une acception beaucoup plus large, ce qui tient en grande partie au fait que les naturalisations se sont multiplié ; ce qui conduit à une représentation sociologique nouvelle de la citoyenneté, faisant abstraction de la durée de la présence de la famille, des ascendants, en France.

   Comme nous l’avons souligné, l’intégration n’est pas la régulation. La régulation régit les différences religieuses, cultuelles, l’intégration concerne les différences géographiques, culturelles.

   Certes, il n’est pas rare qu’une personne relève des deux processus : un juif polonais relèvera de la régulation en tant que juif et de l’intégration en tant que de culture polonaise ou issu d’une famille appartenant à la dite culture.

   Or, le débat organisé l’était par la mouvance juive laïque, c’est-à-dire par des gens qui ne pratiquent guère le culte judaïque et qui, en outre, sont, dans leur immense majorité, marqués par un passé d’immigration / émigration. Comment donc les situer dans le cadre d’un processus de régulation franco-français, alors qu’ils ne sont pas repérables religieusement et qu’ils ne sont pas assimilables à des personnes historiquement de culture française ? Il semble bien que ces juifs relèvent d’un processus d’intégration.

   Certes, de nos jours, la question de la tolérance au sein d’une société donnée passe par d’autres formes que cultuelles comme dans le cas de l’homosexualité. Mais là encore un homosexuel de culture française n’est pas un homosexuel étranger, nous dirons qu’il est une expression contingente de la culture française.

   Si le processus de régulation met en avant les différences au sein d’un même ensemble culturel pour leur permettre de se manifester sans créer des affrontements regrettables pour la cohésion générale, en revanche, le processus d’intégration vise à gommer les différences voire à les occulter. Deux logiques a priori opposées et qui, paradoxalement, se disputent le mot laïcité.

   Est-ce donc qu’au nom de la laïcité, l’on peut gérer à la fois les clivages internes et externes ? L’intitulé du débat est révélateur : on s’en prend au communautarisme. Or, d’une certaine façon, la régulation au sein d’une culture donnée est compatible avec un certain degré de communautarisme. Il y avait, en France, à la Renaissance une communauté protestante, comme sous l’Empire il fut institué une communauté juive. Et cela parce que les points de convergence entre les membres de ces différentes communautés, au sein d’une même culture, étaient puissants.

   Or, la mouvance juive laïque se déclare hostile au communautarisme, ce qui montre bien que sa logique est d’intégration plutôt que de régulation. En effet, selon une logique d’intégration, il ne serait pas concevable de favoriser un communautarisme de la part d’éléments étrangers dont on attend qu’ils commencent par se fondre dans le creuset national avant de songer à une quelconque différenciation. Chaque chose en son temps !

   Dans le cas des juifs vivant en France, le plus souvent citoyens français mais de culture étrangère, la tentation aura été grande de se confondre avec les juifs de souche française, télescopant ainsi intégration et régulation et ce à tel point que la communauté juive de France est, de nos jours, essentiellement représentée, en ses diverses instances, par des juifs issus d’un processus migratoire relativement récent.

   Le cas des Musulmans en France est intéressant : ils appartiennent à une culture étrangère, n’ayant que très rarement une ascendance française sur plus de quelques générations. Ils relèvent, à ce titre, d’une dynamique d’intégration. Mais en même temps, la dimension religieuse de l’Islam les inscrit dans une dynamique de régulation, et ce en dépit du fait qu’il n’existe même pas, à la différence des juifs, un noyau musulman historique; à notre connaissance, il n’y avait pas de communauté musulmane sous la Révolution Française.

   Quelle interface trouver entre la laïcité-régulation centrifuge et la laïcité-intégration centripète puisque le mot laïcité est employé indifféremment, de nos jours, dans les deux sens ? .Il est clair que dans les deux cas, nous avons affaire à la notion de citoyenneté : d’un côté, un citoyen comme membre, du fait de sa présence historique au sein d’un ensemble, de l’autre un citoyen, du fait d’un mécanisme juridique susceptible de modifier le statut d’un étranger. Cela dit, ces deux formes de citoyennetés nous semblent différer singulièrement.

   Dans un cas, au nom de la laïcité, on gère les relations intercommunautaires entre gens de même culture, de même histoire, dans l’autre, on en fait une affaire individuelle, la priorité étant mise sur l’intégration linguistique et culturelle commune à tous les membres de la société concernée, sans distinction.

   Les difficultés au sein de la laïcité régulation sont d’ailleurs apparues avec l’arrivée de personnes étrangères mais de même religion que les personnes appartenant à l’ensemble d’accueil. C’est ainsi que l’antisémitisme, en France, doit beaucoup à l’arrivée de juifs étrangers, à partir des années 1880 (Cf. notre ouvrage Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002), en ce sens que l’on reprochera aux juifs de souche française de favoriser l’afflux de juifs étrangers.

   En ce qui concerne l’Etat d’Israël, la laïcité pose un problème particulier, en ce que cet Etat veut préserver à tout prix son caractère juif. Ce sont surtout ses citoyens arabes qui mettent en avant le désir de constituer un Etat laïc. Et de fait, cela nous semble justifier du fait même que deux populations, marquées par deux religions différentes, revendiquent leurs droits historiques sur une même terre. Mais en même temps, il est prévu que cet Etat / Foyer accueille des Juifs issus de cultures étrangères, c’est même plus ou moins la règle. Mais ici, le noyau dur des juifs autochtones palestiniens - selon l’expression du mandat britannique sur la région, au lendemain de la Première Guerre Mondiale - est très minoritaire, comme il l’est désormais, on l’a dit, en France. Or, les nouveaux immigrants juifs en Israël ne rencontrent-ils pas des problèmes d’intégration - il y a même un ministère de l’intégration ? Ne sont-ils pas issus de cultures fort diverses en dépit de leur appartenance religieuse commune ?

   Le communautarisme a de beaux jours devant lui, tant en Israël qu’en France. Dans les deux cas, les juifs ne sont pas seuls, ils ont affaire à d’autres communautés, non juives. Il ne semble pas que l’on puisse y faire l’économie du communautarisme. Dès lors, autant penser celui-ci de façon à en tirer le meilleur.

   On a dit que le premier fondement du communautarisme est confessionnel. La laïcité, au départ, n’est rien d’autre, au fond, que la régulation - et non le rempart ! - du communautarisme. Dès lors que l’intégration des juifs étrangers en France passe par la légitimité historique de la présence de la religion juive, telle que reconnue par la Révolution et l’Empire, que peut signifier le refus du communautarisme de la part de ces juifs étrangers se présentant sous la bannière du judaïsme laïque ? En réalité, cette expression pourrait signifier la volonté d’instaurer de la laïcité au sein de la communauté juive, c’est-à-dire de permettre aux différents clivages qui traversent celle-ci la possibilité d’exister. C’est comme si les Catholiques Français demandaient à ce que la communauté catholique accepte en son sein une certaine diversité. On aurait donc là une troisième forme de laïcité, qui se caractériserait, en aval, de ménager de la diversité au sein même de chaque groupe religieux ! N’existe-t-il pas au demeurant des juifs libéraux aux côtés des juifs orthodoxes ? Pourquoi pas des juifs non croyants ? Mais dans ce cas, cela n’a pas de sens de parler de juifs laïques ? En effet, la revendication de laïcité peut parfaitement émaner, on l’a vu, des instances religieuses en présence. A priori, le terme laïcité n’est nullement opposé à celui de communauté et encore moins à celui de religion. Il conviendrait donc que ces Juifs qui se disent laïcs au sein de la communauté juive de France précisent s’ils incarnent une sensibilité religieuse particulière laquelle, en tout état de cause, ne saurait être définie comme laïque, même si en effet elle fait appel, pour affirmer son droit à l’existence, à la laïcité.

   Un tel imbroglio terminologique n’est pas neutre : il semble bien que ces juifs dits laïcs ne souhaitent pas - d’où leur refus des pratiques cultuelles, de la fréquentation des synagogues - qu’on les remarque en tant que juifs, ce qui tient à leur projet d’intégration en tant que juifs étrangers ou tout simplement en tant qu’issus de cultures non françaises. En fait, ils ne veulent pas que leur judéité entrave leur intégration, mais en même temps cette judéité ne pouvant être, pour des raisons sociologiques, évacuée, ils sont confrontés à une laïcité-régulation de type religieux qui exige d’eux une pratique religieuse. Et en même temps, en dépit de leurs affirmations, ils restent fortement marqués par leur culture d’origine, notamment ashkénaze - et cette persistance identitaire ne s’explique pas du fait de l’antisémitisme qui ici aurait bon dos - qu’ils perpétuent sous couvert de “judaïsme laïc” ! Il semble d’ailleurs que pour ces juifs laïcs, la laïcité ne soit qu’un avatar du marranisme, où chacun, sous des étiquettes progressistes ou libérales, n’en maintiendrait pas moins non pas sa différence cultuelle, mais sa différence culturelle. Or, il nous semble bien que cela constitue là une autre forme de communautarisme, à l’américaine, pays par excellence d’immigration, où chacun maintient sa filiation avec sa culture d’origine et cela par delà la seule question de l’appartenance religieuse - que l’on songe aux Italiens ou aux Irlandais, catholiques les uns comme les autres. Ces juifs laïcs en France seraient donc laïcs à l’américaine et non à la française, et de fait ils sont affiliés à une structure fédérale américaine (secular judaism). De fait, aux Etats Unis, il semble bien que laïcisme régulation et laïcisme intégration ne fassent qu’un ; il y a eu télescopage du fait du poids de l’immigration. La question est de savoir si le modèle laïc américain est acceptable en France, dont la formation, quoi qu’on dise, ne saurait être comparée à celle des Etats Unis.

Jacques Halbronn



 

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