BIBLIOTHECA HERMETICA


Accueil ASTROLOGICA NOSTRADAMICA PROPHETICA

PALESTINICA JUDAICA ANTISEMITICA KABBALAH

AQUARICA HYPNOLOGICA GALLICA

Editions RAMKAT




HYPNOLOGICA

62

Immigration et syndrome de dépossession

par Jacques Halbronn

    On aurait du mal à contester que le fait de partir d’un pays ne constitue, n’implique, une certaine forme de dépossession. On renonce ipso facto, ne serait-ce que provisoirement, à certains droits, à certains avantages acquis, comme s’il fallait peu ou prou repartir à zéro. Mais le fait de se déposséder ou de se laisser déposséder n’est-il pas l’expression d’un syndrome plus ancien, notamment lié à l’enfance, et où l’on avait déjà perdu pied, où l’on s’était senti et laissé dépouiller ? Est-ce que le scénario de la dépossession ne tendra pas à se reproduire périodiquement ? Il convient donc d’inscrire la dépossession de l’immigré au sein d’un ensemble plus vaste, incluant notamment des problématiques familiales ou/et de couple.

   L’immigration d’un individu aurait donc un passé et un futur et il conviendrait en effet de la désenclaver.

   Ce passé de la dépossession peut être symbolisé par la coupe des cheveux, c’est à dire la perte de quelque chose que l’on croyait sien, faisant partie intégrante de notre corps et qui s’avère ne pas l’être vraiment, qui ne le serait qu’en apparence. Certes, les cheveux repoussent mais le choc peut persister et ce d’autant que cette coupe peut et va se reproduire.

   Il faudrait mettre sur le compte de la dépossession le viol, qui est une atteinte à ce qui est nous, à nous et qu’on nous dérobe, qu’on nous vole, en quelque sorte.1

   Toute atteinte à nos droits légitimes est de l’ordre de la dépossession.2 Celui qui est exilé est plus immédiatement dépossédé que celui qui va émigrer. Il conviendrait, au demeurant, de distinguer la dépossession subie et la dépossession assumée, l’une préparant l’autre. Entendons par là que c’est parce qu’on s’est vu imposer une dépossession que l’on sera ensuite moins bien armé pour résister à ce processus ou que l’on sera incité à y céder alors que d’autres ne l’accepteront pas aussi docilement.

   La perte d’un parent, des suites d’une séparation ou d’un décès, peut tout à fait être vécue comme une dépossession de ce qui était nôtre et supposé devoir le rester indéfiniment. Le fait de devoir quitter le foyer pour aller suivre des études au loin ou le passage dans un internat, peuvent également nourrir un sentiment, un complexe de dépossession.

   Nous dirons que l’enfant qui s’exile géographiquement et qui se met ipso facto en position de dépossession a probablement eu dans son passé à faire le deuil d’un être cher - un ami, un parent - s’il ne s’est pas carrément senti spolié, frustré de certains de ses droits jugés légitimes, ne serait-ce que la naissance d’un enfant après lui, qui lui ôte une sorte de monopole propre à l’enfant unique. En ce sens, un aîné serait plus susceptible de souffrir de ce syndrome de la dépossession et d’ailleurs les rapports entre frères et soeurs sont générateurs d’un tel état, du fait des injustices commises ou/et ressenties, et qui relèvent souvent de l’attitude des parents.

   La dépossession serait-elle une forme d’auto-punition, une privation que l’on s’imposerait à la suite d’une faute et du fait d’un sentiment de culpabilité ? Mais le fait d’être dépossédé ne générerait-il pas le sentiment d’une punition liée à un acte que l’on a commis ?

   Les personnes marquées par ce syndrome sont fragilisées. Au cours de leur existence, il y a risque qu’elles continuent périodiquement à être ou à se déposséder de ce qui semblait leur revenir et leur être assuré. On pense à quelqu’un qui ne pourrait garder ses partenaires très longtemps, qui les laisserait inévitablement à plus ou moins long terme s’échapper, partir, aller voir ailleurs au mépris des droits que pouvait constituer le mariage ou quelque engagement solennel générateur de droits et de devoirs. On pense à quelqu’un qui perdrait son poste alors qu’a priori celui-ci lui était acquis, réservé, une fois pour toutes ou bien qui se ferait dépasser injustement au niveau de l’avancement, au mépris de ses droits reconnus.

   Il est vrai que la dépossession en tant que renoncement peut apparaître comme une ascèse, comme un détachement, comme un sacrifice. Celui qui est ainsi dépossédé ne s’est-il pas, en définitive, libéré, n’est-ce pas un moyen de progresser spirituellement ? En tout cas, pour certains, la dépossession est un soulagement, un passage à l’acte qui met fin à une angoisse de la perte ; une fois cette perte enfin survenue. Encore que parfois pour exorciser cette fatale perspective, l’on fasse les serments les plus définitifs que rien ne saurait compromettre.

   Si l’immigration est une dépossession, elle fait probablement suite, on l’a dit, à un processus déjà engagé mais elle n’y met pas pour autant fin, ce qui risque de promettre certains déboires par la suite, surtout si l’on a affaire à d’autres personnes marquées par le même syndrome. Il vaudrait mieux, dans ce cas, pour l’immigré, fréquenter des personnes relativement peu marqués par l’expérience de la dépossession, sinon on risque fort de construire des châteaux de cartes bien précaires.

   Celui qui donne des signes qu’il ne souffrirait pas trop d’une dépossession s’expose à ce qu’autrui ne l’épargne pas. Or, l’immigré est déjà en lui-même le signe, le symptôme d’une dépossession, il en est carrément la personnification, ce qui lui assigne un certain karma.

   On remarquera qu’il y a des phases de dépossession. Comme on dit, un malheur n’arrive jamais seul. Il peut se produire une série de dépossessions d’ampleurs diverses. Une petite dépossession peut en cacher et en enclencher une plus grosse. Si l’on donne l’exemple de renonciations, cela peut donner des idées à autrui d’en profiter. Mais en fait, cela peut surtout inquiéter l’autre lequel suivra le raisonnement suivant : s’il peut se défaire aussi facilement de ce(lui)ci ou de ce(lui)la, il pourra sans trop de problème se défaire de moi ou renoncer à moi. L’autre interprète cette situation soit comme une menace, soit comme une invitation à rompre à moindre coût.

   Une expérience d’immigration, aussi brève soit-elle, est souvent, on l’aura compris, la traduction d’un malaise, la séquelle de précédentes dépossessions qui vont de la perte d’un animal domestique à un déménagement de la famille faisant perdre certains repères. La rupture avec les parents peut ainsi être un signe avant coureur d’une aventure d’émigration. Et cette immigration peut être cumulative, c’est-à-dire qu’elle peut concerner l’abandon d’une langue, d’études antérieures, d’un mode de vie, selon une spirale de dépossession qui conduira à l’acquisition de nouveaux droits, de nouvelles habitudes. Le comble de l’immigration ne sera-t-il pas alors de renoncer, quelque temps après, à celle-ci, puisque cela correspondra à une nouvelle phase de dépossession, c’est-à-dire à un nouveau déracinement, même si cela s’accompagne d’une tentative de réintégration dans les droits antérieurs, du fait du retour à la case départ ? Mais on sait qu’un tel retour n’est pas évident et que le propre de l’immigré est de n’être plus nulle part tout à fait chez lui.3

   La dépossession est une perte de repères, ce qui laisse entendre à quel point l’immigré est en manque de repères mais aussi à quel point l’acquisition de nouveaux repères pourra déboucher sur une nouvelle dépossession, selon un certain cercle vicieux. Mais il est vrai que pour être dépossédé, il faut posséder, ce qui détermine une dialectique, une alternance de phases : possession - dépossession, re-possession, dépossession, etc.

   On peut se demander si ce processus ne vaut pas ici pour les peuples et pas seulement pour les individus. Nombreux, en effet, sont les peuples qui ont vécu des moments de dépossession. On pense pour la France à la perte de l’Alsace (1870) ou de l’Algérie(1962). La plupart des pays européens ont perdu leur empire que ce soit outre-mer ou en Europe même (Belgique, Pays Bas, Autriche, Espagne, Portugal, Angleterre, France, Russie, Allemagne etc) et sont donc en quelque sorte prédisposés à d’autres formes de dépossession comme c’est le cas pour leur souveraineté au sein de l’Union Européenne. Rien d’étonnant donc à ce qu’il y ait là comme une double perte. Que l’Allemagne perde son empire nazi pour quelques années plus tard accepter le joug du Marché Commun se conçoit donc, il nous semble, fort bien et cela vaut pour les autres pays de l’Ouest européen. S’il n’y avait pas eu dépossession préalable, est-ce que l’Union Européenne aurait été possible, avec les abandons progressifs de souveraineté que cela entraîne ? Les différences par rapport à l’adoption de l’euro pourraient éventuellement s’expliquer par un rapport spécifique à la dépossession, notamment en ce qui concerne le Royaume Uni, peut-être moins marqué, quelque part, par la dépossession, notamment du fait de la place centrale de la langue anglaise dans le monde alors que le français a été dépossédé de celle-ci. C’est dire à quel point le passé de dépossession d’un peuple influe sur sa disposition à se laisser ou non déposséder. On ajoutera que l’Angleterre n’a pas vécu la Seconde Guerre Mondiale sur le registre d’une certaine dépossession comme l’a fait la France, avec sa zone occupée, dont elle avait été en partie dépossédée. D’où son entrée tardive, dans les années Soixante, dans une Europe communautaire qui fut longtemps à Six (France, Allemagne, Italie, Bénélux)

   Toute création d’empire expose à la dépossession et ce à la fois pour les dominants qui vont un jour perdre leur empire que pour les dominés qui sont condamnés, pour un temps difficile à prévoir, de par cet empire à une certaine dépossession. Le processus impérial génère de la dépossession. Il est un temps où la dépossession concerne le dominé et un autre où elle concerne le dominant, le dominé dépossédant à son tour le dominant en récupérant son bien.4

Jacques Halbronn
Paris, le 30 août 2003

Note

1 Cf. Marie-Ange Le Boulaire, Le Viol, Paris, Flammarion, 2002. Retour

2 Cf. article : “La Palestine, comme théâtre d’une dépossession”, Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour

3 Cf. Boris Cyrulnik, Le murmure des fantômes, Paris, Odile Jacob, 2003. Retour

4 Cf. “Transgression palestinienne et mythe arabo-musulman de l’irréversible”, sur Encyclopaedia Hermetica, rubrique Judaica et “La crise de l’astrologisme”, ibidem, rubrique Astrologica. Retour



 

Retour Hypnologica



Tous droits réservés © 2004 Jacques Halbronn