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HYPNOLOGICA

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Islamophobie et xénophobie : l’amalgame

par Jacques Halbronn

    Il semble que la communauté juive de France soit de plus en plus déstabilisée par la poussée d’antisémitisme et envisage à plus ou moins long terme son départ. Comment analyser un tel phénomène ?

   Comme pour tout phénomène social, il y a des personnes plus fragiles que d’autres et on ne sera pas surpris d’apprendre que ceux, parmi les Juifs, qui ont une histoire familiale récente marquée plus ou moins fortement par l’immigration sont les plus exposés à vivre péniblement une telle situation et d’en tirer les conséquences les plus radicales.

   Voilà qui vient reposer de façon aiguë la question du leadership communautaire, étant bien entendu que nous ne sommes nullement en train de défendre un communautarisme de type franco-maghrébin. Il ne s’agit pas sous couvert de communautarisme de légitimer une marginalité socioculturelle ; appartenir à une communauté est un plus qui ne fait sens que si l’on est pleinement membre de la société concernée et que l’on en comprend les tenants et les aboutissants, ce qui n’empêche pas que l’on puisse choisir son propre mode d’expression. Il n’y a pas d’intégration sans intercompréhension. Parler d’intégration pour désigner simplement la vie dans un pays et non dans une société est tout à fait abusif, le rapport ne saurait être que géographique, il doit aussi être historique.

   Cela dit, la communauté juive de France est interpellée par ce qui se passe et elle réagit avec ses repères et son passé. Elle paie aujourd’hui la faiblesse relative de son ancrage par rapport aux racines du judaïsme français. Ses représentants ne sont-ils pas, en effet, le plus souvent issus de l’immigration, qu’elle soit de Pologne ou d’Algérie ; quand bien même la nationalité française aurait-elle été accordée aux juifs de cette région, n’ont-ils pas attendu l’indépendance de l’Algérie pour venir, en partie, en France, en partie en Israël, ce qui est tout à fait révélateur de leur non intégration en métropole ?

   A partir du moment où ces Juifs issus de nombreux pays sont arrivés en France, ils ont eu le sentiment qu’ils étaient accueillis par elle et non par les Juifs de souche française. Ce faisant, ils ont commis une erreur stratégique car en reconnaissant le leadership des Juifs anciennement présents en France, ils auraient acquis une légitimité beaucoup plus forte que celle qui leur fut accordée. En agissant comme ils le firent, en revanche, ils allaient à terme se retrouver sur un même pied que les immigrés arabo-musulmans du Maghreb et cela vaut tout particulièrement, on s’en doute, pour les Juifs d’Afrique du Nord.

   Tout comme les islamo-maghrébins (arabes et kabyles) ne pratiquèrent pas une politique de mixité au niveau des mariages, les judéo-maghrébins et plus généralement les Juifs d’immigration récente (une ou deux générations) ne semblent pas avoir cherché sérieusement à multiplier les mariages avec les Juifs de souche française, lesquels ne sont pas marqués de façon aussi récurrente par le syndrome de la dépossession.1

   Car qu’on le veuille ou non, l’immigration est une expérience de la dépossession et il s’agit là d’une hantise que l’on a bien du mal à évacuer définitivement. Qui a été dépossédé sera dépossédé. Celui qui a vécu une expérience d’immigration personnellement ou par l’intermédiaire de ses proches sera prédisposé à en tenter une nouvelle, si les circonstances semblent l’exiger. Mais il sera aussi tenté de déposséder autrui, de le faire vivre ce qu’il a vécu.

   La façon dont les Juifs de France, dans une proportion significative, réagissent à l’antisémitisme est donc tout à fait révélatrice d’un sentiment latent de précarité, ce qui ne saurait surprendre. Tant que tout allait bien, ce syndrome de dépossession était endormi mais il ne demandait qu’à se réveiller. On devrait donc quelque part se réjouir de certains effets de l’antisémitisme dès lors qu’ils mettent fin à des faux semblants et à une identité franco-juive pas toujours bien assumée, si l’on en croit la place dérisoire laissée aux Juifs de souche française dans les instances communautaires (CRIF, Consistoire etc). On rappellera notamment que le CERIJ, le Centre d’études et de recherche sur l’Identité Juive, a été en butte, il y a quelques années, à un processus d’exclusion de la part du Comité de Liaison des Organisations Juives de France, du fait que son président avait abordé ce problème assez frontalement.

   Il semble donc que la communauté juive de France, si elle ne veut pas poursuivre sur une pente inquiétante aurait tout intérêt à se doter de dirigeants ayant une identité franco-juive mieux assurée, leur permettant de gérer plus sereinement les relations avec les islamo-maghrébins, en traitant ceux-ci comme ils le méritent, c’est-à-dire comme des immigrés n’ayant qu’un rapport très tardif et périphérique avec la France si on le compare avec celui des Juifs de France et singulièrement de France métropolitaine. Car la conquête de l’Algérie en 1830 ne saurait faire des algériens des Français de souche, comme d’aucuns croient pouvoir l’affirmer mais cela vaut aussi pour les judéo-maghrébins.

   Somme toute, il faudrait entre deux maux choisir le moindre : soit un antisémitisme islamo-maghrébin soit une forme de ségrégation au sein même de la communauté juive de France. Jusque là, il semble que nombreux aient été ceux qui préféraient prendre le risque de l’un plutôt que de l’autre. Mais les temps changent.

   Cela dit, il convient de revenir sur les causes de l’aggravation de l’antisémitisme ou plus correctement de la judéophobie pour éviter les arguties sur le mot sémitisme. Il est clair que les islamo-maghrébins avaient tout intérêt à réveiller l’antisémitisme car cela contribuait à renforcer leur position en affaiblissant celle des Juifs, voire en déstabilisant, de ce fait, carrément la société française. C’était de bonne guerre car on remarque moins les étrangers quand la situation sociale devient chaotique.2

   Nous ne disons pas que les islamo-maghrébins sont responsables de tous les actes antisémites. Loin de là ! Nous disons qu’ils ont eu un effet d’incitation qui risque d’ailleurs à terme de les dépasser. Désormais, ces islamo-maghrébins seraient même en mesure de déclarer qu’ils ne sont pas coupables de tout ce qui se passe dans ce registre mais n’en sont-ils pas moins responsables, là est la question, n’ont-ils pas réussi à lever un tabou par une certaine forme de manipulation des esprits, n’ont-ils pas rencontré un certain écho, ne sont-ils pas eux-mêmes parfois instrumentalisés quand certains actes antisémites se présentent comme islamo-maghrébins alors que ce n’est pas le cas ? On pourrait parler de contamination, ce qui fait que la situation est sensiblement plus grave que si elle se cantonnait dans les milieux islamiques, ce qui n’est plus le cas.

   En d’autres termes, le judaïsme français a besoin d’une politique de droite capable de dresser un bilan critique des politiques d’immigration et de leur dimension démagogique, privilégiant l’intégration juridique sur l’intégration sociale. Dès lors que le judaïsme française acceptera de se restructurer autour du leadership naturel des Juifs de souche française (Alsace-Lorraine, Comtat Venaissin en particulier), la situation pourra être sauvegardée et ce d’autant que l’antisémitisme n’a pas la même prise sur les Juifs immigrés et ceux de souche française.

   Pour notre part, nous avons développé des relations suivies avec les islamo-maghrébins et nous pensons qu’un certain modus vivendi peut être trouvé, dès lors que la communauté juive de France n’est pas représentée par des Juifs d’Afrique du Nord. Paradoxalement, nous avons noté que ces Juifs d’Afrique du Nord semblent bénéficier d’une certaine légitimité de la part du monde arabo-musulman à s’installer en Israël, du fait d’un certain anti-ashkénazisme, qui relève notamment d’un problème de faciès, alors que ce sont les Ashkénazes qui justement ont été les pionniers d’un retour des Juifs en Palestine.

   De deux choses l’une, ou bien les juifs stigmatisés par l’immigration, une fois établi le leadership des Juifs de souche française avec le discours musclé qui en découlera, se calmeront et contrôleront leur syndrome de dépossession chronique ou bien ils seront amenés à émigrer, notamment en Israël mais aussi au Canada ou ailleurs. Que les éléments juifs les plus fragiles quittent le bateau nous paraît somme toute une assez bonne chose.

   Les Juifs immigrés, marqués par la dépossession, ne sont pas à la hauteur pour contrecarrer et remettre à leur place les arabo-musulmans, en mettant l’accent précisément sur leur caractère étranger, ce qui conduit à disqualifier ces derniers au regard de la société française. Il importe, en effet, que les Juifs de France fassent cause commune avec la société franco-chrétienne contre les manoeuvres des étrangers, non pas certes, dans un esprit xénophobique, mais simplement pour éviter des dérapages et mettre fin à des calculs douteux. Nous avons dit ce qu’il y avait de déplaisant dans ces réunions qui rassemblent juifs, chrétiens et musulmans, en oubliant que les musulmans sont aussi des étrangers, par delà le fait qu’ils sont musulmans. Au demeurant, nous préférons que l’on nous traite de xénophobe que d’islamophobe et ce n’est pas par hasard justement que certains arabes se disent victimes non pas de xénophobie mais d’islamophobie.

   La stratégie xénophobique n’obéit pas aux mêmes règles que la stratégie islamophobique et ne saurait être menée par les mêmes leaders. Il ne s’agit plus d’opposer judaïsme et Islam mais bien les français et les étrangers. On comprend pourquoi tant de Juifs ont jusqu’à présent préféré le débat religieux parce qu’ils s’y sentaient plus sûrs et pouvaient ainsi clairement se différencier des arabo-maghrébins. Si le débat prend une tournure xénophobique, la question du religieux deviendra une affaire secondaire. Or, c’est précisément à cela que conduit la laïcité, à minimiser les clivages religieux pour privilégier, de facto, le fossé entre étrangers et Français à part entière. Inversement, les sociétés moins laïques sont moins sensibles au fait étranger dans la mesure même où elles sont moins homogènes. Il est possible que les résistances des musulmans à la laïcité et notamment à la loi sur le port du voile soient, plus ou moins consciemment, liées au risque xénophobique qu’une société laïque peut engendrer. Or, alors que les musulmans n’ont pas de stratégie de rechange, ne pouvant s’appuyer sur un noyau de souche française, il n’en est pas ainsi pour les Juifs de France.

   En jouant la carte laïque, les Juifs de France seront amenés à minimiser bien entendu la dimension religieuse en mettant en avant la dimension citoyenne. Il est peut-être temps de rappeler la contribution juive à la société et à la culture de la France, sur un plan qui n’a rien de religieux stricto sensu et sur ce plan aussi les musulmans ne sont pas de taille, leur poids qualitatif dans la société française étant incomparablement plus faible.

   Il serait donc temps de renoncer à une combinatoire juive faite d’immigration et de pratique religieuse pour basculer vers une nouvelle combinatoire faite d’enracinement historique et de performance culturelle, dans le cadre même des grands enjeux de la société française. Voilà qui exige un changement d’équipe et de politique communautaire. Une population qui ne sait pas faire des choix, toujours douloureux, face à des obstacles qui se présentent à elle, qui ne sait pas trouver en son sein les éléments les plus porteurs, est vouée à disparaître ou à partir vers d’autres horizons. L’avenir dira si les Juifs de France ont su faire le bon choix mais qu’ils ne viennent pas dire après qu’il n’y avait pas de solution pour endiguer la menace islamiste en France. En se défendant, d’ailleurs, les Juifs seront amenés à défendre la France dont, par certains côtés, pour les plus doués d’entre eux, ils sont les meilleurs anticorps. Les juifs immigrés sont le ventre mou du judaïsme français, il conviendrait qu’ils confèrent aux juifs de souche français - devenus une sorte de point aveugle dans l’imaginaire juif français actuel - qui sont en quelque sorte les sabras du judaïsme français, la tâche de prendre les rênes en main.

   Il y a toujours un temps pour le reflux, pour la reconnaissance de l’autre. Les Juifs de souche français ne sont pas les Indiens d’Amérique, ils ne sont pas condamnés au silence. Ils ont leur rôle à jouer non pas en tant que fantômes mais en tant que porteurs d’un autre itinéraire, qui n’est pas celui de l’errance mais de la permanence. Si l’on examine l’histoire des expulsions et des persécutions des Juifs de par le monde, celle-ci est liée à l’arrivée d’étrangers juifs et non juifs, souvent d’ailleurs du fait de la conquête plus que de l’immigration mais faut-il rappeler qu’en ce qui concerne les Juifs d’Afrique du Nord - et d’ailleurs cela vaut également pour les Musulmans d’Afrique du Nord - ils sont le produit de la conquête par la France du Maghreb ? On sait qu’à terme un tel afflux peut emporter les Juifs autochtones dans la débâcle. On se retrouverait dans le même contexte qu’à la fin du XVe siècle, en Espagne, lorsque les Juifs furent expulsés du fait de l’achèvement d’une reconquista de l’Andalousie qui fit entrer de facto dans l’espace chrétien une population juive et arabe étrangère, ce qui fut fatal aux Juifs de souche espagnole. On sait aussi que l’expansion nazie à l’Est, avec les fortes communautés juives rencontrées, bien différentes au demeurant du judaïsme allemand en dépit de leur parler yiddish, fut un élément déclencheur d’une politique d’extermination englobant à terme les Juifs allemands.

   Il ne s’agit donc nullement de rejeter les Juifs issus de l’immigration mais de leur demander d’adopter un profil bas en laissant le devant de la scène aux Juifs de souche, s’ils souhaitent éviter une nouvelle dépossession.

   Pour en revenir au problème de la discrimination, il ne faudrait pas tout mettre sur le même plan. On conviendra que distinguer l’étranger et l’autochtone n’a pas le même sens que de distinguer au sein de la société française, par exemple, le juif du non juif. De même que la notion d’exclusion n’est pas à entendre de la même façon selon que celui qui est exclus est étranger ou qu’il fait partie intégrante du corps social français. L’exil de membres de la société française n’est pas la même chose que le refoulement de l’étranger. Et ne jouons pas sur les mots en disant que les étrangers font aussi partie de la dite société française : il y aurait là un dévoiement du langage. Traiter un juif de souche française d’étranger est autrement insultant et insoutenable que de traiter un étranger... d’étranger. On nous objectera que l’on a le droit de penser que les Juifs sont des étrangers en France, tous autant qu’ils sont mais ce serait justement une forme d’antisémitisme que de faire passer leur judéité avant le fait qu’ils sont pleinement intégrés en France, du moins pour les juifs de souche française. Tout comme on ne se marie, en France, à la synagogue qu’une fois être passé à la mairie, de même on est français avant d’être juif, ce qui signifie que l’on est parfaitement en phase avec la société française avant de revendiquer une quelconque judéité. Les juifs étrangers, en revanche, sont d’abord juifs avant d’être français parce qu’avant d’être juifs, il étaient autre chose que français.

Jacques Halbronn
Paris, le 1 septembre 2003

Note

1 Cf.. “Immigration et syndrome de dépossession”, Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour

2 Cf. “L’antisémitisme comme stratégie d’occupation”, Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour



 

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