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HYPNOLOGICA

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Savoir assumer sa marginalité

par Jacques Halbronn

   Celui qui émigre a conscience des obstacles qui se présentent à lui et il engage un certain nombre d’actions pour parvenir à appartenir à la société qui l’accueille, comme on dit. Ses enfants risquent de ne pas savoir aussi bien à quoi s’en tenir. Mais sont-ils pour autant sortis d’affaire ? N’ont-ils pas vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué ? Suffit-il d’attendre que le temps passe pour que l’intégration s’accomplisse.

   Il conviendrait de sérier un certain nombre de procédés qui peuvent sembler utiles puis d’apprécier de quelle façon ils sont exploités. Le premier d’entre eux nous semble être la fréquentation de ceux qui sont les membres les plus confirmés du groupe concerné. Car que penser d’immigrés qui se retrouveraient entre eux ? Toute marginalité implique pour se résorber la fréquentation de ceux qui sont “installés”, des autochtones. Refuser de procéder ainsi nous apparaît comme le signe d’un refus d’une véritable intégration et le choix d’une autre stratégie.

   Si l’on considère que les femmes ont été marginalisées, il est clair que leur intégration passe par la fréquentation des hommes. Leur refus de vivre avec des hommes apparaîtrait donc comme le refus de renoncer à la dite marginalité. C’est pourtant ce qui se produit, dans bien des cas, notamment des suites d’un divorce.

   Autrement dit, le marginal doit se laisser guider par celui qui ne l’est pas, objectivement et pas seulement subjectivement. On entendra par approche subjective, celle qui se satisfait d’une identification, d’un rite superficiel et par approche objective, celle qui s’ancre dans une temporalité et dans une topographie caractéristiques et non fantasmatiques.

   On peut être tenté plutôt que de sortir de la marginalité de la dissimuler par quelques expédients. Cela vaut aussi pour ceux qui sont tombés dans la marginalité et veulent faire croire qu’ils y ont échappé et auraient retrouvé un état antérieur. Nous avons circonscrit une certaine “zone”, appelée Tselem (cf. notre étude sur ce site), qui réduit le mode de fonctionnement social à quelques automatismes, liés à des stimuli rudimentaires.

   Le marginal peut être attiré par un mode relationnel non sélectif, entretenant une illusion d’égalité, fondé sur un nivellement par le bas. Entendons par là un mode qui empêche de mettre en place une certaine hiérarchie, qui préfère exclure ceux qui ne s’y plient pas que récompenser ceux qui font preuve d’excellence.

   On est donc surpris de rencontrer des marginaux, des étrangers, qui vivent dans un certain isolement, ce qui est un luxe qui n’est permis que de ceux qui n’ont rien à apprendre du groupe dont ils sont membres, de près ou de loin. L’isolement ne peut qu’accentuer, en effet, la marginalité.

   Il existe, au vrai, des solutions de rechange qui permettent d’oublier sa marginalité sans y avoir pour autant mis fin. Dans ce cas, comme nous l’avons expliqué dans des textes consacrés au mimétisme, il ne s’agit pas tant d’être accepté par l’autre mais de le remplacer en en adoptant certains traits. Dès lors, le marginal n’a le choix que de supprimer, d’évacuer, d’une façon ou d’une autre, son modèle et de s’y substituer, ce qui implique de développer une double personnalité.

   Prenons le cas des communautés juives : on note en ce qui concerne celle de France qu’elle n’est pas / plus organisée autour des juifs dits de souche française qui devraient pourtant donner le la. La voix choisie par les Juifs issus de l’immigration serait plutôt celle du déni, c’est à dire que l’on refuse à l’autre qu’il fasse référence et qu’il serve de caution pour les marginaux.

   On comprendra bien entendu que le fait de naître en France mais de parents immigrés ou d’y être arrivé en bas âge, ne saurait supprimer le problème. Il ne suffit ni de naître sur le sol de France, ni d’obtenir la nationalité française, pour cesser ipso facto d’être dans la marginalité.

   Non pas qu’un marginal ne puisse, d’ailleurs, accéder aux plus hautes responsabilités dans une société donnée, mais à condition qu’il ait respecté les principes que nous avons posés et évité les impasses. Il ne doit pas s’enfermer ou se laisser enfermer dans un ghetto.

   Naître dans une famille où les adultes essaient de dissimuler leurs différences par rapport à la société d’accueil ne peut que marquer les enfants. Il faut que le marginal fasse confiance à ceux qui appartiennent pleinement à la société convoitée et non qu’il s’en coupe, se repliant sur lui-même ou ceux qui sont dans la même situation que lui et qui sont parfois majoritaires.

   Même si le noyau local, central, est minoritaire, cela ne change rien à l’affaire, c’est par rapport à lui que les éléments marginaux, même majoritaires, doivent se situer et ce d’abord du fait de la diversité de la dite population marginale, généralement marquée par un fort individualisme, une certaine idiosyncrasie.

   C’est en effet, le dit noyau qui a la capacité à s’organiser et à recruter les individus les plus doués et les plus performants, y compris parmi les marginaux. Alors que ceux-ci ne pourraient s’entendre entre eux que sur des critères peu viables, ne dégageant pas une véritable élite. Une telle société ne doit pas être laissée à elle-même tout comme des enfants ne doivent pas rester entre eux trop longtemps mais ont besoin d’un repère généralement assumé par le maître (d’école) chargé d’une classe.

   Une société fonctionne en réseaux. Chaque élément, aussi marginal soit-il doit être relié à la structure centrale. De nos jours, le développement de l’internet, des journaux gratuits, notamment, permet de récupérer des populations qui, sinon, auraient été isolées par l’argent, la distance, le temps etc. Mais ce n’est pas parce que quelqu’un participe, baigne, consomme d’une culture donnée qu’il sait la gérer et la faire avancer. Le cinéaste n’a pas le profil du spectateur moyen. Celui qui donne n’est pas celui qui reçoit et nier la différence, c’est en quelque sorte faire oeuvre de castration.

   Cependant, le suffrage universel pose problème. Il ne suffit pas de baigner dans une même culture pour devenir égaux - on ne mélange pas les torchons et les serviettes - et un groupe sans véritable homogénéité ne constitue pas, selon nous, un corps électoral viable. Une élection, c’est un peu voter “comme un seul homme”, c’est comme un seul cerveau constitué de myriades de neurones. Et d’ailleurs, on ne vote pas avant un certain âge. Jusqu’en 1944, les femmes ne votaient pas en France bien qu’on parlât de suffrage universel.

   L’étranger pourrait être tenté de relativiser les barrières culturelles pour se situer dans une humanité universelle, ce qui est le meilleur moyen pour ne pas progresser puisque, dans ce cas, il est par définition partout à sa place.

   Or, ceci est un leurre : on appartient à une génération ainsi qu’à une culture, que ce soit en science ou en art, en politique ou en littérature et cela implique un certain apprentissage et surtout du temps, aussi bien au niveau individuel qu’à celui de son héritage, de ses ancêtres. On croit pouvoir tricher avec le temps, prendre des raccourcis. Parfois, les sociétés ont avantage à le laisser croire mais en acceptant des éléments étrangers, immigrés, elles savent pertinemment qu’elles n’en feront que des marginaux.

   Prenons le cas de la société israélienne : sur le papier, chaque juif peut bénéficier de la Loi du Retour et devenir pleinement citoyen israélien, en très peu de temps. En réalité, l’Etat hébreu a besoin d’immigrés juifs, sans pour autant pouvoir par un coup de baguette magique les intégrer sinon au sein de sous-cultures linguistiques de plus en plus prégnantes d’ailleurs. Le mot intégration revêt des formes et des acceptions extrêmement variées. En fait, on entend souvent par là non pas le fait de devenir comme les autres mais d’être toléré et de pouvoir trouver sa place : mais dans une société inégalitaire, le fait d’avoir sa place ne veut pas dire grand chose. L’esclave aussi a sa place.

   Si on en reste au phénomène des Juifs, ce n’est pas parce que pour réfléchir sur ce sujet, il est bon de comparer la situation des Juifs en divers lieux d’implantation que le Juif ainsi “abstrait” de son contexte existe en soi. On est juif quelque part. Il ne faudrait pas arguer de l’existence d’une culture juive pour justifier un certain cosmopolitisme et relativiser la nécessité de l’enracinement au sein d’une culture donnée pour pouvoir pleinement participer, ce qui a bien été le cas des Juifs ces derniers siècles qui ont été bien autre chose, intellectuellement sinon juridiquement, que des figurants. Le Juif est différent, il n’est pas marginal sauf si cet élément vient s’ajouter du fait de l’immigration. La création du Foyer Juif en Palestine au lendemain de la Première Guerre Mondiale aura compromis la légitimité du statut diasporique et constitué un piège en voulant courir deux lièvres à la fois.

   Comment dès lors “penser” cette culture juive ? Nous dirons qu’il n’y a pas une culture juive mais des cultures juives et que le singulier ne relève que d’une approche syncrétique. Quel rapport entre la culture yiddish d’Europe Centrale et la culture ladino des juifs de Turquie ? Il vaut mieux parler de religion juive au singulier que de culture juive au singulier et une religion peut elle-même s'accommoder à diverses cultures. Le fait de ne pas pratiquer, observer, est un épiphénomène, dès lors que subsiste une conscience juive et une certaine façon de se différencier mais même cette différenciation ne saurait s’opérer que dans le cadre d’une culture donnée : il y a une façon juive d’être français ou russe. Il y a une culture judéo-allemande, judéo-espagnole, judéo-arabe etc. Et l’une n’équivaut pas à l’autre et l’on ne passe pas si facilement de l’une à l’autre. C’est précisément quand on est bien intégré que l’on peut exprimer sa différence sinon cette différence n’est que le résultat d’une méconnaissance, d’une incompréhension propres au profane.

   Le judaïsme laïque aboutit, inévitablement, à privilégier l’idée de culture juive sur celle de religion juive ; il s’agit là d’une fausse bonne idée car en laissant entendre qu’il existe une culture juive au singulier, on ne parvient plus à situer le juif dans la diaspora, au sein des cultures environnantes ou bien l’on ne fait plus du judaïsme qu’une culture parmi d’autres à laquelle il faudrait attribuer un Etat: le laïcisme juif conduirait ainsi au sionisme, comme alternative laïque au religieux mais ne serait guère adapté à la vie en diaspora qui implique précisément une dimension religieuse, seul moyen formel de coexister au sein d’une culture donnée, dès lors qu’on admet que plusieurs religions peuvent se côtoyer au sein d’une même culture, ce qui est aussi une façon de ne pas laisser une culture en tant que monopole d’une seule religion.

   On peut certes réfléchir sur les manifestations spécifiquement juives au sein de diverses cultures mais cela ne permet pas de parler d’une culture juive sinon comme abstraction permettant de cerner un être juif. Mais cet être juif ne correspond pas à un juif réel, on est dans le virtuel. Ne mélangeons pas la philosophie et l’ethnologie !

   On peut d’ailleurs bel et bien penser, comme nous le faisons, l’étranger, le marginal, cela ne signifie pas qu’il existe en dehors d’une culture donnée. La preuve en est que la même personne sera marginale ici et pas ailleurs, notamment pas dans sa culture, dans son pays d’origine.

   Disons le : être ou devenir marginal est un appauvrissement, est une position subalterne, il ne sert à rien de le nier en se cachant derrière des abstractions sur la nature humaine qui veulent relativiser les barrières culturelles. On pourrait parler d’une certaine féminisation induite par la marginalité. Il ne reste plus à ceux qui en sont victime ou qui ont fait ce choix, plus ou moins en connaissance de cause, qu’à assumer leur condition et à faire le nécessaire pour s’intégrer en se reliant à la population dominante par l’établissement d’un certain nombre de liens, comme le mariage. Faut-il rappeler cette évidence, à savoir que dans l’opposition homme / femme, les femmes engendrent indifféremment des enfants de sexe masculin et féminin ? Cela ne signifie pas pour autant que l’homme et la femme sont identiques, mais que la femme joue un rôle essentiel dans le processus de procréation de l’Humanité et non pas dans le sien propre, ce qui souligne sa dépendance. La réciproque n’est pas vraie : la femme n’est pas essentielle au déroulement du processus créatif collectif - choral - propre à la communauté masculine, elle en est tributaire en ce qui concerne l’avenir de sa propre intégration, car c’est de la dite communauté qu’émaneront des solutions la concernant.

   En tout état de cause, refuser de se connecter avec les éléments autochtones nous apparaîtra donc comme suspect sinon pervers : le Corse Bonaparte a épousé Joséphine de Beauharnais. Inversement, il faut s’interroger de nos jours sur les femmes seules ; en fait leur isolement tient souvent à ce qu’elles refusent ou ne comprennent pas ce qu’un homme peut leur apporter, en le jugeant sur ce qu’on attend d’elles, ce qui peut induire un comportement castrateur à son égard : elles veulent lui faire subir ce qu’on leur fait subir.

   La marginalité s’arrange fort bien d’un certain conformisme qui en est d’ailleurs le prix, comme on peut l’observer en matière de conversion. Ainsi, dans le judaïsme, on est bien plus exigeant envers un converti qu’envers une personne née de parents juifs et qui, en quelque sorte, n’a pas à faire ses preuves.

   Or, un tel conformisme attendu de la part du novice n’est pas un facteur tonique au sein du choeur des hommes, il jouerait plutôt un rôle d’inhibition et de frein pour le dit choeur à la façon d’un étranger cherchant à participer à un débat dans une langue et une culture qu’il maîtrise mal, dans laquelle il s’exprime trop lentement, avec une capacité d’écoute médiocre, il risque de casser une certaine dynamique.

   On se demandera, au demeurant, si les revendications des marginaux ne sont pas calquées sur le statut de la machine, à savoir qu’ils souhaitent qu’on les perfectionne. Droit et technologie convergent dans l’idée que tout progrès dépend de la volonté et de l’ingéniosité mais qu’il est bon en soi, et que tout retard constituerait un échec pour l’Humanité. On ne se demande pas si le processus d’intégration en tant que tel, s’il est mal conduit, peut compromettre les bases mêmes de la dite Humanité !

   On reconnaît cette marginalité mal assumée à l’affirmation d’un hyperindividualisme, ce qui est une autre façon de contester l’existence d’un ensemble à intégrer puisqu’il n’y aurait que des individus, tous différents de toute façon. Il faut dénoncer de telles ruses qui ne sont que l’expression d’une frustration, d’un refus d’accepter sa condition au moyen d’ arguties qui ne font que révéler et non masquer un mal être.

   On est soleil ou on est lune, on est soleil si l’on est le point fixe autour duquel les autres tournent et on est lune si on est satellite et reçoit sa lumière de l’autre. Il faut de tout pour faire un monde et à chacun de tirer le meilleur de son lot.

Jacques Halbronn



 

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